LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« LES QUATRAINS DU DEGOUT » DE BOTTEY ZADI ZAOUROU LES LARMES DOREES D’UN CŒUR BLESSE

Nous avons lu avec beaucoup d’intérêt le dernier né du Maître, Les Quatrains du Dégoût, paru chez NEI-CEDA en 2008. C’est une œuvre poétique de 238 pages regroupant 198 poèmes repartis en 6 livres avec un poème introductif intitulé «Suprême dégoût».

 

Ce récueil tranche par la brièveté des poèmes - susurrée déjà par le titre - et leur heureuse docilité : ils se laissent facilement cueillir tels des jeunes filles complaisamment consentantes. Zadi, cette fois-ci, sort la poésie de sa tour étanche. Tous les poèmes ou presque sont sans masque. Cette flexibilité du ton pourrait procéder de la volonté du poète de se faire comprendre. Mais mieux, elle pourrait résulter d’une certaine impuissance (fatigue) due aux ravageuses épreuves du temps. Et d’ailleurs point n’est besoin vraiment de prolixité luxuriante pour dire son mal-être. Le choix de la concision est merveilleusement en congruence avec l’expression du ras-le-bol qui ressort des poèmes. Des épreuves, des méchancetés, des déceptions, en effet, il en a rencontrées certainement dans sa vie : de politicien idéaliste, d’éducateur passionné, et d’homme tout court. Les 198 poèmes dégoulinent de déception et de désillusion. Sur un ton à la fois satirique et caricatural, le poète dénonce toutes les turpitudes et les boursoufflures de la CI politicienne, estudiantine et militaire. Et surtout la méchanceté des descendants d’Adam. L’âme humaine y est exposée sans pudeur dans toute sa terrible nudité : « Il n’y a rien de bon dans le cœur de l’homme » (P98) « L’homme est l’homme/ Et la boue sommeille en chacun de nous » (P80). De sa plume déçue, il châtie la FESCI (livre 1 l’épopée de la vessie en vessinie) symbole de triomphe des muscles et de la médiocrité. Il consacre au très redouté syndicat des étudiants 24 poèmes où s’hérissent toutes les hérésies les plus inimaginables. « Braiser pour assassiner/Tailler pour étudier/Cagoulier et matchetier/Deux synonymes de terroriste »(P16). Il flétrit les hommes politiques et leur propension à la mauvaise foi et l’ivresse du pouvoir (P109). Le coup d’état de 1999 et la guerre de 2002 avec leur cortège de morts, de mensonges, de brutalité sont stigmatisés avec ardeur. Mais au fil des pages la voix du poète se veut universelle. Elle traverse les frontières, traque toutes les formes d’injustices de tout temps et de tout lieu. L’occident et la grande Amérique n’échappent pas aux coups de poings rageurs de ses quatrains (P 179). L’occident qui se targue d’être le champion des droits de l’homme, d’être la terre des lumières est invité à ré-visionner ses crimes. L’Occident mérite simplement la couronne du bourreau sanguinaire : « Mais qui civilisera qui ? Il suffit de compter/ Nagasaki : quatre mille morts et mille tares en rabiot…Hiroshima 1945, Chine 1949, Corée 1950, Congo 1961, Viêt-nam 1960, Iraq 2003/ Et les barbares civiliseront les civilisés ! » (P191).

 

La douleur du poète « marche » avec une véhémence croissante et culmine au livre 4…C’est l’acmé de la désillusion ; et commence alors une lente dégringolade (le nombre de poèmes, par livre, décroît à partir du livre 4) des « pleurs » qui prennent fin dans le livre 6. Malgré les meurtrissures et le désenchantement, le poète refuse de se murer dans le pessimisme. Le seul livre 6 intitulé Harmonie, composé seulement de 11 poèmes fait brillamment office de contrepoids : l’espoir est permis. « Malgré les gales, les lèpres et les pians, malgré la teigne » la vie « vaut la peine d’être vécue » avertit déjà le poète à la page 3 dans son adresse aux lecteurs. Les poèmes alors deviennent chant et musique, les sonorités gaies dominent les poèmes du dernier livre. Et comment ne pas admirer la richesse du lexique du chant : goli, kouroubi, polihé, tambour, blues, murmure, hymne sacré, chantons à l’unissons, louons, poètes, hommage, sourates, psaumes, chants, carillons, tambours, muezzins, mélopées ? Les poèmes de ce livre débordent de la foi brute des premiers chrétiens. Tous les mots évoquent espérance et renaissance : universelle-éternelle, rosée, âme ouverte à Dieu, pardonner, renaisse, fruits d’or, Fleurs, Soleil, aube, innocence, ruche, étoile, refondation, paix, fins parfums, banquet, festin, hydromel, gloire, honneur, trône d’o, prières, joie, espoir. De son ciel brûlé par la souffrance, tombent des grêles de sagesses et de paroles de vie. Le poète devient philosophe, le barde devient prophète : « Trêve de soupirs et de larmes ô mon pays !/ Trêve d’insomnies, de peurs et de sombres mélopées/ Le destin de tout problème, c’est de devenir un souvenir/ Tous unis, pour sûr, tes enfants faneront ta douleur et ta peine »(P 225).


Cependant, le lecteur avisé, en parcourant ce livre, est tout de suite interpellé par les similitudes flagrantes que ce recueil entretient avec Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Les quatrains du dégoût auraient pu être intitulés Les Fleurs de la désillusion (paronymes de Les fleurs du Mal) car les poèmes du Maitre sont en réalité les larmes dorées d’un cœur désabusé. D’ailleurs, le livre 4 a un titre très évocateur : Quatrains des Fleurs des Douleurs et du Chagrin. Parlant toujours d’affinités : Le recueil du poète français comprend, lui aussi, 6 sections (ou livres) précédés, lui aussi, d’un poème introductif intitulé Au lecteur. De plus, l’œuvre de Baudelaire, tout comme celle de Zadi, a poussé sur le terreau fertile des blessures, des déceptions et des échecs du poète. Peut-on reprocher au poète ivoirien de n’avoir pas pu prendre ses distances vis-à-vis de Baudelaire qu’il admire sûrement ? Bien sûr que non ! Lui faire un tel reproche c’est lui refuser le droit d’accoucher son mal de vivres. Tous les grands artistes le savent : autant la perle nait de l’huitre pourrie, autant les plus grandes œuvres d’art prennent leur source dans la douleur et la souffrance. Et il n’est un secret pour personne que B. Zadi Zaourou a souffert…de maladie, de la CI qui chavire, de l’Afrique qui dégringole et du monde qui se déshumanise. « Les quatrains du dégoût » apparaissent dès lors comme une entreprise de catharsis, un exutoire pour transcender son mal-être. Zadi, devant tant d’épreuves, aurait pu choisir la voie de la révolte contre Dieu ou même celle de la Mort comme Baudelaire. Mais il a préféré vivre pour chanter comme un authentique aède. Il aurait pu aussi choisir le chemin de la rébellion ou le raccourci du suicide. Mais Zadi n’est pas un homme quelconque ; il est poète, un alchimiste capable de transformer les gouttes de larmes en pépite d’or.


Avec ce recueil de poèmes, le Maître rend la poésie accessible à tous sans pour autant la détourner de sa mission première qui est de rester un chant c'est-à-dire de parler à l’âme et au cœur. Il faut déguster Zaourou le Troubadour, Zadi la mélodie, Bottey la Beauté !

 

ETTY Macaire



30/09/2011
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