LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Forum : De la « chute » de la poésie en Afrique : A qui la faute ? Que faire ?

 

 

 Il y a quelques jours nous avons fait une contribution pour attirer l’attention des hommes de culture sur le peu d’affection que les lecteurs africains manifestent à l’égard de la poésie. Dans la continuité du débat, deux jeunes poètes et un enseignant ont bien voulu réagir et proposent des voies

 

Soilé Cheick Amidou*, poète

« La nouvelle poésie ivoirienne est née et vivra »

 


 

La Poésie ! Tout un vaste programme alléchant. Modestement, je préfère circonscrire mon propos à la Côte d’Ivoire.

Ce genre littéraire que j’appelle la « reine » est le symbole de la voix du peuple qui crie sa misère et vomit surtout les larves douloureuses de la vie. Le bonheur intense y trouve également une majestueuse chaire pour distiller la saveur de son nectar. C’est aussi le banquet pour les amoureux qui expriment avec grâce les délices de leur passionnante idylle. Le cœur défait s’y agrippe aussi pour s’en servir comme exutoire. Par ailleurs, c’est la pyramide, la Forge   permettant de tresser des vers pour magnifier la beauté, la nature, l’esthétique, la Vie. Malgré toutes ces qualités et ces sublimes atouts, la poésie est, semble-t-il, en perte de vitesse.

Pour moi, les enseignants, les premiers, ont une lourde responsabilité dans le recul de la poésie sous nos tropiques. Pourquoi? L’on a l'impression qu'ils sont eux-mêmes tétanisés par le texte poétique taxé souventes fois d'hermétisme. Ils ne sont pas passionnés par la poésie ni par les lettres qu'ils prétendent enseigner.

Il est grand temps de songer à semer les graines poétiques dans les esprits frais et vierges des apprenants. Nous avons l’impérieux devoir de communiquer le feu qui gronde en nous aux jeunes générations. C’est la saison des labours ! De manière très peu orthodoxe, j'ai mis le pied dans le plat. Sacrilège!

Cependant, il faut reconnaître qu’en Côte d’Ivoire, les choses sont en train de changer. Quand l’on observe l’effervescence et le bouillonnement sur le segment de la poésie, dans quelques années, elle humera, de nouveau, les doux parfums de ses moments de gloire. Dadié, Kotchy, Zégoua Gbessi, Zady… sont de réels souvenirs intenses ! Qui ne se souvient de La ronde des jours ? Et Hommes de tous les continents ? Comment peut-on rester insensible à Zady et Les quatrains du dégoût ?

Grâce à des hommes de lettres dévoués et futés comme Etty Macaire, le président Josué Guébo, Tiburce Koffi, Toh Emmanuel et autres Sylvain Takoué, Cédric Marshall Kissy (le Rimbaud ivoirien), Aimé Comoé, Frédéric Cantraine, la nouvelle poésie ivoirienne est née et vivra. J'en suis rigoureusement certain. Nourrissons-la !

Pour ce qui est des réticences des éditeurs, il s’agit simplement d’un problème commercial. Bien qu’ayant en leur sein des passionnés de lettres, les éditeurs sont avant tout des hommes d’affaires qui souhaitent investir des ressources afin de réaliser des profits. Quoi de plus normal ? Capitalisme et philanthropie débonnaire ne font pas forcément bon ménage. Cependant, leurs portes ne nous sont point fermées.

Alors, que faire pour sortir de l’ornière où la poésie végète?
Il va falloir trouver des stratégies à court, moyen et long termes.

De mon humble point de vue, le socle pour le nouveau printemps de la poésie ivoirienne devra en tout cas être l'école (les élèves) et les medias (tous) qui ont un rôle essentiel à jouer. Le quotidien Le Nouveau Courrier est déjà sur cette voie princière. Gratitude sincère à ses animateurs au passage ! En vérité, l’institution scolaire et les médias pourraient être les locomotives pour définitivement arracher la poésie des mains de Morphée. Il faut intéresser les jeunes en leur inculquant le goût des vers et versets à travers des concours de déclamation et d’écriture. Cela suppose des centres culturels, des bibliothèques dignes et bien sûr des prix. La vulgarisation est nécessairement au bout. Et cette entreprise est possible!

