RENCONTRE AVEC CLEMENTINE CAUMAUETH, écrivaine ivoirienne
A la lecture du roman Le Jeu De La Vie publié par Les éditions Le réveil de l’écrivaine ivoirienne Clémentine Caumaueth, on est tout de suite frappé le désir de la romancière de pousser les Africains à entrer en eux-mêmes pour transcender les pièges des stéréotypes. Dans cet échange sur une tonalité didactique, elle nous donne sa vision des questions du genre, de l’Afrique, de la spiritualité. Une interview riche et profonde…
Clémentine Caumaueth…Pouvons ‑ nous avoir une idée de qui vous êtes ?
Je suis née en Côte d’Ivoire. J’ai passé une bonne partie de ma vie en Europe. Je suis rentrée en Côte d’Ivoire en 1980. J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années à Reuters Ltd. Je dirais, que je suis écrivaine. Mon premier roman est Le Jeu De La Vie.
Qu’est ce qui vous a poussé à l’écriture ?
C’est la révolte et le dégoût qui m’ont poussé à écrire. Je voulais partager ma difficile expérience avec d’autres femmes. J’ai vécu des choses étranges à certains moments de ma vie. Personne ne pouvait me donner des explications. J’avais peur d’en parler. J’ai fait des recherches et j’ai compris que ma réalité était en train de changer. Après toutes ces années à l’extérieur, je devais changer ma vision des choses, car je vivais sur un continent dont les énergies étaient différentes de celle de l’Europe où j’avais grandi. En fait, je vivais une période d’adaptation.
Quelles sont vos motivations en écrivant votre premier roman Le Jeu de La Vie ?
J’en avais assez d’entendre autour de moi la fameuse phrase : « on va faire comment ? » J’ai écrit ce livre afin de montrer à mes sœurs africaines qu’elles doivent apprendre à se battre quand les problèmes surgissent dans leur ménage, au lieu d’accepter d’être des victimes. Les femmes doivent comprendre que le mariage n’est pas une fin en soi. Qu’il est préférable de vivre seule que de subir les humeurs d’un homme. Aux jeunes filles, je dirais : En Afrique, sous le voile de la mariée, il coule beaucoup de larmes.
Dans ce roman l’homme est flétri avec une fureur incroyable. Pourquoi cette inquisition contre le mâle ?
Ce n’est pas une inquisition contre le mâle. L’histoire de Marlène, c’est l’histoire de toute femme mariée en Afrique. C’est l’histoire d’une dame qui découvre, après plus d’une décennie de vie conjugale, que son mari entretient un second foyer. Mais contrairement à ce que nous avons l’habitude de voir, cette femme décide de se battre. ..C’est la révolte d’une africaine contre les brimades et manquements de notre société.
Une chose est sûre : vous n’êtes pas tendre avec les hommes, les mâles bien entendu…
Aujourd’hui, la communauté de nos pères n’existe plus. Nous ne nous sommes pas encore adaptés à la civilisation occidentale. Cependant, par la colonisation, le mariage à l’occidental nous a été imposé. Aujourd’hui, on exige qu’un homme prenne une seule épouse, alors que de par ses traditions, il peut en prendre plusieurs. La conséquence est que la majeure partie des hommes en Côte d’Ivoire sont polygames. Mais, cette polygamie n’a absolument rien à avoir avec celle de nos pères. C’est une polygamie où la communauté n’impose aucune contrainte à l’homme. Et quand il ne veut plus de la relation, il quitte la femme et les enfants. Beaucoup deviennent des enfants de la rue.
Les femmes mariées de leur côté vivent le plus souvent un mariage virtuel. Le mari n’est presque jamais à la maison. (…) Monsieur passe la majeure partie de son temps avec ses copains et madame, avec ses copines. Cela crée des frustrations de part et d’autre. Et les enfants dans tout cela, sont les grandes victimes. Je suis une victime qui dans ses romans crie son ras-le-bol. Je viens d’une famille de vingt et un enfants de mères différentes. J’ai eu une enfance difficile et les problèmes familiales causés par cet état de choses persistent jusqu’à ce jour.
Le mâle africain est une victime du système dans lequel nous vivons. On lui a fait croire qu’il était l’élément incontournable de ce système. Aujourd’hui, il réalise qu’il est la principale victime. Les hommes ont été les premiers à quitter les campagnes pour la ville. Les premiers fonctionnaires dans ce pays étaient des hommes. Les femmes en ville ne travaillaient pas. Elles s’occupaient de la gestion de la maison. L’homme tenant les cordons de la bourse a cru pendant de nombreuses années qu’il était le maître. Il a infantilisé la femme, au point où jusqu’aujourd’hui, la femme, pour ses propres besoins continue de tendre la main. (…) La conséquence de toute cette situation, est que les hommes ont du mépris pour les femmes. Ils fuient leurs maisons pour aller s’aérer dans les maquis avec les copains.
