LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Entrevue avec Régina Yaou

 

Régina Yaou n’est plus à présenter. Avec environ 25 livres publiés, elle est une figure importante des lettres ivoiriennes.  Il y a quelques jours, les Nei-Ceda ont eu la géniale idée de célébrer ses 36ans de carrière d’écrivain.  Après cette cérémonie mémorable, nous avons trouvé utile de lui arracher quelques mots.


36 ans de carrière en littérature…J’ai envie de dire « déjà ? »

 

Trente-six ans de carrière en littérature. Oui, déjà ! Je fus moi-même étonnée le jour où mon éditeur me le fit remarquer. Mais j’ai passé de longues années dans « la clandestinité », puisque j’ai commencé à écrire depuis l’âge de douze ans, depuis 1967 !

 

Pourquoi célébrer 36 ans au lieu de 30 ans ou même attendre 40 ans ?

 

La célébration de cet anniversaire n’est pas de mon fait. Mais pourquoi pas la 36e année ? C’est certainement le temps de Dieu. Et rien ne m’empêche de fêter mes 40 ans d’écriture si l’Eternel me prête encore vie.

 

Le roman « Lezou Marie et les écueils de la vie » est souvent considéré comme le point de départ de votre carrière. Des souvenirs ?

 

 

Lezou Marie est certes ma première publication, mais je ne considère pas ce roman comme le point de départ de ma carrière. En effet, c’est La Citadine, la nouvelle qui a gagné un prix au concours littéraire des Nouvelles Editions Africaines d’Abidjan, en 1977, qui m’a révélée au grand public. Lezou Marie est l’œuvre qui est venue confirmer, en quelque sorte, le bien que l’on pensait de moi. Oui, des souvenirs, des bons comme des moins bons. L’un de mes meilleurs souvenirs, la dédicace de Lezou Marie lors d’une soirée de la Ligue Ivoirienne des Secrétaires où j’ai vendu 300 exemplaires. L’un de mes pires souvenirs, c’est le jour où j’ai participé à une émission télé avec Frédéric Grah-Mel qui, contrairement à ce qui avait été présenté comme principe de l’émission, a purement et simplement descendu en flammes Aihui Anka. Ironie du sort, ce livre demeure à ce jour un de mes plus grands succès en librairie.  

      

Y a-t-il un livre dans votre bibliographie auquel vous êtes attachée particulièrement et quelles en sont les raisons ?

 

Oui, plutôt deux livres : La révolte d’Affiba et Aihui Anka. Le premier titre parce qu’il m’a permis d’être sélectionnée par le comité d’organisation de la 3e Foire Internationale du Livre féministe et d’être invitée au Canada en 1988 pour représenter mon pays, ce qui m’a fait connaître en occident. Il avait même retenu l’attention du jury pour le prix littéraire d’Afrique Noire en 1982, mais pour une histoire de parrainage, je n’ai pu adhérer à l’association et faire concourir mon livre. Le second, Aihui Anka, est celui qui m’a arraché des larmes à la fin de la rédaction alors que j’avais moi-même inventé cette histoire de toutes pièces. C’est aussi un livre qui a fait l’objet de nombreux articles de presse.

 

Aujourd’hui quand vous relisez certaines de vos œuvres, vous arrive-t-il d’avoir envie de réécrire certaines phrases ou certains paragraphes ?

 

Non, je ne crois pas. Je suis de ceux qui pensent que le « premier jet » est toujours le meilleur. Je suis de ces écrivains qui, pendant les travaux avec les correcteurs, acceptent rarement de voir leurs phrases complètement transformées. J’écris avec mon âme, vous savez…

 

L’on se plaint souvent des maisons d’édition. Régina Yaou, vous qui les avez pratiquées pendant trois décennies, dites-nous sincèrement ce que vous pensez de ces structures et de leurs pratiques?

 

Existe-t-il un éditeur idéal ? Je ne pense pas et, de ce fait, j’entretiens souvent des rapports conflictuels avec eux. On se « bat » souvent, mais bon… Je pense qu’ils ne font pas tout ce qu’ils devraient pour leurs auteurs, surtout en matière de traductions et de promotion. Mais j’apprécie ceux qui produisent des livres beaux, attrayants et sont à l’écoute de leurs auteurs. Je ne suis pas mal lotie avec Nei-Ceda même si je ne facilite pas la vie à cet éditeur. Je profite de vos colonnes pour dire merci à cette structure pour tout ce qu’elle fait pour moi et surtout pour m’avoir consacré cette journée-hommage, la toute première organisée pour une femme écrivain par son éditeur. On m’a souvent lancé des fleurs, mais jamais mon pays ne m’a décorée comme une valeur sûre de sa littérature. Il a fallu un éditeur pour m’honorer publiquement !

