LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Coup de gueule / La télévision nationale : l’art non, l’argent bien sûr !!!

Ecrire est un artisanat qui exige goût et régularité. Pas de bon écrivain sans rythme de travail régulier. Si on dérange des imprimeries, c’est parce qu’on a quelque chose de plus à apporter avec son manuscrit. Une fois le livre paraît, l’écran est une plage capitale et revendicatrice. 

 

Pour ce faire, les médias, et la télévision en particulier, doivent faire accéder l’écrivain à une célébrité soudaine qui n’a plus rien à voir avec les usages réglés de jadis où l’œuvre marquante, l’aisance oratoire, l’élection par les pairs au sein de cénacles ou d’académies consacraient la notoriété. On attend désormais de lui qu’il soit à la hauteur du coup médiatique suscité. Certains assument parfaitement cette surexposition et excellent dans l’art de cultiver leur originalité. Avec leurs chiens en laisse et leurs moues cyniques, beaucoup font leurs numéros, fanfaronnent, provoquent, d’autres brillent par leur érudition, déclament des poèmes et s’expriment à l’aise aux micros de journalistes. Captivants par leur seule télégénie, les écrivains accèdent ainsi à la dimension cathodique. Mais que se passe-t-il en Côte d’Ivoire ?  

 

On en parle beaucoup cette année – encore que tout est relatif – qu’une certaine émission littéraire, lancée dans le cadre d’une exceptionnelle croisade culturelle à l’ivoirienne, vise notamment à faire préférer aux téléspectateurs ivoiriens un livre d’un auteur quelconque aux enquêtes d’une honorable armée.  

 

Mais personne pour se voiler la face. Malgré leurs bonnes intentions, nos actuels présentateurs littéraires  – certains au café, d’autres sur leur bateau, tous avec leurs librairies - peuvent-ils aujourd’hui capter l’attention des foules et leur donner le goût de lire ? Ont-ils réellement trouvé la formule magique qui transfigure le discours littéraire, le sauve de ses pompeuses dérives, pour en faire un spectacle culte, fédérateur ? Ben, croyez-le, nous sommes très loin de cet hallucinant rêve. Une émission diffusée chaque lundi à 11h00, suivie seulement par trois gaillards de la famille de l’écrivain-invité. Une émission qui passe au tamis la pile d’écrivains pour n’inviter que ceux dont la poche accroche… L’émission littéraire à la télévision nationale passe comme un orage en saison sèche. Et le plus souvent, on perd vite le fil. Difficile de trouver le juste équilibre entre la critique véritable, la promo plombante et le divertissement complètement creux. Pourtant, il y a quelques années auparavant, on pouvait dire qu’on avait des écrivains sur un plateau. Des images qui étaient des trésors, et où des écrivains cultes, se confiaient sans discours préfabriqués. En tête-à-tête avec l’auteur, le présentateur conversait et démontrait qu’il a lu et analysé sans exception l’œuvre dont il est question. Quant au dispositif de l’émission, sans artifice aucun, il semblait même pousser les écrivains à la confidence. Ou presque. 

 

On a souvent parlé du « règne de Tiburce Koffi » pour évoquer cette période pendant laquelle le présentateur est devenu, peu à peu, le Monsieur Livre par excellence. Sur son plateau et face aux écrivains, Tiburce était chez lui, allant parfois jusqu’à faire de l’ombre à ses invités... C’est ainsi qu’il pouvait se permettre de recevoir les écrivains, et même, quand cela était nécessaire, de préparer à l’avance les questions et les réponses qui s’échangeaient en direct, comme ce fut le cas pour de nombreux écrivains. Jugez-en vous-mêmes à travers quelques-uns des précieux extraits que vous retrouverez. L’opinion qu’on peut sans doute avoir sur le potentiel de l’émission littéraire d’aujourd’hui est qu’il est sans foi ni loi. Sans originalité ni goût. Sans véritable travail ni professionnalisme. Faire simple et clair avec des spécialistes érudits réclame beaucoup plus de travail que de faire grandiloquent, incompréhensible, et rempli de sous-entendus que le présentateur est le seul à connaître. 

Il faut alterner les formes, inhiber l’arbitrage des élégances, stopper les coups de théâtre, proposer et projeter un cycle de rencontres véritables sous les feux des médias, points d’orgue d’une saison littéraire, en partenariat avec l’Association des Ecrivains de Côte d’Ivoire, pour défendre la place de la littérature à la télévision car on a tout faux… Le livre étant devenu aujourd’hui un produit qui reflète la valeur culturelle d’un pays, il est important de préparer le peuple ivoirien à être surpris, car surprendre le lecteur et/ou le téléspectateur serait une politesse culturelle, littéraire. 


 

Manchini Defela 


 

in Le Nouveau Courrier du 05 avril 2013 

 

 



07/04/2013
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