Cependant, quand un homme rencontre une femme qui travaille, il veut continuer à jouer au roitelet (…) Il veut être le seul à prendre les décisions. … La femme n’a pas le droit de dire quoique ce soit. Quand elle se plaint, il l’envoie balader. Beaucoup de femmes restent dans ce type de foyer et subissent. Très peu acceptent de partir, car il est mieux d’être une femme mariée malheureuse, qu’une femme seule heureuse. Aujourd’hui, la femme acquiert la respectabilité par le mariage. Et c’est l’homme qui décide si une femme doit être respectable ou pas. C’est triste.
On est tenté de se demander si vous n’avez pas subi une grande déception dans votre foyer…Votre personnage Marlene n’est ‑ elle une autre vous-même ?
Non, je n’ai pas subi une grande déception. Une déception est grande tant qu’on ne la pas comprise. Dès qu’on la comprend, on tourne la page et elle cesse d’être grande. Aujourd’hui, je peux dire que je n’ai pas subi de grande déception, car c’est du passé. Comme je le dis souvent, la vie est un chemin, sur ce chemin, il y a des carrefours. A certains carrefours, on quitte des personnes qu’on a connues, à d’autres on rencontre de nouvelles personnes. Toutes les personnes que nous rencontrons dans notre vie, nous aident à vivre notre expérience terrestre.
Il faut arrêter de croire que quand on se marie c’est pour la vie. Le mariage c’est la rencontre à un carrefour de deux personnes. Elles peuvent continuer ensemble et traverser plusieurs carrefours. Elles peuvent aussi s’arrêter au carrefour suivant. (…)
Non, je n’ai pas vécu l’expérience de Marlène. Mais des connaissances ont eu à vivre cette expérience difficile. Vous savez on retrouve un peu la personnalité de l’écrivain dans tous les personnages de ses romans. Et je pourrais dire que Marlène me ressemble beaucoup. Je n’aime pas les brimades. Quand je suis acculée, je me révolte.
L’écriture de ce livre semble être une forme un moyen pour vous venger des hommes
Non, ce n’est vraiment pas ce que vous croyez. Mes meilleurs amis sont des hommes ... Cependant, les relations dans les couples en Afrique, sont difficiles. Il faut en parler. Je ne crois pas que je cherche à me venger des hommes. Quand une relation ne vous sied pas, il faut avoir le courage de partir. Il faut apprendre à la femme africaine à sortir d’une relation qui ne lui sied pas. Le monde extérieur l’effraie beaucoup. Elle doit apprendre à affronter ce monde. Je suis une femme et mon objectif est d’aider la femme africaine à aller de l’avant. Il y a trop de souffrance. Il faut mettre un terme à cela. Le mariage ne doit pas être un tombeau pour la femme. Elle doit pouvoir sortir de là et refaire sa vie si elle le désire.
Rien à reprocher aux femmes ?
Oh si! La femme africaine doit accepter de se prendre en charge. Elle n’est plus une enfant, pour tendre la main pour ses besoins. Elle doit se battre dans ce monde comme tout être humain. Pour beaucoup d’entre elles, le mariage est devenu un métier et c’est bien triste.
Votre livre pose un problème étrange presqu’inhabituel… vie antérieure, réincarnation…on croirait lire un penseur bouddhiste.
Non, Monsieur. La réincarnation fait partie de notre culture africaine, la vie antérieure aussi. Je suis très surprise de constater qu’aujourd’hui les africains ont oublié ces choses qui étaient si importantes dans leur culture. J’ai souvent entendu au village des gens dire, des choses comme ‘ c’est le grand père qui est revenu’.
Vous semblez ne pas croire en Dieu
Je crois en Dieu. Il m’est difficile de croire aux dieux des religions. Je crois au Dieu de mes ancêtres. Je crois au Grand Esprit qui est la source de toute chose. Comme je l’ai dit à un prêtre européen lors d’une dédicace, personne ne connaît mieux Dieu que l’Africain. Dieu fait partie de son quotidien. Il l’invoque du matin au soir. Mais tout cela est devenu de la sorcellerie, pour la majeure partie des africains et c’est dramatique…On a utilisé les religions pour persécuter et vendre les Africains et aujourd’hui, ils sont hypnotisés par ces religions qui les empêchent de découvrir qui ils sont véritablement. Or tant qu’ils adoreront ces dieux étrangers, l’Afrique sera toujours à la traîne. L’empereur du Japon, lors de son intronisation, est allé au temple, pour avoir la bénédiction des ancêtres. Quand cela se passe au Japon, c’est normal. Par contre en Afrique, c’est de la sorcellerie. Réveillez-vous mes frères africains!
Vous reprochez énormément de choses aux Africains. N’est ce pas ?
L’Afrique est un beau continent. Malheureusement les Africains ne l’aiment pas. Aujourd’hui, tout ce qui nous intéresse, c’est l’argent. Notre culture, notre spiritualité, toutes ces choses que nous ont laissées nos anciens, on ne s’en occupe plus. Tout est devenu de la sorcellerie, parce que nous avons perdu les connaissances de nos anciens. Notre regard est plutôt tourné vers le monde occidental que nous ne comprendrons jamais. Tant que les Africains ne comprendront pas qu’ils ne seront jamais des Occidentaux et qu’ils doivent chercher un développement qui correspond à leur réalité, ils seront à la traine.
