Des mots de Sylvestre Ourega sur La Légende de Manlé de Félicité Annick Foungbé
Félicité Annick FOUNGBE est une jeune écrivaine d’origine ivoirienne qui fréquente le milieu des lettres depuis 2003, l’année où elle publie Terrible secret, sa première œuvre littéraire aux éditions NEI. Puis en 2009, elle récidive avec Le treizième apôtre : sectes et obscurantismes en Afrique, aux éditions L’Harmattan.
C’est donc une plume bien aguerrie qui nous offre La légende de Manlé, une œuvre de 178 pages, cette fois-ci, avec la complicité, des éditions Balafons.Il faut préciser, à toutes utiles que Félicité Annick FOUNGBE est diplômée en réalisation cinéma et analyste sur Libreafrique.org et aussi professeur d’anglais.
La légende de Manlé est une œuvre romanesque légendaire, comme se veut Gloire et déclin apocalyptique, une œuvre d’Etty Macaire, un écrivain et critique littéraire, bien connu dans le milieu des lettres ivoiriennes.
La légende de Manlé est comme son nom l’indique, une légende, un mythe, un récit populaire merveilleux qui part d’un fait vrai, réel, qui subit, cependant des transformations aux grés des circonstances de la narration. Un genre littéraire où le narrateur se donne la liberté de manipuler les faits à sa guise pour émouvoir, émerveiller, voire choquer son lectorat ou son auditoire. La légende de Manlé n’échappe donc pas à la règle.
Félicité Annick FOUNGBE, en décidant d’écrire la légende de Manlé, un mythe bien connu chez le peuple dan, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, dans la région de Man prend de gros risques. Car, vouloir relater une histoire si populaire de façon romancée en préservant en même temps l’essence, cela s’appelle avoir de l’audace, et Félicité en a eu, de l’audace.
De quoi s’agit-il ?
La légende de Manlé est l’histoire d’un roi nommé Louty, qui, fatigué de ne faire que des mâles décide de prendre une nouvelle épouse pour enfanter une fille. Trois épouses (Yolou, Saty, Yeuneu) et une douzaine de mâles, à son compteur. Toutefois, au motif de vouloir à tout prix une fille pour lui donner le nom de sa mère, il prend une quatrième épouse : Kolé ! La venue d’une quatrième épouse va sérieusement ébranler la couronne. Deux camps vont alors s’affronter : les pro-Kolé d’un côté et les anti-Kolé de l’autre. Le bien et le mal vont se livrer une guerre impitoyable, sans merci. Toutes sortes d’intrigues vont dès lors se jouer sous le regard presqu’impuissant du monarque. Le royaume devient rapidement un champ de bataille où les forces occultes vont occuper tous les espaces et la sorcellerie va commencer à régenter le quotidien des paisibles populations du royaume dan.
Félicité Foungbé nous entraine ainsi dans l’univers de la polygamie dans un palais royal, où humour, sarcasmes, commérages et pratiques occultes malveillantes de toutes sortes vont se côtoyer et tenir en haleine lecteur jusqu’au point de chute de l’œuvre.
C’est dans un tel contexte d’hostilité que va naître Manlé, la fille tant désirée. Manlé naîtra comme par enchantement de Kolé la quatrième épouse du roi dès sa première maternité. Manlé, le petit rayon de soleil, qui manquait tant à la puissance procréatrice de Louty, vient ainsi illuminer le royaume de sa beauté singulière contre vents et marées. Très vite, et ce, alors que sa vie est en perpétuelle danger de mort, Manlé va devenir le plat de résistance de l’œuvre. Elle en sera l’héroïne, la chouchoute du roi Louty. En fait, l’amour que le roi Louty va vouer à la petite Manlé va rapidement devenir obsessionnel, au point qu’il va jusqu’à envisager de faire d’elle son héritière au trône. Est-ce seulement possible dans une société où l’on ne badine pas avec le droit d’ainesse et où le regard qu’on portait sur la femme n’avait encore connu de mutation ? (P. 87)
Tout ceci n’empêche pas Manlé de croitre, de prendre du volume et de devenir une jeune femme très bien élevée. Après avoir courageusement été éprouvée par la terrible morsure du coutelas de l’excision, Manlé est maintenant dans les dispositions requises pour être donnée en mariage. Le roi lui-même va se charger de lui trouver un mari. Bien sûr, sa pensée va aller tout de suite vers tout ce qu’on pourrait trouver de sang royal dans les contrées voisines. Mais comme dans une fable, la princesse se montre difficile, en y mettant toute la fantaisie qu’il faut au niveau des critères pour le choix du futur époux.
