Interview/ AZO VAUGUY, poète, journaliste, auteur de Zakwato
Dans le milieu des lettres en Côte d’Ivoire le nom est bien connu et prononcé avec respect. Poète, chroniqueur et critique littéraire, il a œuvré, durant des années, en faveur du triomphe de l’esprit dans un pays souillé par la politique. Au risque de heurter son humilité, nous avons fait parler l’artiste !
Votre nom, Azo Vauguy, a-t-il une signification particulière ?
Je m’appelle AZO VAUGUY. C’est mon grand-père lui-même qui m’a donné son nom. Pour confirmer cette transmission métaphorique mais métaphysique qui fait de moi le double du père de mon père Gabriel AZO ZEOBAUD ZAOUROU, celui-ci m’appelait affectueusement « papa ». Mon grand-père était un artiste pluriel. Un homme charismatique. Ses admirateurs lui vouaient un véritable culte pour sa grande sagesse et sa virtuosité à la percussion, à la danse, au chant. Sa célébrité a marqué toute la région d’OURAGAHIO. A Siégouékou, son village natal, il était adoré. C’est le sens de son prénom AZO car AZO veut dire « adorer » en bété. Apprenez que le nom AZO VAUGUY ne m’a pas été attribué de façon fortuite. Ma mère m’a dit que sa grossesse n’avait que trois semaines quand mon grand-père lui a révélé à son grand étonnement qu’elle accoucherait d’un enfant de sexe masculin. Et qu’il faudrait que l’enfant porte exclusivement son nom. J’ai libéré le ventre de ma génitrice trois mois avant le terme normal, mais je suis né viable. Quatre coqs ont été offerts en sacrifice le jour de ma naissance, après que mon grand-père eut prononcé trois fois le nom que nous partagions désormais pour me souhaiter la bienvenue. Vous voyez que beaucoup de symboles ont animé ma naissance comme dans une légende.
Vous hantez le monde des lettres depuis des décennies. Dites-nous : qu’est-ce que la Côte d’Ivoire vous doit ?
Dites à la Côte d’Ivoire qu’elle ne doit rien à AZO VAUGUY. Moi, en tant qu’écrivain, en tant que journaliste de culture (je ne dis pas journaliste culturel puisque ce caractérisant adjectival ne me sied guère), je fais mon devoir. Quand je rencontre des créateurs et bien d’autres animateurs du monde des arts et que nous échangeons avec beaucoup de respect ponctué de reconnaissance, je suis heureux. Je sais que j’ai ajouté quelque chose à l’humanité. Je rappelle que la Côte d’Ivoire m’a fait Chevalier dans l’Ordre du mérite Culturel. C’est bien. Mais ce n’est pas cette distinction qui soulagera ma jouissance esthétique.
Vous avez animé des pages littéraires pendant longtemps dans un quotidien de la place. Ce travail de chroniqueur et critique littéraire vous a permis de toucher de près les lettres ivoiriennes. Aujourd’hui, si on vous demande de porter un regard sur la trajectoire de notre littérature nationale, que diriez-vous?
La littérature ivoirienne dessine une courbe qui se dirige vers l’abîme. Aujourd’hui, les maisons d’édition se sont multipliées. Je pense que c’est une grande opportunité qui incite à écrire. Mais il ne s’agit pas de trotter le stylographe sur du papier pour y laisser des traces. Il faut plutôt être visité par la muse, sous la dictée de Dieu. Ecrire est un art. Le journaliste, l’écrivain sont des artistes, et les deux doivent absolument épicer leurs compositions à travers la consommation du savoir, c’est-à-dire la lecture. On ne va pas au rendez-vous de la connaissance la tête vide. Je n’ai pas l’envie d’écorcher ceux qui veulent devenir écrivains à tout prix. Il s’agit de se prendre un peu plus au sérieux pour produire un texte potable. Puisqu’en la matière ce n’est pas la quantité qui compte, c’est la qualité. Et puis quand on veut mener une aventure de cette taille il faut avoir une certaine prédisposition.
Partagez-vous le point de vue selon lequel il ne peut y avoir de grands livres dans un pays où la critique littéraire est marginalisée ?
Absolument ! C’est le critique littéraire qui éclaire le chemin des créateurs. Il sert de stimulant. De ce point de vue, il doit être pertinent, rigoureux, rationnel, quand il dissèque une œuvre. Si tel n’est pas le cas on le qualifie de démolisseur.
