« Le voyage du Retour ? » de Atchoumou K. Vincent, une modeste contribution à l'édification de la paix.
« Le voyage d’un retour ? » Tel est le titre énigmatique (au sens propre) de cette œuvre de 79 pages, publiée aux éditions balafons. Le livre a une première page de couverture multicolore.
Les couleurs dominantes sont le jaune et le rouge. La première (le jaune) symbolise la lumière, l’intelligence et la seconde connote la violence ou la barbarie. Ces deux couleurs revoyant à des réalités antagoniques se font face comme dans un duel, l’une prête à sauter sur l’autre. On remarque aussi que le jaune est serti de violet, une couleur de l’espoir. Le rouge, quant à lui, est encadré d’un filet de teinte noire, teinte revoyant au malheur ou au diable. Et c’est tout à fait au milieu de la page que s’encastre la seule illustration de la couverture. Elle présente en gros plan un visage d’homme en réflexion tracé au crayon sur un support ocre. A quoi réfléchit-il ? Au mal ou à la lumière ? Aux deux ?
D’emblée, on ne trouvera pas la réponse. Mais comme on le constatera, la conversation entre le lecteur et son livre s’engage dès la couverture. Même quand, on ouvrira le livre la conversation ne s’arrêtera pas. Elle continue et ne se termine qu’ à la dernière page. Le narrateur et personnage principal (narrateur auto-diégétique) Kitienfolo parle de sa vie, raconte sa mésaventure et le cauchemar qu’est devenu sa vie du jour au lendemain. Il cherche un témoin à qui confier sa peine et à qui justifier ses actes prochains. Parfois, on a l’impression d’être en train de tourner en rond avec lui.
Tout commence par le massacre gratuit et impuni de sa famille, auquel il échappe presque par miracle. Cette violence d’un autre âge (intervenue pendant que la famille dînait) (p14) ; Cette violence que dis je ? cette barbarie que l’on ne peut expliquer s’est produite dans une action isolée perpétrée par des combattants enrôlés dans une guerre comme il en foisonne dans cette Afrique des débuts du XXIe siècle. Kitienfolo (ou Kitien), jeune garçon candide de 16 ans environ est ainsi brutalement confronté à vivre une nouvelle vie. Une vie de traumatisé, une vie tourmentée de rescapé, une vie de déplacé de guerre, une vie de révolté, en somme une existence propice aux ressentiments et à l’esprit de revanche.
Lourd est donc le fardeau physique, moral et psychologique que doit porter Kitienfolo sur ses frêles épaules. « Me voilà tout seul dans la nature, sans aucun repère (...) je me méfie de tout le monde. J’ai peur de tout le monde » (p11).
Heureusement pour lui, la famille africaine constituera un refuge idéal. Son oncle Heltchin et sa tante Woclin seront ses véritables sauveurs car ce sont eux qui lui apporteront le secours et l’assistance qu’il mérite. C’est d’abord, au niveau physique, que des correctifs seront apportés à ses difficultés. Rapidement rétablit, Kitienfolo sera ensuite soumis à une thérapie psychologique. Ce sont ces efforts consentis tour à tour par son oncle et sa tante qui remettront du baume au coeur déchiré de Kitienfolo.
C’est alors qu’il retrouve la force pour se remettre à ses études et réussir... Lorsqu’on achève la lecture, on a la nette impression que l’histoire est inachevée parce que Kitienfolo, pas totalement remis de ses émotions, réussit à intégrer l’armée régulière avec le grade de colonel.(p 73). Cela laisse des questions en suspens. L’histoire va-t-elle se répéter ? Kitienfolo aura-t-il l’envie de jouer le match retour (comme le on dit à Abidjan)? Et c’est semble t-il ces interrogations-là qui sont à l’origine de la forme interrogative du titre de l’œuvre « le voyage du retour ? ».
Comme on le voit, la destinée Kitienfolo est la projection imaginaire de l’être au monde de nombreux jeunes africains ou ivoiriens qui ont subi les plus lourds tributs dans des guerres qui ne les concernaient pas. Victimes collatérales. Victimes marquées à vie.
C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes réduits à dire que l’œuvre « Le voyage du retour ? » s’enracine dans la crise ivoirienne (une crise vécue de bout en bout par l’écrivain). On sent surtout que ce livre tire toute sa sève des évènements qui ont constitué une parenthèse douloureuse, voire une écharde dans la jeune histoire de notre pays.
Le jeune écrivain Atchoumou K. Vincent sans s’attarder sur le déroulement des évènements survenus dans son pays a jeté un regard sur les lendemains de la guerre. Il a utilisé fréquemment le terme « Bref »(p 18, p 53, p63) ou des points de suspension ( p 59) pour éviter d’aller aux détails. C’est une précaution utile qu’il prend pour ne pas être catalogué par ses lecteurs comme un pro X.., un pro Y.. ou un Pro Z... Cela faisant, Atchoumou porte son écriture vers un style qui hésite entre poésie et narration.
Il va plus loin dans la recherche de crédibilisation de sa parole. Tous les noms donnés aux lieux ou aux choses sont marqués par ce souci de neutralité. Une étude sommaire de l’onomastique donne ceci : Noms de pays : Corridor des folies, Tribune de la paix, Noms de villes : Soldeville, Mondeville. Nom de société : meilleure compagnie de transport, BRP (Banque Régionales des producteurs)... Nom de quartier : Zone, Rive des prix... Même, le mot coup d’état sonne chez lui « coup durs ».
Tant de précautions, pourtant le message à véhiculer est simple. En effet, tout au long de son livre, L’écrivain n’a eu qu’un seul souci, c’est de montrer que la guerre a des conséquences dramatiques. Si on peut connaître ses causes (Fanatisme (p70) désir de vengeance, manque d’amour entre humains (p44), incapacités des hommes politiques(26), jamais on ne peut évaluer ses conséquences. L’après-guerre est toujours un saut dans l’inconnu. Une période d’incertitudes.
Et puis, quand on daigne inscrire ce livre dans son contexte de parution, on comprend que l’écrivain propose à la Côte d’Ivoire qui tente de se construire après plus de 10 ans d’explications armées, de miser sur la cohésion sociale, la discussion, la prise en compte des ressources de la famille africaine ou mieux des coutumes africaines.
Au total, ce livre est à lire comme la modeste contribution d’un écrivain ivoirien à l’édification d’une paix durable en Côte d’ivoire... Ce livre donc est une prise de parole, qui en tant que tel comporte des imperfections.
En ce qui nous concerne, nous pensons que la qualité du message doit nous permettre de nous mettre au-dessus des détails portant sur la composition ou sur les quelques entorses faites au langage académique afin que se consolide ces premiers pas d’écrivain du jeune Atchoumou K. Vincent.
Tah Bayi Saint-Clair
Atchoumou K. Vincent, Le Voyage du Retour ?, Les éditions Balafons, Abidjan
in Le Nouveau Courrier du 20 septembre 2013
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