En réalité, le cœur de la princesse, maintenant âgée environ de dix-huit, avait déjà commencé à battre pour Gatomou, un jeune guerrier courageux et bel homme. Mais en fille bien élevée, à la mode africaine, elle ne fera jamais savoir à ce dernier ce qu’elle ressent pour lui. Toutefois, le cœur ayant ses raisons que la raison ignore, les deux tourtereaux finissent par se découvrir en s’envoyant quelques signaux : tout se trouve dans le geste, le regard, le sourire voire la manière précautionneuse de se parler. Gatomou étant certain, pour sa part, de ce qu’il ressent, propose courageusement un rancard à la belle princesse pour lui déclarer sa flamme.
Quel intérêt socioculturel revêt l’œuvre de Félicité ?
Félicité Foungbé dans cette œuvre prône un retour aux valeurs traditionnelles : Elle évoque la valeur éducative des contes (P. 38), le payement des amendes en cas de transgressions des lois ou règlement de la communauté (P. 46), la chasteté (P. 148), le droit d’ainesse (p. 87).
L’œuvre a aussi une valeur historique. Elle réside dans la proximité entre dan et malinké, l’histoire du pont de lianes (p.107) et le probable lien entre la tribu de Dan d’Israël et les Dan. L’œuvre évoque également les mythes et mystères de l’Afrique notamment aux redoutables pouvoirs mystiques prêtés aux jumeaux (p.35), la sorcellerie (p. 49-50). Le sens du devoir et du sacrifice de Louty fait penser à des sacrifices tels ceux d’Abraham, d’Abla Pokou et de Jésus-Christ.
Le style de l’auteur dans ce livre est marqué par l’emploi du présent de l’indicatif qui est un mode de narration vivant et le soin apporté à son écriture : chaque phrase a été polie. On note aussi la pertinence des répliques tellement appropriées qu’on a du mal à croire qu’il s’agit de personnage de papier. Cet ouvrage est un film dont le casting a été superbement mené : Les personnages ont été bien choisis et sont restés constants chacun dans son registre. On a l’impression que Félicité a passé de temps à construire les personnages avant de se lancer dans l’écriture de son œuvre. Personne n’a trahi. Qu’il s’agisse du roi, de la reine-mère, que des quatre épouses et de Manlé, tous ces personnages ont parfaitement joué leur partition.
La légende de Manlé est une œuvre de belle facture. Et Félicité Annick Foungbé son auteur est une écrivaine confirmée. Pour nous, le fait qu’elle soit encore dans l’anonymat est une injustice. Car il y a bien longtemps qu’elle aurait dû déjà commencé à manger à la table des grands : des Bandama Maurice, Tiburce Koffi, Regina Yaou, Isaïe Biton Coulibaly, etc. En vérité sa plume n’a rien à envier à tous ces grands noms de la littérature ivoirienne. Comment ne pas rappeler cette pensée de Hubert Aquin : « La littérature existe pleinement non pas quand l'œuvre est écrite, mais quand un lecteur remonte le cours des phrases et des mots pour devenir, par ce moyen, co-créateur de l'œuvre. »
Sylvestre Ourega
Enseignant-Concepteur d’ouvrages scolaires
La légende de Manlé (Félicité A. Foungbé), éditions balafons, roman 2013.
In Le Nouveau Courrier du 03 janvier 2014
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