LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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LA SAISON DES AMOURS PERDUES de François d’Assise N’DAH : La beauté maléfique de la déesse Vénus


 

La souffrance et le bonheur sont les deux faces d’une même réalité : l’amour. Toute être humain qui se hasarde à emprunter le chemin de l’amour doit disposer son cœur à la saignée. En d’autres termes, on ne peut appréhender l’amour sans évoquer la douleur, la détresse et le tourment. C’est cette douloureuse vérité que semble nous enseigner François d’Assise N’dah dans son recueil de nouvelles La Saison des Amours Perdues.

 

Six nouvelles. Six facettes de l’amour, sentiment à la fois sublime et tragique. Six histoires croustillantes, différentes et pourvoyeuses de leçons de vie. Première nouvelle : Hallucinations meurtrières : Le pauvre Norbert crucifié et aveuglé par la folie que sécrète l’amour commet un homicide, « ah quelle histoire de fou ! » (Page 20) s’écrie le narrateur. Deuxième nouvelle : Femme d’une nuit : nouvelle énigmatique, surréelle voire fantastique ; la magie de l’amour rend tout possible, un vivant et une revenante consomment dans une atmosphère de plénitude l’amour physique. L’heureux « mâle » comblé exprime son bonheur par un sifflotement triomphal. L’amour se moque des frontières, telle est la leçon !Troisième nouvelle : Etrange passion : quand l’amour se mue en passion dévorante, Elvis préfère la rupture ; Eliane se remarie sans amour pour sauver les apparences mais la passion brûle en elle. Son cœur bat toujours pour son ex ; pour guérir de son mal, elle exige de ce dernier la consommation du fruit défendu pour une toute dernière fois. Il résiste mais cède, par faiblesse. Dans son ventre désormais, une goutte de vie, résultat de la semence adultérine de celui qu’elle aime. Dans son foyer, elle retrouve la joie de vivre au grand bonheur de son époux. Quatrième nouvelle : L’enfer du mariage : un mari froid, indifférent, une épouse malheureuse. Le mariage est-il l’antithèse de l’amour ? L’adultère s’impose comme la voie du salut de la femme qui retrouve l’extase de l’acte sexuel avec un inconnu, un virtuose de l’art du septième ciel ; la femelle comblée vit du souvenir de cette expérience unique. Cinquième nouvelle : Ba-hou-lê : le bébé, un garçonnet, souhaité, quêté, pour sauver un mariage, vient enfin au monde au terme d’un rituel de marabout vicieux ; mais le diable aux aguets n’a pas dit son dernier mot. Il frappe et l’espoir et l’amour s’écroulent. Sixième nouvelle : Mélissa : symbole de l’amour, de la sensualité ; mais Mélissa, femme fatale incarne l’amour fugace, inaccessible, impossible. Sa disparition soudaine plonge le narrateur dans une sorte de démence. François d’Assise N’dah nous fait promener dans le labyrinthe mystérieux de Vénus et d’Eros. Magie ou tragédie ? L’amour sous la plume de l’auteur est surtout sombre. L’amour prend le visage de : « une terrible douleur » (P10), « histoire de fou » (P20) , « grande désillusion »(P49), « relation dangereusement passionnelle » (P51), « déception…traumatisme »(P54), « une forte dose de peur et de détresse », « des griffes de la pénitence »(P55), «diabolique ivresse » (P61), « brutale et cynique réalité »(P71), « un désir féroce de crime »(P105) « cette espèce de sentiment à vous rendre fou » (P107)etc. Bref, l’amour charrie souffrance, douleur, drame. Conséquence : le champ lexical du calvaire investit toute l’œuvre avec une récurrence maladive. L’écrivain serait-il un auteur pessimiste ? Rien n’est sûr car l’amour tire son sens, sa substance et sa profondeur de la détresse qu’il verse au cœur de l’homme. La peur l’entretient, les pleurs l’arrosent et la douleur le fortifie. N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’écrivait Khalil Gibran, le grand poète et philosophe libanais dans son livre à succès Le Prophète : « …comme l’amour vous coiffe d’une couronne, il peut aussi vous clouer sur une croix. Et de même qu’il vous invite à croître, il vous incite à vous ébrancher » ? La saison des amours perdues est une peinture sans complaisance des affres de l’amour dans le cœur humain en quête inlassable et désespérée de la plénitude . Au détour de certaines pages, l’auteur lui-même semble être emporté par l’ivresse de ce sentiment étrange. Quelques phrases reviennent d’une nouvelle à une autre. A la page 33 on peut lire : « Ses lèvres se refermèrent aussitôt sur les miennes dans un geste de profonde sensualité ». A la page 57 « Et bientôt, il céda à la furie de ses lèvres qui se refermèrent avec passion sur les siennes… ». Le terme « coloré » et ses substituts sont utilisés abusivement de sorte qu’ils fonctionnent comme une métaphore obsédante :« sourire coloré comme un arc-en-ciel » (P13), « un sourire coloré »(P14), « l’odeur colorée »(P17), « un baiser coloré »(P34), « senteurs colorés »(P41), « ses paroles plus colorées »(P52) « de nouvelles couleurs…de l’arc-en-ciel »(P60), « se sont décolorées »(P71), « une parole colorée »(P93), « beauté arc-en-ciel »(P95), « notre vie colorée »(P101), « notre amour…trop coloré »(P101)…N’dah aurait-il pris des couleurs devant le tournis que donne l’amour ?

