Dans l’antre du loup de Régina Yaou : Un thriller africain dans les règles du genre.
Roman des mœurs, roman psychologique, roman sentimental, roman à l’eau de rose, nouvelle, récits étranges et maintenant…thriller. Régina Yaou aura exploité tous les genres, ou presque, de la prose. Toujours avec le même talent et la même fraicheur renouvelée.
En nous proposant le thriller, Dans l’Antre du Loup, la romancière franchit un palier de sa trajectoire d’autant plus que ce genre prisé dans le monde anglo-saxon n’est pas vraiment vulgarisé en Afrique francophone. L’intrigue est celle d’un véritable roman à suspense avec tous ses ingrédients.
Comme bon nombre d’Africains, Bédi est grisé par le mirage américain. Grâce à un ami du quartier, Mike, qui y séjourne depuis un moment, le jeune ivoirien pose ses valises au pays de l’oncle Sam. A ses questions sur quatre de leurs amis qui y sont venus avant lui de la même façon, Mike répond de façon évasive. La curiosité de Bédi d’en savoir plus le conduit à fouiner dans les affaires de son hôte. La découverte qu’il fait est innommable. Il vient, de ce fait, sans le vouloir, de s’engager dans le couloir du danger. La mort comme une épée de Damoclès plane sur sa tête. Bédi devient un fugitif qui doit se battre pour survivre. Le rêve américain vire au cauchemar.
Course-poursuite, méfiance, filatures, loi d’Omerta, menaces, chantages, assassinats, espionnage, filature, sexe, drogue, volte-face…tout le cocktail du thriller. Regina nous conduit dans le monde de la pègre, un monde mafieux déroutant où l’esprit de lucre, le meurtre et le gain facile supplantent tout scrupule. Là, la mort plane effroyablement, griffes dehors. Et le tic-tac du temps qui s’écoule ne fait qu’exacerber la tension. Les personnages du milieu inspirent effroi et répulsion, mais tous sont des morts en sursis. Le personnage de Black Man, un concentré du vice et du cynisme, est l’image achevée de la terreur.
L’écrivaine ivoirienne se laisse aller à son inspiration, se permettant même quelques « libertés ». Cette fois-ci, aux antipodes de sa nature réservée, pour coller au genre, sa plume décrit des scènes érotiques à la limite de la pornographie : « De nouveau, il sentit sa virilité se dresser. Relevant les jambes de sa déesse et les posant sur ses épaules, il s’enfonça dans sa chaude et humide intimité… » ( page 58). Dans la même veine, Régina installe son histoire dans l’espace américain avec tout ce qui le caractérise. Pour avoir séjourné aux Etats-Unis et ayant une connaissance de la langue de Shakespeare, elle est à son aise. Par les références spatiales, toponymiques et onomastiques, l’insertion de l’anglais populaire, la tension quotidienne et le style de vie qu’elle imprime à ses personnages, la romancière réussit le pari de construire une trame digne d’un scénario de film américain.
Le rythme qu’il imprime à sa narration est saccadé. Le récit se gardant des descriptions ennuyeuses, marche, court vers l’essentiel. Malgré de nombreux flashes-back, il garde son intensité et ne laisse aucun répit au lecteur qui, pris au collet par le vertige du jeu du suspense, du fardeau des délais répétés au fugitif, n’a aucun autre choix que de poursuivre sa lecture. Tous les personnages sont pris comme par un vertige qui rejaillit sur le lecteur ; ce dernier mis sous tension s’inquiète à chaque page du destin du personnage principal et s’active pour débusquer la nature de la découverte de Bédi. L’action est soutenue jusqu’à la dernière page.
Régina Yaou mêle avec tact les focalisations avec une préférence au point de vue du personnage. Cependant, sa plume ne se laisse pas « colonisée ». Régina garde son style de narratrice africaine. Le parler ivoirien y est présent, une sorte de contrepoids à la langue anglaise qui parsème son livre.
L’histoire de Bédi est un regard critique sur l’Amérique, qui loin d’être un paradis est un mirage. Sur ce continent, s’il est possible au ver de terre d’atteindre la lune, souventes fois, les hommes sont pris dans les serres d’une vie en perpétuelle ébullition où déclin, mort et folie s’entremêlent.
Dans l’antre du loup est un roman agréable à lire qui comblera parfaitement la soif de tous les adeptes du suspense et de la tension. Ce livre, par son intensité rythmique ferait une très belle adaptation au cinéma.
Macaire ETTY
Régina Yaou, Dans l’antre du loup, Les classiques ivoiriennes, Abidjan
in Le Nouveau Courrier du 23 novembre 2012
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