ENTRETIEN JED RUBENFELD
'L'origine du silence', un roman explosif
Propos recueillis par Alexis Brocas
Le 16 septembre 1920, une bombe explose à Wall Street. 30 morts, c'est le bilan du premier attentat terroriste sur le sol des Etats-Unis. Professeur de droit à Yale, Jed Rubenfeld trouve avec cet excellent roman historique une manière d'évoquer indirectement le 11 septembre. Rencontre.
Jed Rubenfeld est sorti de Harvard avec la mention « Magna cum laudes »: « avec grandes louanges ». Il a aussi quitté Princeton avec la mention « Summa cum laude »: les « plus grandes louanges ». Est-ce le goût des éloges qui a poussé ce brillant juriste, aujourd'hui professeur de droit à Harvard, à se lancer dans l'écriture de polars ? |
En 2006, après avoir fait paraître deux austères ouvrages juridiques, il publie 'L'interprétation des meurtres', polar qui connaîtra un incroyable succès, dû à l'un de ses principaux personnages : Sigmund Freud, ressuscité avec un réalisme frappant. Et pour cause : Rubenfeld avait rédigé son mémoire de faculté sur Freud ! Un million d'exemplaire plus tard, le voilà propulsé auteur de best-sellers. En s'écartant de ses domaines de prédilection pour s'intéresser à dans 'L'Origine du silence', il a pris un certain risque. Celui-ci devrait payer, tant le roman, foisonnant, se lit facilement, et tant le mystère de son événement liminaire, un attentat commis à Wall Street en 1920 trouve de résonances avec notre époque. Rencontre avec cet homme, unanimement célébré, qui a encore la bonté de ne pas se prendre au sérieux.
Votre livre se centre sur l'attentat à la bombe devant Wall Street en 1920, et aborde le cynisme des financiers, la montée de la xénophobie, la tentation d'une guerre contre le Mexique... Cherchez-vous à établir un parallèle entre le 20 septembre 1920 et le 11 septembre 2001?
Les parallèles entre l'attentat de Wall Street de 1920 et le 11 septembre sont vraiment étonnants, presque troublants, mais une des choses les plus remarquables c'est que, malgré ces fortes ressemblances, plus personne ne se souvient de l'attentat de 1920. La plupart des Américains ignorent l'existence de l'attentat. Moi aussi, j'ignorais son existence. C'est ce que je voulais décrire. À la fois les similitudes entre les deux évènements, mais aussi notre oubli du premier. Pourtant, les Etats-Unis ont été tout près de déclarer la guerre au Mexique – une guerre pétrolière, défendue par les politiciens souvent influencés ou rémunérés par les magnats du pétrole. La différence entre cette Amérique de 1920 et la nôtre ? L'Amérique de 1920, elle, n'est pas partie en guerre.
Vous évoquez aussi la découverte du radium, les débuts de la psychanalyse, la première guerre mondiale... Pourquoi vous échinez-vous à évoquer toutes ces choses à la fois quand la plupart des polars se centrent sur un seul domaine ?
Pour raconter l'attentat, et montrer les similitudes frappantes entre les deux époques, je devais recréer un monde entier pour mes lecteurs. Les conséquences de la première guerre mondiale, l'incroyable corruption des politiciens américains, l'importance géopolitique du pétrole (aussi cruciale que maintenant, sauf que les gisements se trouvaient au Mexique et non au Moyen-Orient) et jusqu'à la découverte et l'utilisation industrielle du radium, qui annonce l'ère atomique...
À travers votre héroïne française, Colette Rousseau, vous évoquez le massacre de Sommeilles commis par les Allemands au début de la première guerre. Comment vous, Américain, connaissez-vous ce fait d'histoire largement ignoré des Français?
L'horrible attaque de Sommeilles appartenait à une campagne d'atrocités commis par l'armée allemande en Belgique et en France au début de la guerre. Elle est décrite de façon détaillée dans 'The German Terror in France', un court livre rédigé par le grand historien Anglais Arnold J. Toynbee.
