TREFONDS DE COEUR DE PIERRE DE CEDRIC MARSHALL KISSY : Pour donner espoir aux coeurs éteints
Apres Ciel d’Amour, Terre de Haine, le jeune poète ivoirien Cedric Kissy nous éveille avec un autre livre : Tréfonds de Cœur de Pierre. Sous l’autorité d’une grande maison d’édition : L’Harmattan. 35 poèmes, une kyrielle de vocables pour traquer les « maux » mais aussi pour exalter des lueurs dans la nuit.
La symbolique de l’image de la couverture
Sur la première page de couverture de son ouvrage, l’image d’un… cœur. Un cœur de granite. Un cœur sans chair, sans sang. Un cœur aride. Un cœur désert. Un cœur mort à toute émotion, mort à tout sourire. Un cœur, d’où est parti toute humanité. Pour dire jusqu’à quel stade de bassesse peut déchoir l’homme. Rancœur, haine, méchanceté, cynisme… telles sont les idées que charrie cette image. Un sentiment de pessimisme envahit d’emblée le lecteur émotif. Mais ce cœur sans vie, baigne dans un espace d’un bleu généreux et conquérant. Le bleu de l’espoir, de l’optimisme, de la vie. Comme pour dire que les raisons d’espérer sont plus fortes que les raisons de désespérer. Malgré les ténèbres une lueur brille à l’horizon. La tempête peut surgir mais suivra inéluctablement le beau temps. L’œuvre poétique de Kissy, effectivement, n’est pas d’un bout à l’autre un chant funèbre ; il prend parfois les accents d’un hymne à la vie et à l’amour.
L’espoir au‑delà des ombres
Le titre de l’ouvrage Tréfonds de Cœurs de Pierre, en parfaite congruence avec l’image, en dit long sur le contenu. Avant l’immersion dans ses entrailles, on se déleste de toute illusion de joie. Et la préface signée par l’auteur lui-même balaie tout doute. L’ouvrage de Kissy jette un faisceau de lumière sur le côté ténébreux de l’homme. … L’humanité « fragilisée par ses antéfils » est la proie pitoyable d’un « cratère de douleurs et d’effroi » (page 22). Les poèmes comme « Tam‑tam sanguinaire », « Etre de douleurs éternelles », « L’enfant au destin truqué », « incertitude totale », « Amour d’illusion », « Afrique », « perte dramatique » sont gros de la peine de l’homme et de l’Afrique. Au bout de chaque mot, de chaque vers, brille douloureusement l’amertume d’une âme. On y touche du doigt un monde en convulsion, un univers tumultueux, incapable de se surpasser pour atteindre les étoiles, le point où le sourire est possible.
Tam‑tam sanguinaire,
Dans ton sillage impudique
Voltige sans répit l’entichement sadique
Qu’a la mort de sévir (page 23)
Evidemment, on y entend les soupirs du continent noir qui semble abonné et abandonné aux ronces et aux épines. Malédiction ? Impuissance ? Le poète s’interroge lui aussi :
Afrique, village éclairé de pénombres ténébreuses ?
Afrique, réalité illusoire ?
Afrique, regard inoffensif agressif ?
Afrique, épée émoussée mortelle ?
L’encre du poète a la couleur d’une larme. Sensible, il se solidarise au martyre collectif. Il fait sienne les douleurs des hommes. Il souffre lui aussi de voir la souffrance triompher. La voix de sa lyre devient grise :
« Je suis le grand bateau sans voile
(….) je grelotte de peines et de doutes
(…) je suis la vieille herbe séchée
Et jetée à la fournaise (page 17)
L’espoir est‑il perdu ? Tout semble le dire. La fin du poème « Etre de douleurs éternelles » traduit l’abandon, le refus de continuer la lutte, l’abdication :
Quel dommage…
Le monde m’a légué
Ses peurs
Et la vie ses douleurs (page 19).
Pourtant, Tréfonds de Cœur de Pierre est loin d’être une douloureuse complainte, encore moins une exhortation à la résignation. Marshall Kissy, qui se définit comme « Le Poète de l’Espoir », ne peut accepter que la détresse écrase de son fardeau impitoyable les bourgeons de l’espérance. Malgré la forêt des épines, les roses s’éclosent et illuminent la vie. Des pépites d’or jaillissent de la boue. Ainsi le poète gonflé d’espoir, refuse la déconfiture et s’engage à rester débout :
« Mais je serai fort !