Vous ne croyez pas que l’Occident a sa part de responsabilité dans les malheurs de l’Afrique ?
L’Occident n’est pas la cause des malheurs des Africains. Ils sont eux-mêmes leurs propres bourreaux. Tous les politiciens africains ont un seul et même programme « pousse - toi que je m’installe à mon tour pour m’en mettre plein les poches ».
Comme je ne cesse de le répéter, ceux qui nous dirigent sont, si je puis m’exprimer ainsi, les enfants des colons européens et arabes qui ont envahis l’Afrique durant la traite des Noirs et la colonisation. Ils ont hérité des habitudes de leurs pères et persécutent les populations. Qu’est-ce que les arabes ont apporté en Afrique : le Coran et le fusil. Les Européens ? La Bible et le fusil. Qu’est ce que vous voyez partout sur le continent Africain, les religions et les guerres. Et aujourd’hui, on se paye le luxe d’avoir des terroristes, comme en Irak, en Afghanistan et autres pays arabes (Boko Haram). Autant l’Occidental a évolué et ne voit plus les choses de la même manière que ses prédécesseurs, autant l’Africain continue de se conduire comme le colon. Car les secrets de l’évolution de l’Occidental se trouvent dans les livres. Or l’Africain ne lit pas et continue de croire qu’il se comporte comme son maître.
Pour vous quelle est la cause de la tragédie africaine ?
Le complexe d’infériorité. L’abandon de notre culture et notre spiritualité.
Vous ne pouvez pas vous développer dans quelque chose que vous ne connaissez pas. Qu’est-ce que l’Africain connaît de ce monde occidental qu’il veut à tout prix reproduire chez lui ? A mon avis, rien.
De plus, comment nous Africains, pouvons-nous rejeter notre religion, notre spiritualité et les remplacer par les religions de ceux qui par le passé, nous ont tué et massacrés ? Comment avons-nous pu prendre les religions de nos bourreaux ? Si ces religions étaient des religions d’amour, elles n’auraient pas participé et organisé le massacre et la vente de nos ancêtres. Nous sommes toujours des esclaves culturellement et spirituellement. Je ne rejette pas les Blancs. … Mais, je suis Africaine et je dois vivre selon ma culture et ma spiritualité. Je dois avoir quelque chose à offrir aux autres habitants de cette terre. La différence est une force.
(…)
J’ai constaté lors de nos échanges passés que vous êtes portée sur la littérature anglophone
J’ai fait une partie de mes études en Angleterre. Je lis beaucoup les livres de nos frères africains anglophones. Contrairement à nos intellectuels francophones qui sont hypnotisés par la politique, nos frères anglophones, écrivent la vraie histoire de l’Afrique. Car l’histoire que l’on nous a enseignée sur notre continent est fausse.
Vous savez, je ne lis pas un livre parce qu’il est écrit pas un grand auteur. Je le lis parce que le sujet m’intéresse. Ces deux - là, je les ai au chevet de mon lit : The Africans who wrote the Bible de Nana Banchie Darkwah et Of water and the spirit de Malidoma Somé Patrice.
Quelles sont les plus grandes découvertes que vous avez faites dans les livres anglophones ?
Aujourd’hui, toutes mes lectures sont sur la culture et la spiritualité africaines. J’essaie de rattraper un retard. On nous a toujours dit que la Bible racontait l’histoire des Hébreux, mais aujourd’hui, les recherches effectuées par de grands archéologues et hommes de Dieu juifs prouvent que beaucoup de légendes égyptiennes se retrouvent dans la Bible. Les Hébreux étaient des Egyptiens et non des esclaves en Egypte. Les Akan n’ont-ils pas toujours clamé qu’ils venaient d’Egypte ? Les proverbes ashantis se trouvent dans la Bible.
Lisez bien l’Ancien Testament et vous découvrirez que les coutumes des Hébreux ressemblent étrangement à nos coutumes africaines.
La vraie histoire de l’humanité se trouve dans nos archives tribales.
Les formules mathématiques sur le kita…Les vibrations de nos noms, de notre mode de vie et de bien d’autres choses sont incompatibles avec les vibrations de ce continent. La découverte que tout ce que l’Africain qualifie de sorcellerie, n’est qu’une technologie que le monde occidental ne connaît pas ; et que lui-même ne comprend plus car il est en déphasage avec le monde des ancêtres.
Aujourd’hui, les Occidentaux essaient de comprendre cette technologie indigène, alors que nous la rejetons à cause des religions que nos bourreaux d’hier nous ont laissées en héritage.
Votre dernier mot ?
Je voudrais terminer en disant que mes réflexions sur l’Afrique seront dans mon prochain roman :
L’ordre de l’araignée
Cette interview a été publiée dans LE NOUVEAU COURRIER du vendredi 9 mars 2012
ETTY Macaire
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