LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« Monsieur Nègre » : La panacée des 400 ans de fascination !

 

« Les tares de l’Afrique sont si colossales qu’il ne faut pas les abandonner aux mains maniaques des journalistes et écrivains, car ces gens-là mêmes sont des virus, ils sont avec constance de petits mufles qui bénissent l’arbitraire, la perversité et la violence » déclarait lors d’une interview accordée à Hebdo Maroc un Mouammar Kadhafi hanté par la « délinquance » des écrivains et journalistes au plus fort de cette guerre libyenne aux multiples visages.

 

 

Comme quoi, et sans se le nier, dénoncer en Afrique, c’est être la commère aux bras ouverts, vouée à l’intolérance et aux persécutions du Pouvoir. Fatou Sy, comme beaucoup d’écrivains africains, se positionne telle une championne de l’intervention. La jeune écrivaine signe sa première pièce de théâtre intitulée « Monsieur Nègre ». Titre stimulateur ? En réalité, chez Fatou Sy, la réflexion sur le pouvoir en Afrique est inséparable de cette pureté dangereuse de la conscience collective. Logique. Ce livre, même s’il n’a pas le charme d’une plume virevoltante, se veut le cordon ombilical d’une génération nouvelle coupée du « négrisme », cet esprit « négrier » qui foule aux pieds la valeur du peuple, inflige aux écrivains et journalistes le sort réservé au diable.

 « Monsieur Nègre », c’est également cet esprit qui sourit à l’incompris, l’égoïsme, la méchanceté, l’ingratitude, le tribalisme renversant, le goût du dégoût…

Dans son livre, Fatou parle à « la gueusaille aux oreilles récalcitrantes » (Azo Vauguy). Elle relate avec des paroles nues les transes d’une Afrique multiséculaire. Un chef en Afrique est plus qu’un roi. S’il ne se considère pas comme tel, le peuple, lui, le voit inconsciemment ainsi. En Afrique, la postérité du chef subsiste toujours. Et les paroles de sa bouche sont trompeuses ; il agit difficilement avec sagesse. Il renonce à faire le bien et médite l’injustice dans sa douche. Il gravit alors le mal comme la montagne ! Son trône est devant lui comme le soleil. Et comme la lune, il s’attache avec soins, et ça, contre vents et marrées, à une éternelle durée. Car ici, ça ne joue pas avec le pouvoir ! Ici, on ne jette jamais le trône de chef à terre !

Sincèrement, en faisant fi de la faiblesse du volume du livre qui lui donne un goût d’inachevé, des nombreuses coquilles et de ces « ivoirismes » récurrents qui rigolent avec les yeux à chacune des pages - notamment « Il indexe un homme du public » à la page 3, « Assied toi » au lieu de « assieds-toi » à la page 5 ou encore « (…) tout ce que tu as fais pour moi » au lieu de « tout ce que tu as fait pour moi » à la même page – on constate naturellement que ce livre dans le fond, avec le sabre au bras, est un régal. Sa couverture authentique est sans doute la seule chose dans la forme qui épargne les critiques. Chapeau !

Voici, Sitan, jeune commerçante illettrée, grâce à qui « ce vaurien » de Broulaye fait son premier sourire à la vie, devient très vite objet d’opprobre. Pourquoi ? Simplement parce que le cher Broulaye, après l’avoir épousé, après avoir nettement profité d’elle et de sa fortune, lui fait remarquer enfin qu’elle n’est plus faite pour lui. Pis : l’homme épouse en secondes noces Madjiguène, une femme qu’il vénère comme une bougie allumée en forêt. Raison : Broulaye vient d’apprendre qu’il est un potentiel premier ministre du pays ; ce qui lui vaut l’honneur d’avoir à ses côtés « une femme, non une femelle », « une citadine et non une paysanne ». Une guerre ouverte éclate évidemment entre les deux femmes où haine, colère, maraboutage, envoûtements font bon ménage. Broulaye prend cause pour sa fée. S’installent alors la haine, la jalousie… le mal ! Eternel insatisfait, l’homme qui, à chaque fois sent son corps et son esprit lui rappeler qu’il sera chef, épouse une troisième femme, qui d’après lui, est plus raffinée et digne de le représenter. Broulaye réfléchit entre autre aux astuces pour éliminer ses émules, ces gens qui enserrent la révolte dans la banquise de leur déterminisme. Il s’amuse également à étudier tous les coups possibles dès qu’il est nommé.

« Monsieur Nègre » est une satire qui dépeint avec humour toutes ces vilaines attitudes et mentalités africaines, véritables freins au développement. N’est-ce pas qu’il y a en chacun des africains du « monsieur nègre » ! Alors que s’arrêtent vos pas à une certaine librairie pour vous procurer ce livre qui se joint à l’humour pour dénoncer cet esprit de « Sisyphe. »    

 

Manchni Defala

 

Fatou Sy, Monsieur Nègre, Théâtre, éditions Balafons

 

in Le Nouveau Courrier du 1er mars 2013



04/03/2013
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