De la nécessité de traquer les clichés littéraires
par Macaire Etty
En photographie, le cliché désigne une image négative obtenue à la chambre noire. En littérature, le cliché est une formule ressassée dans les mêmes termes, et qui finalement est devenue banale, usée, sans intérêt. Il investit les pages des œuvres littéraires sous formes d’images.
On a souvent parlé de « lieu commun » ou de « poncif », autres variantes du cliché. Dans les allocutions officielles, les communiqués, les conversations, les articles de presse… des hommes et des femmes respectables, par manque d’inspiration ou d’originalité, reprennent les mêmes idées, les mêmes phrases avec une constance déconcertante. Par habitude et par paresse, on cite les mêmes images, les mêmes adages, les mêmes formules. Vous entendrez par exemple des formules comme « la charité bien ordonnée commence par soi-même », « si tu ne fais pas la politique, elle te fera » « derrière un grand homme, se cache une grande dame » etc. Les hommes politiques sont, à notre avis, les plus grands utilisateurs de clichés. La plupart développent un discours stéréotypé où sont utilisés régulièrement les mêmes termes.
En littérature, l’abus des clichés a pris des proportions inimaginables. Ils sont si présents qu’on a l’impression qu’ils sont incontournables. Pour faire une description, les écrivains ne font plus d’effort. Des métaphores et des comparaisons toutes faites sont à leur disposition. Ils en font usage sans modération et surtout sans les passer au tamis de la réflexion. Pour « dessiner » un portrait, on refuse de créer de nouvelles images. On préfère puiser dans le « trésor » intarissable des « formules figées » des « prêt-à-penser ». Pour évoquer la beauté d’un homme, par exemple, l’écrivain paresseux écrira simplement « beau comme un dieu » si ce n’est « beau comme Apollon». D’une femme belle, on ne manquera pas d’évoquer « son cou strié » « ses yeux d’amende » ou « sa peau d’ébène », comme si l’on était frappé par une panne d’inspiration. Il s’agit en réalité d’un manque d’originalité, d’une incapacité à se distinguer.
Pourquoi Césaire est-il considéré comme l’un des plus grands poètes de tous les temps et son Cahier comme « le plus grand monument lyrique du XXè siècle » (André Breton) ? Eh bien, c’est parce qu’il a osé des images qu’on ne retrouve nulle part ailleurs avant lui, même pas dans la littérature française qui l’a nourri. Comment ne pas s’émouvoir quand le Nègre Fondamental, parlant des pieds du Nègre du tramway, écrit : « Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante de la tanière entrebâillée de ses souliers » ? (in Cahier d’un retour au pays naral)
Les clichés ont l’inconvénient d’entacher l’esprit de créativité de l’écrivain. Ils envahissent son ouvrage et souillent ses pages de termes banales et de formules usées à force d’être utilisées. Certaines images stéréotypées se sont tellement bien incrustées dans les esprits qu’elles s’imposent à l’écrivain comme les seules possibles. Lisez attentivement des romans d’amour, un crayon à la main, et vous serez surpris par le nombre de clichés convoqués. Même s’il n’est pas permis au premier venu de créer des images ou pondre des métaphores, certaines formules à force d’être utilisées finissent par agacer voire à provoquer le rire.
L’image, nous le disons avec force, est encore plus belle et plus frappante lorsqu’elle sort de l’ordinaire, lorsqu’elle est inattendue. Si nous admirons Senghor c’est parce qu’il est un accoucheur d’images. Ecoutons le poète sérère peindre la femme noire : « Femme noire/ Femme nue/ Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche ». Ecoutons-le encore par la voix de Chaka « dessiner » Nolivé : « Ma négresse blonde d’huile de palme à la taille de plume/ Cuisse de loutre en surprise et de neige du Kilimandjaro/ Seins de rizières mûres… »
Les clichés doivent être traqués et nettoyés. L’exercice, je l’avoue, n’est pas une sinécure, lorsque, de tout temps l’on a baigné dans cette atmosphère d’uniformité. Pour les astiquer, l’écrivain doit pouvoir, au préalable, les reconnaitre. Or les repérer dans un texte ou les éliminer est une tâche extrêmement ardue. Il faut vraiment être attentif et surtout être soucieux d’originalité pour s’en débarrasser.
L’écrivain est un créateur. Il doit s’efforcer à être imaginatif, ingénieux, fécond. La littérature pour être dynamique, dans un pays ou une époque, a besoin de se renouveler. Et ce renouvellement se situe surtout dans l’écriture. L’effort, le souci d’originalité, la quête du beau doivent conduire l’écrivain à arpenter des sentiers abrupts, à ouvrir de nouvelles voies, à créer des images.
In Le Nouveau Courrier du 28 mars 2014
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