La beauté de ce livre réside ailleurs. Le lecteur amoureux de la phrase polie et ciselée, tombera amoureux de ces nouvelles. En dehors de la première nouvelle Hallucinations meurtrières assez prosaïque et commune du point de vue de l’écriture, les autres frappent par leur beauté phrastique. N’dah réussit de belles phrases qui émeuvent. La prose est souvent éclairée par des éclairs poétiques. Lorsque l’idée exprimée vient du trésor sacré du cœur ému, la prose cède sa place aux vers et la parole culmine en chant :« Derrière tes yeux de diamants éteints/Coule la rivière des passions inassouvies./Femme d’une nuit ! Je scrute le fonds de ton âme/Et j’ai peur de me noyer… »(P31). La dernière nouvelle Mélissa est un petit bijou ; l’auteur en mêlant le fantastique et le réalisme, la folie et la lucidité, la prose et la poésie a donné la pleine mesure de son talent d’artiste. Là, il ne fait pas que dire ; il opte pour le beau-dire. Morceaux choisis pour votre plaisir :« Les voyages effectués sous les lourdes pluies secouées d’orage solidifièrent notre passion réciproque. Et nos corps, abandonnant au temps leur virginité printanière, dérobèrent aux saisons leur frivolité légendaire. Mais complices, nous demeurâmes dans la fournaise des baisers et des sexes en chaleur » (P99) , « …L’amant trahi arrache à son cœur les anneaux de la plénitude /Alors il n’ya plus de rose dans les vallées et les gestes se noient dans l’amertume brumeuse des tristesses/Et les oiseaux troquent contre des murmures maladifs/ La gaieté bienveillante de leur fastueuse mélodie »(P103).Simplement beau. La saison des amours perdues dérange cependant par cette propension de l’auteur à perturber la pudeur du lecteur attaché à la bienséance dans la littérature. Certaines pages dérangent en effet par leur insolente indécence ; le sexe y est souvent célébré avec une telle désinvolture qu’on est tenté de s’interroger sur les intentions du créateur. Les exemples foisonnent : A la page 15, le personnage a des fantasmes sur « l’odeur de son sexe », à la page 24 une jeune fille rêve de « être violée par un bel inconnu dans un jardin public » ou dans un harem d’hommes« faire l’amour avec chacun d’eux chaque jour de l’année » (P32). Ce n’est pas tout ; à la page 39 on peut lire : « je veux dessiner sur ton visage innocent, les pénis de l’extase » ; le narrateur évoque « la forêt de ton pubis » et la « sève douce de mon sexe tendu » à la page 98 et « des sexes en chaleur » à la page 99. Que recherche N’dah derrière cette effervescence sexuelle et suspecte ? Nous croyons que ce beau livre aurait pu se passer de ses « chutes » sans rien perdre de sa splendeur.

En somme, La saison des amours perdues de François d’Assise N’dah publié par Cercle Editions est un beau petit livre qui par sa thématique, sa légèreté et sa beauté est destiné à un réel succès. C’est un livre de chevet qui va réconcilier jeunes et moins jeunes tant il distrait et édifie l’âme déshydratée ou blessée par les tribulations et les persécutions de cette existence acariâtre.

 

ETTY Macaire



27/09/2011
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