Vous êtes un grand poète. Et votre poème Zakwato est, à mon sens, l’un des plus grands textes de tous les temps de notre pays. Quelle est son histoire ?
Je suis flatté par les éloges que vous me faites. Evidemment « ZAKWATO » est une composition majeure. C’est un poème d’inspiration que purifie la décoction du talent et du génie. Quand vous soutenez que « ZAKWATO » est l’un des plus grands textes de tous les temps dans la littérature ivoirienne, vous ne vous trompez pas et vous n’exagérez pas non plus. Des plumes plus exercées et plus honorables dont Jean-Marie ADIAFFI ont également reconnu la flamme littéraire de « ZAKWATO ». Dans la forme comme dans le fond, ce texte joint l’esthétique à l’éthique. L’histoire de « ZAKWATO » a commencé un soir à Gnaliépa, village jouxtant la ville de Ouragahio. Un groupe de chanteurs traditionnels exécutait le « Lougboutou-Weli » littéralement « parole de deuil ». L’un d’eux du nom de Bertin Kahidé dans son tour de versification dit en substance : « dans la course vers le bonheur terrestre, je n’ai pu atteindre le sol. Comme le brouillard, je suis resté sur les feuilles des arbres. Que m’assiste donc « ZAKWATO », le courage fait homme, afin que je puisse supporter le drame qui me déchire. » J’ai été fortement ému par ces paroles de pitié et de désespoir. Rentré à Abidjan quelques jours plus tard, j’ai essayé de produire quelques lignes allant dans le sens de la mélodie (parole de deuil).Au village, les chansons populaires évoquent « ZAKWATO »,personnage extraordinaire qui a pris la résolution de ne plus dormir, mais ces chansons n’expliquent pas pourquoi « ZAKWATO » refuse de fermer les yeux. J’ai donc fait des recherches auprès des gardiens de la tradition orale pour avoir la réponse à la question, et décrire tout le déroulement du mythe de « ZAKWATO ». Contentez-vous de ce que je vous dis aujourd’hui. A bientôt.
« Zakwato » est, certes, tiré de la mythologie de votre terroir, mais il porte votre griffe personnelle.
L’Iliade » et « L’Odyssée » sont deux poèmes épiques qui retracent les différentes péripéties de la guerre de Troie. Le monde Grec selon la force de la tradition a logiquement attribué l’œuvre à Homère. La même logique est respectée chez tous les auteurs qui ont été inspirés par ce conflit. Ainsi se présente le cas de Jean GIRAUDOUX avec sa pièce « La guerre de Troie n’aura pas lieu ». Le récit d’Homère puisé directement à la source de l’évènement est un hypotexte par rapport à la composition de Giraudoux, un hypertexte. Il est donc normal que « ZAKWATO » tiré de la mythologie de mon terroir porte ma griffe personnelle. Comme « la guerre des femmes » porte la griffe personnelle de Bottey ZADI ZAOUROU. Comme « Mahiéto pour Zékia » porte la griffe personnelle de Joachim BOWI DALI. Un auteur qui révèle une épopée, un mythe, ou même un évènement historique marquant, signe le récit. Puisqu’il y apporte sa créativité, fruit de son inspiration.
Votre poème est peuplé de personnages déroutants avec des noms qui sonnent comme des tambours : Zakwato, Zizimazi, ZAGREGUEHIA, DIDDIGBE, KOUEHI, BLEGNON-ZATO, GOFOGNINIWA etc. Les références onomastiques sont si importantes dans votre création ?
« ZAKWATO » est un poème modelé dans l’argile de la tradition orale. Mon ami Henri NKOUMO, poète et critique littéraire, relève que mon écriture tète aux mamelles de la poésie neo-oraliste africaine. Si vous constatez que les noms que j’utilise comportent une certaine musicalité, c’est à l’image de certaines langues africaines qui sont des langues tonales. La langue Bété s’inscrit dans cette veine. Ces noms riches en expression musicale rythment mes vers qui sont des vers libres. Comme vous le dites si bien les références onomastiques sont très importantes dans mes compositions poétiques.
Le personnage de Zakwato, au vu de son passé, serait-il le symbole du manque de vigilance de nos dirigeants ?
