LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Le petit garçon qui peinait à parler : Quand un rasta fait chanter sa plume

 

Kajeem hante le monde des arts ivoiriens depuis quelques années. On le sait talentueux parolier et jongleur de mots. On le connaissait déjà comme un amant des vocables, un accoupleur de sons ; on le savait poète, un quêteur d’harmonie sonore. Ses admirateurs le couvrent du sobriquet périphrastique  « l’intellectuel de la musique ivoirienne ».

 

 

En 2012, il publie un recueil de nouvelles chez frat-mat éditions : Le Petit garçon qui peinait à parler. Dix nouvelles qui prouvent qu’il n’y a pas de cloisonnement étanche entre les arts. Kajeem est un esprit épris de paroles, assoiffé d’expression. Après avoir choisi la musique pour libérer le feu qui brûle en lui, il s’est ouvert une autre voie qui certainement n’est pas la plus simple : l’écriture. Son entrée dans le champ de l’écriture littéraire n’est pas un viol mais bien un aboutissement logique d'un parcours. Ces dix nouvelles témoignent de son désir de se faire entendre autrement. Des bouts de vie cueillis ici et là, des bouts de vie narrés, poétisés pour leur enlever la membrane boueuse à l’aide de mots.

Les personnages de Kajeem, balancés par la vie, sont en quête de reconnaissance, de justice, d’amour. Chacun d’eux porte en lui un peu de son créateur. Tous leurs actes révèlent leur désir d’échapper aux serres d’une société intolérante. Leurs chemins ne sont pas toujours recommandables mais ils brûlent tous de la même soif : s’exprimer, vivre, que dis-je, survivre.  Grâce au net Richard brise la glace de sa timidité et s’entiche de Tina : « Il venait de croiser la route de celle avec qui il allait croquer la vie à pleines dents » (p 19), William, artiste-musicien en herbe, après une traversée de désert remporte « le Grand Concours National de Jeunes Talents » (p22) ; Que veut Alex si ce n’est de vivre un amour sincère et transparent que ne peut satisfaire Mouna ? Pourquoi Aimé, marié, pleure-t-il la mort de sa maitresse si ce n’est parce que celle lui procurait un certain équilibre ? Du pouvoir qu’attendait Kassy, si ce n’est les meilleures conditions de vie pour sa progéniture ? Que dire des ces enfants de la rue Moussa, Jonathan, Séka et Bouréima si ce n’est de survivre ? La nouvelle éponyme au titre de l’œuvre concentre l’idéologie qui sous tend l’œuvre. Il s’agit de briser le silence afin que triomphent les valeurs enfouies et luise la vie.

« Le Petit garçon qui peinait à parler » est une sorte de sublimation. Ce que l’on ne peut dire car confronté à des difficultés langagières, on l’exprime par l’écriture. Kajeem n’a pas fait comme Moise qui se plaignait à Dieu d’avoir un langage embarrassé. Lui, a fait le pas, s’est surpassé, a tiré la force enfouie en lui, en prenant la parole malgré les goulots naturels et culturels en écrivant. Qui oserait douter que l’écriture est aussi une parole ? Et cette parole en certaines pages prennent l’ardeur d’un cri. Cri de protestation contre l’esprit de lucre des hommes de Dieu, contre la félonie des « tonton Gaspard », vendeurs d’illusion, contre les gouvernants méprisants et arrogants. En cela le livre de Kajeem est une satire silencieuse de l’indifférence et de l’inhumanité d’un monde guidé par le matérialisme. Le livre contient à la fois sa hargne de vivre et sa révolte contre l’amertume de la vie. Pour ceux qui savent écouter ses chants et qui ont pu lire ce livre, ils se rendront vite compte que le « rasta » après avoir usé de sa voix use de l’écriture dans la même perspective : chanter la vie, dénoncer les dérives, prendre part à l’éveil des consciences. « Tout comme la musique de Kajeem, il faut aller à l’intérieur de ses histoires, de ses personnages, aller au-delà des mots pour en saisir toute la profondeur » (p9, cf : préface de Venance Konan) Vous l’avez compris « Le Petit Garçon qui Peinait à Parler » est plus qu’un recueil de nouvelles, c’est un recueil de chants. Chants d’amour, chants de révolte pétris par la prose.

Le lecteur exigeant révélera quelques maladresses dans certaines expressions. Il comprendra aisément alors que la prise de parole par l’écriture est une aventure complexe et le poète-rasta n’est qu’à l’aube de sa vie de démiurge.

 

Etty Macaire

 

Le Petit Garçon qui Peinait à Parler, nouvelles, Frat-édition, Abidjan, 2012

 

 

in Le Nouveau Courrier du 18 février



17/02/2013
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 284 autres membres