LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

COUP DE GUEULE : Pathétique!

La différence entre un bon psy et un mauvais est la dimension humaine. On ne soigne pas un humain comme une voiture, en lui mettant un antigel comme on mettrait un antidépresseur pour permettre à la « machine » de mieux repartir. Il y a toute la dimension sociale et d’une manière plus globale, une dimension littéraire qui est l’âme propre de l’humain : son ressenti, ses sentiments... Parce que l’arme du littéraire, c’est le pouvoir des mots par son mode de pensée et son ressenti.

La création littéraire permet de faire ressortir la vie (et la mort aussi) au travers des mots et de nos sens. La littérature est un endroit pour voir loin. Elle, sanglot latent qui roule d’âge en âge, est le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre existence. C’est un flambeau pour changer de regard, et peut-être ultimement, soi-même. Apprendre donc par la littérature, c’est s’ouvrir d’abord à soi et par cette exploration intérieure, apprendre à se changer soi-même, parce qu’elle porte en elle cette part de vérité où s’origine l’efficacité du Verbe.

Et pourtant, le monde du Livre est tarabusté. Et ce depuis la sortie du Ministre de l’Enseignement Supérieur, M. Gnamien Konan, le vendredi 16 mai 2014 devant une poignée d’étudiants de l’INPHB de Yamoussoukro. « On ne peut pas rendre un pays émergent par la littérature. Moi je n’ai jamais appris que la littérature a permis à un pays d’augmenter son PIB ou de faire de la valeur ajoutée (...)» Incartade ? Coup de semonce ? Rapine intellectuelle ? Emergence ?

Même avec l’allure la plus élégante de l’esprit, le bordel est la seule chose qui foisonne mon cerveau et ma bonne mémoire. Pourquoi peut-on contester une loi ? Pourquoi peut-on l’interpréter de différentes façons ? Pas que pour une question juridique ou politique, mais par le pouvoir des mots. Et quand on comprend mieux le sens des mots et la puissance qu’ils dégagent, on peut alors mieux sentir le sens des discours politiques et lutter contre toute sorte de manipulation car le choix des mots n’est jamais anodin, il reflète ce qu’on a en chacun de nous : notre personne. « Lisez, et vous ne mourrez pas idiot ! », voici l’unique vérité que m’a apprise la société. Alors comment expliquer cette « désormais » légendaire autopsie ? 

Il y a deux ans, on s’interrogeait sur l’intérêt de maintenir une filière littéraire dans les lycées et certaines grandes écoles à caractère technique : résultats de quarante années de « scientifique à tout prix » ! Or depuis quelque temps, la côte des littéraires remonte peu à peu dans les entreprises. On parle de plus en plus de la nécessité d’une culture humaniste pour gérer les relations sociales, mettre des mots sur les choses et les comportements pour mieux les appréhender. Ainsi, les choses belles dont on se souviendra au moment de notre mort ne sont pas imprimées dans les sciences. Nos nostalgies, nos amours, le sens de notre existence, la beauté, tout cela est dans la littérature et nulle part ailleurs. Renoncer à la littérature, c’est comme devoir à un attentat.  Et nous l’en priver, c’est nous priver de ce qui nous rend humain.

Et voilà que les écrivains ont répondu d’une lettre « molle » au Ministre « très scientifique » par la voix de leur président. Mais cela suffit-il vraiment ? L’occasion ne leur est-elle pas donnée de retracer les fondamentaux, rééquilibrer cette association sur la civière, appeler à la fédération de tous les écrivains, organiser ensemble de meilleurs évènements littéraires nationaux, des dédicaces groupées, taire l’hypocrisie galopante dans ce milieu, lutter pour une meilleure prise en charge des écrivains par les éditeurs et les libraires, puis par l’Etat lui-même et la tutelle en particulier, donner de la voix aux Lettres et aux écrivains ? Le Ministre « très scientifique » ne donne-t-il pas l’occasion de refaire le monde littéraire ivoirien qui peine à s’imposer à cause des indigestes gestions presque chaotiques et lamentables de ces dernières années, des périssables théories qui glanent les lèvres sans jamais passer la bague à la terre ?

La meilleure réponse au Ministre, c’est la prise de conscience collective des écrivains à réparer, à voler un rêve et à cueillir une organisation digne de son nom, capable d’être la Voix qui parle à l’Etat, propose le changement, éclaire les esprits, et gouverne la lecture.

 

Manchini Defela

Journaliste, critique littéraire        

 



25/05/2014
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