LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« Au-delà des tourments » d’Hélène Lobé : Les roses poussent dans les épines.

 

 

 

A travers les siècles et par delà les espaces, Cupidon a toujours tenu les créateurs dans ses délicieuses serres. Et Lobé n’échappe pas à la règle. Apres « Le Voile de  Doux Leurre » qui a marqué son entrée en littérature en tant que créatrice, Hélène Lobé revient avec un deuxième roman : Au-delà Des Tourments, publié chez Cercle Editions. Son livre est une séduisante histoire d’amour. Et quelle histoire d’amour?

 

 

L’amour est à la fois poème et râle

 

Nicodème Sabi blessé par le départ de Nadia, son épouse bien aimée, s’encanaille dans la débauche charnelle pour noyer son chagrin. Victoria Layé, amoureuse d’Abou Atito, découvre avec effarement que l’élu de son cœur est un vil égoïste doublé d’un polygame qui vit de conquêtes féminines. Le chemin des deux écorchés se croise par un heureux hasard. Ils s’amourachent l’un de l’autre sans oser se l’avouer. Malgré les hésitations et les méfiances, les deux tourtereaux décident de franchir le pas. La courbe ascendante de leur idylle, on ne peut plus parfaite, va malheureusement connaitre un brusque arrêt. Nicodème succombe à la tentation de la chair. Une escapade avec sa secrétaire est surprise par Victoria de la façon plus humiliante. Le rêve est brisé. Pour la jeune fille, c’est une interminable et insupportable déchirure. Mais, il faut pouvoir transcender les tourments pour donner une chance à l’amour. « Car comme l’amour vous coiffe d’une couronne, il peut aussi vous clouer sur une croix » écrivait Khalil Gibran (In Le Prophète). Sous le regard d’une nature déchainée et au bord d’une mer rugissante, les deux amoureux scellent la réconciliation. La chute du roman, d’une beauté esthétique de haut niveau est digne d’un scénario hollywoodien.

Autour de l’histoire d’amour de Victoria et Nicodème, gravitent d’autres histoires : celles de Léa et celle de Sobah. Au-delà des Tourments ce sont trois histoires d’amour, trois destins sinueux qui se croisent, s’entremêlent et se dénouent.

Le livre d’Hélène Lobé articule amour et blessures, bonheur et trahison comme pour dire qu’il n’existe pas d’amour heureux. Cœurs broyés,  amours brisées, espoirs éventrés. L’amour serait il un pleur ? Les personnages bien que socialement privilégiés n’échappent pas au glaive de Cupidon. Victoria est crucifiée par Abou Atito, un mâle enclin à la polygamie et aux conquêtes féminines. Léa pensait trouver le bonheur auprès du bel Apollos mais découvre, les yeux embués de larmes, que son amoureux est bisexuel : le cœur de son prince est partagé entre elle et un mâle‑femelle. Nicodème est abandonné par Nadia, sa sulfureuse épouse ambitieuse et affamée de luxe et de mondanéités. Le MDL Sobah, un miraculé de guerre, connait de longs mois d’errance sentimentale.  

La plupart des personnages de Lobé, à un moment de leur trajectoire, sont projetés dans l’enfer de la douleur. Faut-il se laisser choir dans le désespoir ? Et si les blessures sont des leçons à déchiffrer ? Apparemment c’est ce que comprennent les personnages. Oublier le passé. Pardonner les trahisons. Avec philosophie, ils ont la force de recommencer et d’aimer une fois encore. Car malgré sa lame, l’amour est la porte d’entrée au paradis. Le plus important c’est de puiser en soi l’énergie nécessaire pour ne pas sombrer dans l’anéantissement. « Parfois, l’amour peut faire aussi mal que le manque d’amour. Mais quand on aime, on éveille sa conscience à l’éternité, c’est tellement beau…Tout est alors possible » (page 199)

 « Au-delà des Tourments » se veut à la fois un roman de formation et de surpassement. Un roman de formation : il prépare les cœurs les plus jeunes en leur présentant toutes les facettes de l’amour. Un roman de surpassement : car il donne la force de transcender « les miasmes morbides » (Baudelaire) pour les régions éthérées.

Hélène Lobé ne nous berce pas d’illusions à travers une histoire à l’eau de rose faite d’idylle immortelle, de chevalerie et d’amourette parfaite. Son livre malgré le rêve qu’il offre se veut réaliste. Braises et ronces parsèment le chemin de l’amour. Mais  force doit être à l’espoir et à l’optimisme. Les cinq parties qui articulent l’œuvre offrent en prologue cinq leçons de vie,  cinq secrets formulés sous forme de maxime, à l’endroit de tous les quêteurs de bonheur. Les maximes qui rythment l’œuvre proposent des sujets de méditation à tous les candidats aux vertiges du cœur.