Ce que vous dites n’est pas à écarter. « ZAKWATO » a été désigné pour garder la cité. Effectivement, par manque de vigilance, un sommeil cauchemardesque l’a emporté dans les ténèbres. Des envahisseurs ont profité de cette situation pour dévaster la patrie de « ZAKWATO ». Mais le nerf de ce récit se trouve dans la qualité de résistance de l’homme après sa défaillance. Pour se ressaisir « ZAKWATO » se fait violence. Il se rend chez Blégnon-Zato le magicien du fer pour se faire arracher les paupières afin de ne plus dormir. C’est le sacrifice pour une cause collective. Le poème « ZAKWATO » est un hymne aux hommes de courage. L’Afrique a trop dormi, il est temps qu’elle sorte de son engourdissement.
La formule « se couper le paupières » pour ne plus dormir est magnifique. Elle est riche en significations, n’est-ce pas ?
« ZAKWATO » s’arrache ou se coupe les paupières pour vaincre la paresse, la résignation, la sujétion. A la suite de cette truculente opération qui le met à l’abri de toute attitude triviale, il y a le sang qui gicle : C’est le sang du sacrifice réparateur en vue d’amorcer la verticalité, c’est-à-dire emprunter le chemin de la souveraineté, de la dignité.
Au début du livre-poème Zakwato, s’autocélébre en se présentant comme un orage, un homme de vérité, de grandeur…N’est-ce pas l’expression de vos fantasmes ?
Appelez cela comme vous voulez, sinon je ne crois pas à l’expression de mes fantasmes. « ZAKWATO » doit se rendre sur le champ de bataille. Il égrène alors son oriki pour bander ses muscles au plan psychologique, moral et spirituel. On ne va pas au combat en victime résignée. Il faut avoir la faculté de se rendre invincible. Les incantations font partie de la guerre des épithètes. Elles désarment psychologiquement l’ennemi.
Vous êtes bien l’auteur des formules comme « le rire du destin » ou encore « la gueusaille aux oreilles récalcitrantes ». Quels sont vos sentiments quand vous les entendez dans les discours des jeunes écrivains ?
Votre question est belle, bonne et pertinente. Je tiens à vous faire remarquer que le « rire du destin » n’est pas une simple formule. C’est le titre de mon ouvrage qui va bientôt occuper le rayon des librairies. Quant à l’expression « la gueusaille aux oreilles récalcitrantes », je l’ai utilisé dans le poème « ZAKWATO ». Voyez-vous, pour un créateur, il est toujours exaltant que quelqu’un d’autre reprenne ses formules ou ses expressions. Cela veut dire qu’il a été très bien inspiré et que son idée fait foi. Mais ce qui est désolant, il y en a qui font preuve d’inélégance notoire en s’appropriant ce qui ne vient de leur matière grise. Il faut toujours avoir le courage de citer l’auteur. En ne le faisant pas, en d’autres termes, on parle de malhonnêteté intellectuelle. Mais notez toutefois que l’on soit jeune écrivain ou vieil écrivain le bon sens doit s’appliquer.
Henri Nkoumo vous considère comme l’un des plus grands poètes néo-oralistes d’Afrique. Qu’en dites-vous ?
Je ne veux pas faire de l’entorse à la modestie, mais je vous assure que je jouis effectivement de cette qualité. Henri NKOUMO sait de quoi il parle. Il me connait bien. Et il sait éplucher la littérature africaine.
Vous êtes aussi un dramaturge…
J’ai écrit un texte qui est fait pour la scène. Si j’inclus « ZAKWATO » ça fait deux. Ma création « le rire du destin » a été joué en Décembre dernier au Congo Brazza par la compagnie siamois-Expression et « ZAKWATO » attend son tour.
Aujourd’hui vous avez dépassé l’âge de la verdeur et de l’ardeur, quelle image voulez-vous que les Ivoiriens gardent de vous ?
Il n’y a pas d’âge de la verdeur et de l’ardeur. Un écrivain comme Bernard Dadié qui a inauguré les Lettres Ivoiriennes n’a-t-il plus de verdeur ni d’ardeur ? Jean-Marie ADIAFFI et Bottey ZADI ZAOUROU n’avaient-ils plus de verdeur ni d’ardeur ? Il ne faut pas confondre verdure et verdeur. La verdeur rayonne au chapitre de l’intellect. Ceux qui ont une tête bien faite et bien pleine, ne perdent jamais leur verdeur. Elle les accompagne jusqu’au cercueil ! Par ailleurs vous me demandez quelle image je veux que les ivoiriens gardent de moi. Je laisse libre court à leur appréciation mais ce que je sais et qui me désole, j’avoue que les hommes sont méchants et insatiables. Hypocrites et cupides.
Interview réalisée par ETTY Macaire
in LE NOUVEAU COURRIER DU 15 Mars 2013
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