En outre, les écrivains, surtout les poètes, doivent se débarrasser, pour l'instant, de toute idée de gain de lucre. Il faut bâtir l'empire par petites touches désintéressées et généreuses. Le reste suivra ! Nous devons faire nôtres les problèmes contemporains sans oublier le Beau. La langue aussi doit être l’objet de soin attentif, la poésie n’étant pas forcément synonyme d’exercice hermétique. La poésie, c’est communiquer, dire, exprimer le signifié dans une enveloppe de signifiant stylé. La beauté et le fond ! Loin de moi l’idée prétentieuse de donner des leçons.

Pour les éditeurs, l’état pourrait faire des allègements en termes d’impôts et autres intrants en imprimerie pour amoindrir les coûts de production et donc les prix des œuvres.
Fonçons tous en nous soutenant!

Macaire, merci de m'associer à une aussi belle initiative littéraire! Merci pour tout! Au nom de la littérature ivoirienne, de notre culture et donc au nom de l'Ivoirien (pourquoi pas l'Homme), Dieu te récompensera. Qu'il en soit ainsi!

  

(*) Auteur d’Envoûtements, éd. dhArt, Canada, 2012

 

 

 

Aimé Comoé, poète

« Les poètes doivent se munir d’une nouvelle plume »

 

 

 

 

     C'est une question qui vient à propos d'autant plus que nous constatons tous avec désolation que cette femme distinguée qu'est poésie fait l'objet d'une marginalisation notoire de la part de la jeunesse.

     Les solutions que je vais proposer pour remédier à cette situation seront, bien entendu, en adéquation avec les causes qui justifient la déliquescence de la poésie dans la sphère juvénile.

     C'est aux poètes qu'il faut, de prime abord, attribuer la responsabilité de cet état de fait. Ils doivent se munir d'une nouvelle plume. En effet, force est de constater que bien des jeunes ont la phobie de la lecture si bien que leur vocabulaire est atteint d'une pauvreté chronique. Parsemer les œuvres poétiques de mots pédantesques n'aura que pour vocation de torturer leur esprit.

     Outre le message qu'il véhicule,  le poète ivoirien doit également être guidé par le souci permanent de faire rêver ou d'égayer le jeune qui le lit. Ma définition de la poésie se résume en ces termes: « L'art de faire rêver le lecteur en lui véhiculant un message sensé ».

     A ce style d'écriture dont je me fais le chantre, il faut adjoindre la musicalité. N'a t-on pas coutume de dire que la poésie est la sœur jumelle de la musique? Si en Côte D'ivoire la musique est l'art le plus prisé par la jeunesse, la poésie doit pouvoir l'être également. Pour ce faire, les poètes doivent mettre un accent particulier sur les rimes et le rythme lorsqu'ils écrivent. La poésie rimée est une forme de poésie qui se démarque radicalement de la poésie classique et qu'on peut assimiler au slam, un nouveau genre musical également très en vogue à l’échelle internationale. Faire rimer des vers ne relève par de la magie d'autant plus que les jeunes chanteurs le font aisément.

     En plus, il existe une forme de poésie dont les poètes classiques sont les avant-gardistes: la poésie dialoguée. Elle est intrinsèquement dynamique et peut être jouée à l’instar d’une pièce théâtrale. Les faiseurs de vers se doivent de s'y essayer également.

      La léthargie de ce art est aussi imputable à la négligence dont font montre les autorités du système éducatif et en filigrane les enseignants à l'égard de la poésie. Elles se doivent de redorer le blason de cet art dans toutes nos écoles. La poésie doit être considérée comme une discipline à part entière qui doit être prise en compte dans les différentes évaluations. Enfant, j'écoutais avec fascination ma grande sœur chanter "L'aurore s'allume". Je pouvais à travers l'éclat de ses yeux et son timbre vocal déceler l'amour qu'elle vouait à cette "chanson". Ce n’est qu’en Terminale que j'ai découvert son auteur en lisant Les rayons et les ombres. Il s’agit bien évidemment du célébrissime poète français Victor Hugo. En effet, à l'époque les poèmes étaient déclamés ou chantés dans les établissements. De telles pratiques doivent resurgir sous l'impulsion du ministère de l'éducation nationale.

       Enfin, le ministère de la culture, les organes de presse et les médias doivent conjuguer leurs efforts afin de permettre à la poésie de bénéficier d'une audience favorable auprès des personnes qui sont au printemps de leur âge. Ils doivent en conséquence initier de façon récurrente des conférences, des concours de poésie (déclamation, écriture) et récompenser de façon conséquente les lauréats afin de les galvaniser. A ce sujet j'ai un grief à formuler à l'endroit de certaines institutions qui organisent des concours littéraires dont les résultats sont toujours sans suite.