 

 

Une belle écriture au service d’une histoire de « blessures sucrées »

 

 Au-delà des Tourments est aussi l’histoire d’une écriture. Une plume qui se veut esthétique. L’histoire romanesque est servie par une écriture d’une réelle beauté. Le style d’Hélène Lobé est certes simple, mais savoureux et digestif. Fondé sur l’art de la description, il nous permet de découvrir de façon saisissante les personnages dans leurs quotidiennetés, dans leur rapport avec l’amour. Les personnages ne sont pas simplement nommés ou évoqués. Ils sont « dévêtus », « exposés » pour laisser voir leur intimité,  leur réalité psychologique, leur tableau abyssal. La plume de Hélène comme un pinceau enchanté ne s’épuise pas de nous révéler les couleurs, les formes, les gestes, les vêtements. Des pages entières ont la poésie d’une toile. Morceaux choisis :

« La robe de soirée, sans bretelles, était coupée dans de la soie noire et riche. Le bustier enveloppait gracieusement la poitrine de la jeune femme puis descendait en des plis vaporeux jusqu’aux chevilles, donnant l’impression de tournoyer à chaque mouvement » (174)  

« Victoria portait un soutien à balconnet de dentelle rouge assorti d’un minuscule string. Sept rangs de fines perles fluorescentes soulignaient son bassin… » (page 179).

Les scènes d’amour et les épisodes érotiques atteignent souvent des sommets que seul Tiburce Koffi a pu atteindre dans ses œuvres littéraires. Extraits de la page 181 pour le plaisir :

« Ils gémirent quand leurs deux corps s’emboitèrent. Deux puzzles destinés à s’assembler. Il était dur là où elle était humide. Droit où elle était sinueuse et profonde. Homme et femme, destinés à ne donner qu’une seule ombre, depuis l’éternité. Nicodème tremblait…Puis plantant son regard dans le sien, il se mit à se mouvoir dans l’étroit fourreau avec une lenteur délibérée… » (Page 181).

A la même page : «Il bougeait, elle répondait.  Il donnait, elle prenait…Ses mouvements s’accélèrent et s’approfondirent davantage. Un son rauque lui échappa et il exposa en elle tandis qu’elle se tordait d’extase contre lui ».

Sublime inspiration ! Jet de mots somptueux pour dire la jouissance ; phrases serties d’adjectifs évocateurs ; phrases au souffle des cantiques à l’honneur d’Eros.  Lobé fait honneur aux lettres en polissant sa prose. L’auteure, cependant, ne tombe dans la vulgarité du langage qui blesse la pudeur. Elle évacue les grossièretés et trouve les mots idoines pour nommer la sensualité et la consommation sexuelle. Ses descriptions dégagent une délicatesse et un tact qui apaisent les sens. Le lecteur qui sort du livre ne peut s’empêcher de pousser des soupirs de satisfaction.

Le ralentissement du récit, par moment, dû aux descriptions, loin d’être superflu participe à mieux nous imprégner de la tension ou du moins du drame intérieur des personnages. Car la description et notamment le portrait ne sont pas de simples ornements ; ils participent à la construction du sens. Par ce roman, Hélène s’inscrit désormais au panthéon des spécialistes de la description romanesque.

Si le roman plait par la forme et le fond, les exégètes de la mise en page noteront le peu de professionnalisme qui caractérise le traitement technique des dialogues. Les découpages du texte en paragraphes et les sauts de ligne souvent échappent sont faits au mépris des règles de l’art.  Ces manquements incombent à l’éditeur et spécifiquement à l’imprimeur. Un roman est un objet esthétique, un objet d’art. Il mérite par conséquent de bénéficier de tous les soins dans la mise en page.

 De son premier roman au second, Hélène Lobé « qui écrivait » est devenue une écrivaine c'est-à-dire une artiste. « Au-delà des Tourments » a le goût d’une femelle qui mérité d’être « cueillie »  sans préliminaires.

 

ETTY Macaire

Critique littéraire

 

 

Au-delà des tourments, Hélène Lobé, Cercle éditions, Abidjan, 2011

 

Ce texte a été publié dans le quotidien ivoirien LE NOUVEAU COURRIER du vendredi 29 juin 2012



30/06/2012
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