Et pourquoi ce souci de vérité? Pourquoi vous intéressez-vous à l'attentat de Wall Street, plutôt qu'à un crime de votre invention ?
Je dirais que les lecteurs de romans historiques sont devenus très exigeants. Ils ne cherchent pas simplement un livre distrayant. Ils espèrent aussi, à travers le roman, s'informer sur une période. En d'autres termes, les lecteurs de romans historiques contemporains demandent une très grande exactitude historique. Cela explique au moins en partie le choix d'une énigme historique dans 'l'Origine du Silence'. Les lecteurs peuvent apprendre un grand nombre de détails précis sur un fait réel. Par ailleurs, lorsque j'ai entendu parler de l'attentat de Wall Street en 1920, j'ai été stupéfait. Je suis tombé dessus en cherchant des précédents sur la façon dont les autorités américaines avaient, par le passé, traité des actes de terrorisme. Je ne pouvais croire qu'il y avait un autre attentat, à deux pas de Ground Zero, et qu'il s'agissait même du plus meurtrier attentat jamais commis sur le sol américain, à propos duquel mes compatriotes et moi-même demeurions parfaitement ignorants. Puis j'en ai appris davantage à propos de l'attentat, les circonstances parfois suspectes qui l'ont entouré, le fait qu'il ne soit toujours pas éclairci aujourd'hui. J'ai su que je voulais écrire sur ce sujet, et que c'était aussi une bonne façon de parler du 11 septembre sans l'évoquer directement.
Votre livre s'intéresse sérieusement à un sujet sérieux, pourtant, il vous arrive souvent de plaisanter. Ainsi, le mauvais de l'histoire, au moment de violer et de tuer l'héroïne, a droit à des répliques très amusantes. S'agit-il de rééquilibrer par l'humour la gravité de votre sujet ?
Utiliser l'humour de manière inattendue, au moment d'une scène douloureuse, est un vieux truc dramatique. Mais je ne cherche pas à rééquilibrer. Ma seule méthodologie d'écrivain, c'est de chercher à écrire un livre que j'aimerais moi-même lire. C'est pourquoi mes livres donnent dans le mélange des genres. En partie thriller, en partie histoire, en partie histoire d'amour, en partie Sherlock Holmes et en partie Indiana Jones. .
Non content de s'intéresser au mystère de l'attentat de Wall Street, votre roman éclaircit le mystère de sa prédiction par un dénommé Edwin Fisher, qui avait même prévenu ses amis de l'attentat.
L'histoire de Fisher compte parmi les anecdotes les plus extraordinaires et les plus suspectes entourant l'attentat de Wall Street en 1920. Imaginez que début septembre 2001, un citoyen américain travaillant à New York ait envoyé des mails à six de ses amis leur conseillant d'éviter le World Trade Center le 11 du mois parce des avions allaient s'écraser dans ses bâtiments. Et imaginez qu'après l'attentat, le gouvernement américain fasse arrêter cette personne avant de l'interner dans un asile de fou. Qu'en penseriez-vous ? Et bien c'est presque exactement ce qui s'est passé en 1920. Fisher a envoyé des cartes postales à une demi-douzaine de ses amis et celles-ci les enjoignaient de se tenir à l'écart de Wall Street le 16 septembre 1920 parce qu'il y aurait un attentat à la bombe de grande ampleur. Quand l'existence de ces cartes postales fut rendue publique, Fisher fut effectivement arrêté et interné. D'ailleurs encore aujourd'hui, la version officielle stipule que Fisher était fou, et que sa prédiction relevait simplement du « coup de chance ». C'est cette version que vous trouverez dans tous les ouvrages d'histoire portant sur l'attentat.
'L'origine du silence', Jed Rubenfeld, traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau, éd. Fleuve noir, 568 p.
Source : www.evene.fr
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