LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Coup de gueule/Le pays va mal !

L’autre jour, quelque part, au milieu de nulle part, on s’amusait comme on peut à regarder dans la bouche des journaux nationaux (locaux). Imaginez un peu le spectacle. Il y avait tellement d’images que nous avons perdu quelques bouts de raison.

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Quoi ! Toute la presse puait son sadique partenariat avec la politique, cette Princesse de Lagune avec laquelle on aura tout vu, tout observé, mais pour qui nous ne gardons que ce fantasme hors-paire qui nous domine, nous abasourdit, et que nous aimons quand même. La singulière actualité qui suscite tant d’intérêts et cabales différentes mord cruellement sur son chemin l’actualité littéraire, véritable point d’ombre dans un pays qui abrite encore de grands prix littéraires d’Afrique. Mille journaux, mille lectures, mille scandales et imbécilités politiques, zéro mandat pour la littérature. En clair, cette presse est vierge de page littéraire. La politique étant le seul intérêt de grandeur et d’élévation souvent jointe à elle-même. Ah la Princesse de Lagune ! Drame national ? Malaise au pied du Conquistador ? C’est le refus du réel traumatique.

 

Devons-nous considérer alors que, dans ces conditions difficiles, la littérature est le refuge loin du politique, qui amène une sorte d’indifférence rouge ? Cela y va de soit. Pour nous, avec la sueur, les larmes et du courage, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert long feu. La place d’une page littéraire dans un journal – bien sûr qu’on n’oblige pas les patrons claniques et classiques de presse ivoirienne à l’accepter – c’est aussi utile que du beurre dans un morceau de pain pour un enfant qu’on veut voir grandir. Avec une population joyeuse d’analphabètes cinq étoiles, d’une jeunesse gagnée par la bêtise politique, d’un conseil de presse qui fauche du revers de la main Dame Littérature (certainement la laide au visage de diable qui prendra inutilement de la place dans le journal), d’un ministère de tutelle qui revendique moins l’examen, le choix de crier (sans être entendu) s’avère nécessaire. Il pleut encore. Et cette fois, c’est un vent violent, une tornade espiègle aux muscles barbares. Parce qu’aujourd’hui, c’est par un pur hasard qu’on lira l’interview d’un auteur ou la critique d’une œuvre littéraire. Cela est sans intérêt. Le peuple n’en demande pas. Et pour des scoops, annoncer une œuvre littéraire, c’est souffler. Seul vous entendez. Cela attire moins que l’odeur d’une pomme pourrie. Ce n’est pas faux ! « Monsieur X, grand prix littéraire d’Afrique noire ! », ou « L’écrivain Y explose de nouveau ! », brigue ? Franchement, ce n’est pas pathétique comme scoop ? N’en riez pas. Nos yeux s’accrocheraient plus à l’explication sur la forfaiture d’un éventuel effondrement du parti bleu ou vert, n’est-ce pas ? Et la plaie est profonde. Elle est noire et horrible.  

 

Pourtant cette femelle-mâle qu’est la littérature a sans doute participé à la construction d’un univers fictif, d’une poésie sonore, devenue, quand la liberté d’expression a été bafouée, une échappatoire pour survivre. Elle a toujours été ce trait d’union entre le témoignage véridique et la réalité indicible d’une part, et la transposition dramatique et la métamorphose artistique d’autre part... Dame Littérature forme les citoyens et donc les hommes politiques. L’éducation et l’enseignement scolaires ont, théoriquement, pour objectif d’aiguiser la conscience critique des élèves : les œuvres littéraires, par leur polysémie et la richesse des interprétations possibles, sont un des meilleurs moyens pour y parvenir – sans parler de la sensibilisation à la beauté de l’art d’écrire. Pourquoi donc lui refuser une lucarne, même la plus infime possible ? Tension bavarde ! Cela criera dans les 100 quartiers, mais il faut revaloriser la presse ivoirienne devenue une vraie bouillie politique. Aux patrons de presse : aidez ces journalistes de culture à parler de ce qu’ils savent le mieux, à parler de la littérature. Ce serait une façon pour vous de tuer l’analphabétisme et d’arrêter de noyer le peuple dans cette bouillie qui brille très souvent de maladresses et de mensonges à quatre épingles.

 

 Manchini Defela

in Le Nouveau Courrier du 30 Août 2013

 

 

 

 



01/09/2013
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