 

Votre dernière œuvre sur le marché est « Opération Fournaise », un thriller ; cette fois-ci, vous fouinez la vie politique et les relations entre les dirigeants africains et ceux de l’occident. Votre intention apparemment est de dénoncer. N’est-ce pas ?

 

Evidemment ! Que tous les présidents africains se disent qu’aucun d’eux n’est à l’abri de coups d’Etat. Il se trouvera toujours quelqu’un qui se laissera acheter pour ces basses besognes. Et tant que l’Africain n’aura pas compris que la politique, ce n’est pas une histoire de se partager les richesses d’un pays ou de parenté, c’est ainsi qu’iront les choses. Je dénonce surtout le fait que nos personnalités politiques sont inaccessibles pour le commun des mortels. Même pour sauver leur vie et leur régime, il est impossible de leur parler ! Leur entourage forme une barrière infranchissable.

 

La situation de votre personnage principal semble celles qu’ont vécues de nombreux leaders africains.

 

Oui, bien que Edgar Mèvakan soit une création de l’auteur que je suis, il y a en lui un peu de plusieurs leaders africains. Cela dit,  il n’est pas mon personnage principal. Je ne parle pas vraiment beaucoup de lui, sauf au moment de l’exécution de l’opération fournaise. C’est en fait Christelle Eykanan, la jeune fille qui se bat pour éviter le pire à son pays et à son président, qui est mon personnage principal.

 

Cette œuvre est la deuxième de votre production qui s’inscrit dans le genre « thriller ». Une évolution ou un changement de registre ?

 

C’est un genre que j’ai essayé et qui, apparemment, me réussit. J’ai déjà une idée pour le troisième. Mais cela ne veut pas dire que c’est désormais le thriller le seul genre de Regina Yaou. Surtout que j’ai une collection de romans « ordinaires » à diriger. Je compte également publier un autre recueil d’histoires étranges, c’est-à-dire, des nouvelles. Je resterai dans l’histoire littéraire ivoirienne comme la première femme à avoir publié des thrillers, comme je l’ai été concernant la nouvelle, en tout cas, d’après les recherches de Akwaba Culture-Prix Ivoire (rires)

 

Votre séjour aux Etats-Unis aurait-il eu un impact sur votre rapport à l’écriture ?

 

Oui, absolument. Etre écrivain et surtout un écrivain connu et apprécié, ce n’est pas rien aux USA. C’est d’abord après mon passage au Canada en 1988 que j’ai réalisé qu’écrire pouvait parfaitement être un métier à plein temps ; mes deux séjours (1991-1993 et 2005-2009) aux Etats-Unis m’ont confortée dans cette idée. Le fait d’avoir enseigné ou donné de nombreuses conférences dans plusieurs universités américaines juste parce que je suis un auteur connu en Côte d’Ivoire et ailleurs, m’a fait porter  un autre regard sur la création littéraire que j’ai longtemps considérée comme un simple passe-temps. Aujourd’hui, je m’y consacre et cela m’apporte beaucoup sur le plan psychologique, je suis plus épanouie. C’est ma passion et vivre sa passion, c’est quelque chose d’idyllique, n’est-ce pas ? Côté finances, ça n’est pas tous les jours facile, mais même la plupart de ceux qui sont salariés vivent la même chose…

 

Quelle place revendiquez-vous aujourd’hui dans la littérature ivoirienne après une carrière aussi riche ?

 

Je ne revendique aucune place, c’est aux autres de dire où ils me situent. La preuve, je n’ai jamais rien fait pour être sur la toile, mais sur google et facebook, il y a une foule de documents sur Regina Yaou. Tout ce que je sais, c’est que par la grâce de Dieu, je continuerai d’écrire et je m’accorderai la chance de faire publier ma quinzaine de manuscrits inédits. Je crois même que je suis déjà inscrite en bonne place dans l’histoire littéraire de mon pays, que demander de plus ?

 

Merci Régina. Un mot à votre lectorat…

 

Un grand merci à mes lecteurs et à mes fans. Si depuis la parution de Lezou Marie en 1982 jusqu’aujourd’hui, je n’abandonne pas la publication, c’est grâce à leur soutien. Maintenant, il y a un fan club à leur disposition. Ils peuvent s’inscrire par sms, en envoyant leurs noms, prénoms et mails aux numéros suivants : 46.81.22.40 ou 58.47.09.03. Que Dieu les bénisse.

 

Interview réalisée par Etty Macaire

 

 in Le Nouveau Courrier du 7 juin 2013



13/06/2013
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