Même si la vie me faisait trébucher
Dans les nuits et les jours » (page 20)
Revigoré et revenu au soleil, le poète attend prendre part à tous les combats de l’Afrique et de sa patrie. En digne fils, il refuse alors les compromissions qui souillent l’honneur, celles qui ont discrédité de milliers d’Ivoiriens abonnés à la couardise :
« Je ne serai pas l’apatride
Qui erre de patrie en patrie
Comme un papillon atteint de démence
…je ne serai point ce pestiféré qui va contre
Ce pays qui l’a pourtant vu naitre
En le livrant pour des pièces
Au tout premier offrant » (Le digne fils, page 25)
Le poète se sent investi d’une mission. Celle de sauver l’humanité en détresse. Celle de participer à la renaissance de l’humanité. Telle est la quintessence du poème intitulé Mon Combat : « Mes doigts délient les nœuds/De la tristesse et de la peur » (page 34). Face à sa patrie excommuniée et humiliée, il prend l’engagement de veiller désormais
« Pour que plus aucun oiseau de mauvais augure
Ne vienne poser sa niche sur son toit ».
Enfin de compte, le projet philosophique de Kissy est de témoigner de la vie. La vie c’est la vie, elle n’est ni sucrée ni amère. Elle sait prendre tous les goûts. « C’est le mystère de la vie. Et un mystère, ça ne se circonscrit pas, sinon jamais, dans un entendement, à plus forte raison, un entendement humain » écrit le poète dans la préface. C’est pour cela qu’il ne se contentera pas de pleurer sur les ruines avec son dodo enchanté. Pour lui, la véritable vocation du poète c’est de donner espoir, c’est de redonner vie au cœur de pierre. Car c’est au cœur que s’adresse la poésie.
La poésie est avant tout ornement
Le poète Kissy est soucieux de faire passer son message. Il se garde d’enfoncer le lecteur dans le dédale des mots rares et recherchés. Son écriture se veut limpide et son style simple. Certes il faut au lecteur un effort intellectuel pour déchiffrer le langage de Kissy. Certes la parole poétique de Kissy ne s’offre pas comme une fille facile.
Mais la poésie de Kissy n’est pas un labyrinthe inextricable où la raison à force d’errer se perd. Sa poésie n’est pas une eau trouble où se bousculent des mots obscurs, ni une forteresse lexicale et sémantique imprenable. Sa poésie n’est pas un discours ésotérique réservé aux initiés et autres maîtres du langage codé. Il s’agit de partager et de se faire comprendre. Cependant, la poésie reste la poésie. Ainsi, le poète s’efforce de donner à son discours une forme qui plait. Rimes, dispositions des vers, procédés de style…tout y est ou presque.
Malheureusement, il arrive à la plume de Kissy de choir piteusement. En ce moment précis son langage perd sa splendeur poétique pour se muer en un langage prosaïque, sans saveur. Morceaux choisis :
« Afrique. Immense du point de vue de sa superficie/ Immense du point de vue de son potentiel et de ses ressources/ Energétiques, minières…et de développement » (page 64, poème Afrique). Ici la poésie cesse d’être une danse ; elle est une marche quelconque. Ici l’or se mue en une matière moins précieuse que le bronze. En sus, les poèmes rimés semblent être les moins inspirés. Lorsqu’à la page 26 « une chose » rime avec « chose », « moi-même » rime avec « lui-même » et qu’à la page 27 « je suis » rime avec « je suis », il est difficile de ne pas se rendre compte du caractère forcé de ces rimes. Kissy gagnerait à écrire sous inspiration et surtout à se laisser aller en faisant confiance à sa muse et c’est le cas dans bien de ses poèmes. En effet, ce ne sont pas les textes chatoyants qui manquent dans ce livre. Les poèmes comme « Être de douleurs éternelles », « Assez forts », « Légende » sont de très belles réussites, des gouttes de miel.
Le mérite de notre jeune poète réside dans cette marge de liberté qu’il se donne par rapport au sens premier des mots. Il crée des images inattendues et risque des associations de mots qui surprennent. Les expressions comme « les glaciers brûlants » « la lumière éblouissante de ta voix » « yeux aux joies éteintes », « les lèvres de mes yeux » «le sourire obscur de mon encre », « ton saint sourire‑soleil »… traduisent un magnifique effort de poétiser. Il ose même des néologismes qui séduisent. Ces audaces stylistiques corroborent un talent certain.
Il faut saluer Cédric Marshall Kissy qui malgré sa jeunesse a eu la hardiesse d’épouser le premier de tous les arts, le plus difficile : la poésie. Tréfonds de Cœurs de Pierre, sa deuxième œuvre, annonce des lendemains qui chantent.
ETTY Macaire
publié par LE NOUVEAU COURRIER du 27/01/12
Cédric Marshall, Tréfonds de Cœurs de Pierre (Poèmes), L’Harmattan, 2011, Paris
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