LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Et revoilà le Cameroun avec sa tradition de grands romanciers de la lignée des Ferdinand Oyono et Mongo Béti. Un auteur : Charly-Gabriel Mbock, une plume mature, une imagination fertile. Un roman : Et tu seras ma veuve. Publié dans une maison de référence au deuxième trimestre de l’année 2011 : NEI/CEDA. Un roman de mœurs où monte comme un fumet la fragrance de la terre tropicale africaine. Une belle intrigue : Depuis la mort suspecte de son époux lors d’une chasse au sanglier organisée à son honneur, Ngo Bikilia dite Mpuma (Diamant) est veuve.  Dotée d’une beauté féerique, elle suscite des convoitises masculines. D’un côté Kendek Miyik, son beau-frère à qui elle revient de droit comme héritage, mais la veuve ne le supporte ; il est soupçonné d’avoir causé la mort de son époux. De l’autre côté, Ntamack, poussé dans le dos par sa mère, l’intrigante Kindak Bahoya, la mère-des-noces de Mpuma, se découvre lui aussi le droit d’épouser la sulfureuse veuve. Une lutte à couteaux tirés s’engage. Kendek et Ntamack  s’empoignent. Intrigues, pièges, empoisonnement… Les forces occultes s’en mêlent. Mais Mpuma est un diamant ; et la conquête d’une pierre précieuse n’est pas chose aisée. Harcelée et persécutée, la veuve est déterminée à sortir des mailles des usages ancestraux. Son cœur bat pour un autre : Tonye Mbom, un homme marié, chasseur émérite. Il est d’ailleurs le seul à s’emploie à ne pas laisser la veuve, dans le besoin. Malgré sa discrétion, son caractère mesuré, son épouse le soupçonne d’aimer Mpuma… Un jour, Ngo Lipan, la dite épouse, sort le grand jeu en allant elle-même faire venir à la maison Mpuma, sa future coépouse, victime d’un sinistre. Tonye Mbom remporte « la course ». Mais bien avant,  la « guerre » pour la conquête de la veuve tourne au tragique. Kendek et Ntamack, perdent non seulement le combat mais la vie.

Par cette histoire d’amour discret entre une veuve et l’ami de son mari, l’auteur rend hommage à l’amour pur, désintéressé, débarrassé des calculs mesquins et du poids de coutumes indécentes. Le personnage principal, Mpuma sur qui se cristallisent toutes les passions, charrie une personnalité magnétique qui accroche et étonne à la fois. Par son refus audacieux  d’être un héritage qui revient de droit à son beau-frère, cette femme s’attribue le statut d’une combattante intrépide, d’une révolutionnaire. Avec une audace déroutante, elle aspire à vivre, à décider de son destin, à choisir sa voie et mieux… à montrer la voie. « Le lendemain, jour de la palabre, Mpuma Biyong fut méconnaissable. Une nouvelle femme était née en elle. Elle ne tira pas seulement sur la corde qui la rivait à la tradition…Elle rompit la chaîne, affirma son droit de choisir son conjoint… » (P.88). Dans un Cameroun jaloux de son passé et soucieux de préserver ses lois ancestrales, Mpuma se distingue par son héroïsme, son courage et sa bravoure à toute épreuve. Alliant splendeur physique et magnificence morale, elle est la métaphore du gentelwoman, la femme complète car « A Song Ntap, la beauté du corps que n’avait pas complétée celle du cœur faisait définir toute femme belle comme un charmant malheur » (P. 20) Son itinéraire traduit la volonté de l’auteur de contribuer à libérer la femme du carcan des pratiques misogynes et phallocrates qui chosifient et réifient la femme.

La fin de l’œuvre, (Tonye est mordu par un serpent venimeux), inquiétante, haletante, avec ce petit goût d’inachevé, entretient superbement le suspense. Elle traine une sorte de mystère, sème mille et une interrogations, aiguillonnant ainsi la curiosité du lecteur. Avec le style vivant des conteurs africains, Gabriel Mbock nous réconcilie avec cette littérature africaine faite de spontanéité, de vivacité et de profondeur. Le récit est entrecoupé de dialogues à la fois cocasses et graves avec en toile de fond ces paroles profondes où coule la sagesse africaine. Les maximes foisonnent : « …l’amertume fausse les avis les plus bénéfiques » (P.86), « En une journée le soleil ne se lève qu’une fois et une seule » (P.87) « L’enfant qui respecte les vieux ne manque de rien »(P.209), « L’amour est un sentiment que les êtres qui se veulent intelligents ne connaissent pas : ils raisonnent au lieu de vivre » (P.204).

         On ne peut refermer ce roman sans s’interroger sur cette déroutante "faune  onomastique » qui heurte le lecteur peu familier à ces noms…difficiles à assimiler : Tonye Mbom, Komboye, Song Ntap, Ta Man, Ntamack bahoya, Kindak Bahoya, Kendek biyik, Biyong bi Nkén, Ngo Masseng…Des noms homonymes et des noms paronymes ; on s’y perd inévitablement par manque de vigilance. Le caractère rébarbatif et scabreux des noms est joliment compensé par cet artifice littéraire qu’est l’humour qui fonctionne comme un génial contrepoids. En effet, l’humour, propre au Cameroun, à tous les coins des pages emballe le lecteur et le dompte. Morceau choisi : « Kibotan ouvrit un œil, le droit, et dressa une oreille, la gauche » (P7) Un vrai régal !

Le roman Et Tu Seras ma Veuve de Chary Gabriel  Mbock en nous plongeant dans le quotidien d’un village s’affirme comme un retour aux sources, un retour à l’Afrique ancienne telle qu’elle est, sans pommade, sans fard, avec ses éclairs et ses nuages, ses sourires et ses peurs. C’est l’image contrastée, sans complaisance, d’une Afrique généreuse, solidaire, jalouse de ses traditions, mais aussi d’une Afrique des intrigues, des mystères, des ombres, des forces occultes que nous offre cette grande plume de l’Afrique centrale.

Charly Gabriel Mbock, anthropologue camerounais, est né en 1950. Il a écrit des ouvrages tels que Quand saigne le palmier, la croix du cœur et Cameroun, le défi libéral.

Publié par le Nouveau Courrier du 13 octobre 2011 

ETTY Macaire

Critique littéraire

ethimacaire@yahoo.fr