LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Communication/Marché de la poésie : quels enjeux et quel avenir ?

 

 

Ce texte qui suit est une reformulation condensée de notre communication au Sila dans l’atelier consacré à la poésie avec tout ce qu’il y a de risque d’escamotages et d’incohérences entre les différentes articulations.

 

 

Zadi Zaourou


Amis du livre, Poètes et amateurs de poésie!

L’inquiétude et l’amertume nous empoignent chaque fois que nous portons un regard sur le commerce que la poésie entretient avec le public. La poésie, bien que belle, ne dresse pas de monde en Afrique. Cette sulfureuse jouvencelle semble être frappée par la malédiction. Nos élégies et nos « tohourous » ont certes la splendeur poétique d’une larme mais jusque là, ils n’ont pas réussi à briser les liens qui maintiennent notre enfant commune dans l’anonymat et le célibat.

Nous voudrions, ici, ouvrir des pistes de réflexion afin que la poésie ne soit pas condamnée au destin d’une belle fille que tout le monde admire et courtise sans que personne n’ose demander la main.

 

Le paradoxe du marché de la poésie

 

Originellement, en Afrique,  la poésie est le genre le plus populaire car relevant de l’oralité. Aujourd’hui encore, il y a un public qui adore la poésie. Qui n’a jamais été ému en écoutant les prouesses oratoires inspirées d’un Bomo Mamadou, surnommé justement « le maître de la parole » ? Quel jeune n’est-il pas amoureux du rap et du slam, deux expressions poétiques des temps modernes ? Les Africains aiment la poésie. Et cela est normal d’autant plus que selon Senghor, l’émotion est nègre.  La vie des Africains est rythmée par le chant et la musique ; or, il est connu avec Senghor que « le poème n’est accompli que lorsqu’il devient rythme et chant ».

Alors d’où vient le problème ? Le problème surgit lorsque la poésie, parole proférée, devient parole écrite, pétrifiée sur du papier. Dès lors que la poésie se mue en livre, elle se couvre de voile, elle perd sa magie et son aura et s’éloigne de la multitude. Nous comprenons alors pourquoi, en CI, le marché de la poésie, est sinistré. Les maisons d’édition, connaissant la réalité du marché du livre se gardent d’éditer des poèmes. Le champ de la poésie est par conséquent menacé de disparaitre.

 

 Charles Nokan


 

Les enjeux de l’inexistence du marché de la poésie

 

- Nous allons inéluctablement vers une désertion progressive des créateurs du champ poétique pour d’autres champs plus porteurs. Les poètes progressivement se muent en romanciers ou en nouvellistes.

- La poésie est à l’origine du renouvellement du langage littéraire. Privées de productions poétiques, les lettres ivoiriennes risquent de perdre leur vitalité Attiré par le dieu-Argent, notre littérature va basculer dans la médiocrité et la platitude.

- Notre peuple dans son entièreté court le risque de perdre son âme. Nous serons condamnés à ne consommer que de la poésie étrangère et à l’étudier au point de nous délester d’un pan de notre identité.

- Senghor disait : « La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du Monde ? ». C’est le poète ou l’artiste en général qui par l’émotion qu’il procure aide l’humanité à vivre. Sans poésie, l’Ivoirien sera privé de rêve, d’utopie. Il va se retrouver pris au piège du désespoir face à des démons tels que la guerre et la politique. Sans poésie, sans émotion, nous serons réduits à être morts-vivants, des tam-tams crevés, incapables d’émettre des sons. Adonis affirme : « La poésie rend la vie sur terre plus belle, moins éphémère, moins misérable ». Sans poésie, nous sommes serons réduits à des êtres misérables et charnels voués à la convoitise et à la destruction.

- Nul n’ignore que la poésie a une fonction critique. Par sa puissance dénonciatrice, elle révèle la société à elle-même. La poésie est un accélérateur de conscience. Sans poésie, l’Ivoirien sera condamné à l’assoupissement, à l’engourdissement, au sommeil.

- Cette stagnation va nous faire perdre notre rang et notre statut de grande nation de littérature en Afrique (la Côte d’Ivoire est certainement parmi les cinq grandes nations francophones des lettres africaines).


Perspectives : quel avenir du marché de la poésie ?

 

Face à un tel tableau aussi sombre, on n’a pas le choix que de sauver le marché du fruit de nos veilles. Est venu le temps de cesser de larmoyer en arrachant à nos dodos et nos balafons des notes plaintives. Il faut passer à l’action. Et il existe au moins deux signes qui, exploités intelligemment, peuvent aider à la survie de ce champ de nos passions.