 

 

Lohourougnon Guy-Martial, Critique littéraire

                     

« Allons  au secours de la poésie »

 

 

 

Pour se convaincre de la nécessité d'amener les cœurs à la poésie, il n'est que de faire un diagnostic de la situation. Lorsque nous jetons un regard dans le rétroviseur de l'histoire, nous ne manquons d'être séduits par une société naguère rythmée par la poésie. Dans l'Afrique ancienne, les griots traditionalistes étaient les préposés de la science poétique, les maîtres de l'art de la périphrase et de la métaphore. Les vers  fulgurants ouvraient les yeux aux mystères de la vie. Qui ne se souvient pas encore de la déclamation de Balla Fasséké, le griot du grand Soundjata, le jour du "KOUROUKAN-FOUGAN ou le partage du monde". Un véritable hymne faisant les éloges de la grandeur du roi Soundjata, le libérateur du peuple. Morceau choisi :

                   

 Niama,Niama, Niama

 Toi, tu sers d'abri à tout

 Tout, sous toi vient chercher refuge.

 Et toi, Niama,

 Rien ne te sert d'abri

 Dieu seul te sert  d'abri

 Dieu seul te protège...

 (page137 Soundjata ou l'épopée mandingue, Djibril Tamsir Niame)

 

Qui ne se souvient pas aussi de "Souffles" de Birago Diop. Laissons-nous bercer par un pan  de ce  plus que célèbre poème.

                             

 «  Ecoute plus souvent

  Les choses que les Etres

  La voix du Feu s'entend.

  Entends la voix de l'eau.

  Ecoute dans le vent

  Le buisson en sanglots:

  C'est le souffle des ancêtres.

  (...) »

                                       

Un véritable classique qui a marqué tous les élèves et férus de la poésie.

Aujourd'hui si les jeunes sont insensibles à la poésie, on trouvera les raisons de cette infimité dans les différentes productions.

 

Les poètes et leurs œuvres

Si la poésie est l'art d'évoquer, de suggérer les sensations, les impressions par une tournure particulière que l'on donne à la langue pour la rendre plus belle et plus frappante, elle ne doit pas être une porte ouverte à l'ambigüité ou encore à l'ésotérisme poétique.

La poésie ne rythme pas forcement avec hermétisme. Elle est avant tout message, langage. Les poètes gagneraient à rendre leurs textes plus accessibles. Le caractère suggestif de la poésie ne doit pas dresser le lit d'une  poésie ésotérique. Car le talent d'un boin poète ne se mesure pas au crin de son hermétisme. C'est d'ailleurs cette façon d'écrire qui donne une peur bleue  aux élèves.

Les enseignants en tant qu'acteurs principal de la formation des élèves doivent vulgariser la poésie en suscitant des ateliers d'écriture et en utilisant de plus en plus des textes poétiques comme supports didactique. Certains professeurs se spécialisent dans  l'étude des textes romanesques ou théâtraux; ce qui inhibe chez les élèves le goût de la poésie.

 

Les éditeurs: fossoyeurs  des œuvres poétiques

Les maisons d'édition sont certes des entreprises commerciales, mais cette qualité ne doit pas leur enlever le premier rôle qui est le leur, la promotion des œuvres.

Les œuvres poétiques sont rarement inscrites au chapitre des maisons d'édition. Le désir effréné de faire des chiffres  a pris le dessus sur tout. Selon les éditeurs les œuvres poétiques ne s'achètent pas. Cette attitude  tue la volonté des jeunes talents à s'adonner à la poésie et Dieu seul sait combien de manuscrits sont en souffrance dans les tiroirs des maisons d'édition.

Autrefois, la poésie était inscrite  dans les programmes scolaires. Dès le cours primaire déjà, aucune composition de passage ne se faisait sans que l'élève ne récite un poème. Tous, élèves, avions exprimé nos talents naissants en déclamant des poèmes devant le maître ou la maîtresse. Me revient encore l'écho vibrant de "La sauterelle" de Robert Desnos.

Aujourd'hui, les programmes et les progressions édités par l’inspection pédagogique du ministère de l'éducation nationale ne permettent pas à l'enseignant d'apprendre sérieusement la poésie  aux élèves

Il est temps que l'on prenne conscience de l'importance de la poésie. Car ne pas faire de la poésie, c'est décider délibérément  de marcher les yeux fermés.

 

 martialzoug@yahoo.fr

 

 Propos récueillis par ETTY MACAIRE

 

publié dans Le Nouveau Courrier du vendredi 14 juillet 2012



16/07/2012
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