« Mémoire d'Une Tombe » de Tiburce Koffi/ La révolution ‘‘sankariste’’ en littérature
Une habileté rhétorique qui éblouit sans cesse. Un roman de 513 pages que l’on oserait juger sur son ennuyeuse et détestable perfection certaine, sans même l’avoir lu au préalable… Que nenni ! L’on se met à le lire tout ingénument et l’on est saisi par un tumulte de mots.
On dirait que l’auteur se plait à faire entendre la langue. Un son en attire un autre. Il joue de la langue comme un musicien prélude cherchant la combinaison et se laissant conduire. Il touche, il intéresse et se lit jusqu’au bout. Et le charme le plus touchant chez cet auteur vient de la saveur originale qu’il donne au moindre bout de phrase. Il ne peut conter un fait sans se mettre tout entier dans ce fait avec la vivacité de son ironie. Mémoire d’une tombe de Tiburce Koffi (…) le place incontestablement parmi les meilleurs écrivains de son temps.
Inscrite avec brio dans la trame d’une épopée, Mémoire d’une tombe surpasse la fiction romanesque pour relater l’histoire (bien masquée) d’un homme qui a épousé la légende : celle de Thomas Sankara, capitaine de l’armée voltaïque/burkinabée, assassiné le 15 octobre 1987 à l’issue d’un coup d’Etat. L’histoire y est savamment racontée à travers des personnages aux noms truculents (Kansar, Iboudo, Mimira, Ko Ngouêamoin…) et l’évocation d’un pays nommé Yalêklo. Le pays « de la pauvreté qui n’en finissait pas de lutter contre la honte de paraître nu au bal des nations, ce pays qui n’en finissait pas de (…) rêver d’être autre chose qu’un pays de grand sable ».
Yalêko, un pays pauvre dont le président rédempteur, Hassadé Mohane, n’avait d’assise que par le culte de la personnalité. C’est un régime qui se « caractérisait par une propension inquiétante à la fête. (…) Où trouvait-il l’argent pour ces futilités quand on pense aux urgences du pays ?» Une pratique inutilement « gaspilleuse» et détestable aux yeux de quelques Yalêklois courageux dont Kansar le militaire qui, plutôt que de se contenter d’être un acteur de cette tragédie ambiante, s’est mis à concocter avec ses amis de fortune une « révolution » inspirée des idéologies marxistes. L’objectif à atteindre : changer le destin du pays, ce pays si cher à ses habitants, ce pays si pauvre, enfin : Yalêklo...
« Mémoire d’une tombe » prend l’allure d’une magnifique épopée qui puise sa saveur dans l’accumulation tranquille des détails et plonge le lecteur au coeur de la construction d’une Révolution. Comment des évènements sans la moindre gravité inquiétante au départ peuvent-ils se transformer en cauchemar déterminant la survie d’un peuple? Comment des faits, des personnages sans la moindre influence, mais avec pour seule arme la détermination, peuvent renverser un régime solidement assis ? C’est dans ce perpétuel spectacle sans artifices mais hautement sublime que Tiburce nous fait plonger. Et la musique de ses vers nous accompagne comme pour sans cesse compléter ce que sa raison semble ne pas apercevoir...
« Vous êtes donc revenus, fantômes des épopées rouges
Les nuits de conjuration saine
Encore là, mains et coeur preux de gamins
Prêts à payer au plus cher le silence des adultes
Et voici que remue encore et se dessine
Une autre de ces aubes nouvelles pour de nouveaux récits
Temps, temps - l’éternel cercle !
Temps, temps : rien ne meurt, tout se réveille
Cris des cris
Le sang sur le macadam endeuillé
Le sang sur le toit
Le sang sur le sol… » (pp 273-274)
Tiburce Koffi, un misanthrope sublime ?
Ecrivain, dramaturge, journaliste, Tiburce Koffi n’a de cesse de peindre son Afrique, sa Côte d’Ivoire natale qu’il aime tant avec, parfois, un brin de regret, de pessimisme, d’amertume comme pour exprimer son difficile attachement au monde contemporain. Il est nostalgique au possible, paradoxal, perpétuellement angoissé, insaisissable, admiré mais parfois détesté aussi…
Tel un écrivain clandestin qui s’introduit dans notre mémoire à la faveur d’un équivoque passeport de langue française, il dérange par tant de familiarité mêlée à tant d’étrangeté radicale: « Quoi de plus naturel pour ce dramaturge, ce romancier, ce critique, ce journaliste, ce musicien et, par dessus tout, cet artiste dont j’ai coutume de dire (…) qu’il n’est pas normal. Il est tout simplement autrement normé, à mi-chemin entre l’homme ordinaire et le mystique qui flirte avec l’invisible. » (Extrait de la préface de Bertin Ganin).
Point de hasard donc, si l’auteur du chef d’œuvre Mémoire d’une Tombe a brillamment été choisi parmi tant d’autres, comme le Lauréat du Prix Ivoire 2009, succédant ainsi à Racine Kane, lauréat de la 1ere édition. Sacre légitime d’un écrivain hors pair, Tiburce Koffi est bien l’un des quelques rares auteurs africains à qui l’on puisse reconnaître une supériorité rayonnante. Il a des ailes, et nous rampons…
Mémoire d’une Tombe, Tiburce Koffi : Edition CEDA, NEI, Présence Africaine. 2009, 516 pages.
De Paris, Zacharie ACAFOU. 2009.
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