Le premier signe est qu’ils sont nombreux ceux qui aiment la parole poétique. Ce qui fait défaut ce sont les consommateurs d’ouvrages poétiques. Le second signe, c’est l’existence de jeunes talents, de jeunes poètes. Les uns ont des livres sur le marché (mais combien d’exemplaires vendent-ils ?), les autres publient sur la toile.

Ayant d’une part des amateurs de poésie, un public qui attend d’être conquis et d’autre part des talents qui attendent d’être révélés, il s’agira de répondre à ces deux questions : 1)Comment amener les amoureux de la parole poétique à acheter et à lire les livres de poésie ? 2) Que faire pour donner une chance à l’édition des ouvrages de poésie et pérenniser le marché de la poésie ?

 

 Mes propositions


Il faut :

-  Amener le ministère de l’éducation nationale à donner une grande place à la poésie à l’école en l’imposant à tous les niveaux. Par l’introduction des œuvres d’auteurs nationaux dans les programmes et l’intégration de la poésie dans les exercices de production de textes.

-  Créer des clubs de poésie dans les écoles et les suivre.

- Créer les conditions de rencontres régulières entre les poètes et les élèves et étudiants.

- Multiplier les concours de poésie et promouvoir les œuvres et les auteurs primés.

- Organiser des concours de déclamation, de récitals de poèmes.

- S’organiser pour publier deux anthologies de poésie ivoirienne : la première en format papier et l’introduire dans le cursus scolaire et la seconde en format sonore, en format DVD.

- Adopter  le réflexe de n’offrir pour cadeau (de noël, du nouvel, d’anniversaire, de mariage ou pour autre chose) qu’un ouvrage poétique.

- Conquérir la radio et la télévision nationale en écrivant des projets de véritables émissions consacrées à la littérature en prévoyant une lucarne spéciale pour la poésie.

- Inciter la presse écrite à consacrer hebdomadairement ne serait-ce qu’une page à la littérature notamment à la poésie (critiques, comptes rendus de lecture, poèmes, entrevues)

- Se donner les moyens pour créer un festival de poésie avec des activités diversifiées comme le récital, la déclamation avec soutien musical, la lecture publique, les conférences, les débats, les hommages, la remise de trophées.

- Exhorter des mécènes à intervenir dans le champ poétique pour lui donner plus de visibilité et de vitalité. Je pense à des passionnés de poésie nantis capables d’injecter de l’argent dans le secteur comme cela se voit au niveau des sports dits mineurs (tennis, natation, rugby).

- Amener les écrivains eux-mêmes à être les premiers grands consommateurs et acheteurs d’ouvrages poétiques.

- Signer par le biais de l’Aeci (soutenue par le ministère de la culture) une convention avec les éditions leur demandant de publier un certain nombre d’ouvrages poétiques par an.

- Mettre sur pied par l’entremise de l’Aeci un observatoire des activités des maisons d’édition en faveur de la poésie. Son rôle sera de publier chaque année un classement qui mettrait en valeur les éditeurs qui ont le plus œuvré pour la poésie.

- Favoriser un regroupement des poètes en vue de la création d’une maison d’édition par leurs propres soins en se faisant parrainer par une grande maison de l’Europe et de l’Amérique.

 

Amis du livre, Poètes et amateurs de poésie, Notre enfant, notre fille, la poésie, est belle et sulfureuse. Comment peut-elle rencontrer l’âme sœur si elle est toujours enfermée dans la cour familiale ? Comment peut-on attirer des prétendants quand elle est absente lors des grandes rencontres ludiques sur la place publique ? Notre devoir c’est de la parer de ses plus beaux habits et de créer nous-mêmes des occasions afin qu’elle jouisse de plus de visibilité. Il faut encourager les prétendants les plus timides à franchir la porte de notre maison. Couvrons la poésie, notre enfant, de notre amour, de nos soins par la mobilisation de nos ressources, intellectuelles, financières, physiques. C’est à cette seule condition, qu’elle ne sera pas condamnée au destin de vieille fille qui menace son avenir. Poètes d’ci, la balle….que dis-je ? L’inspiration est dans notre camp.

 

Etty Macaire

 

in LE NOUVEAU COURRIER DU 14 DECEMBRE 2012



17/12/2012
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