LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Koffi Kwahulé vu par Tiburce Koffi : « Il joue du jazz avec les mots »

 

 

 

A notre demande expresse, Tiburce Koffi (dramaturge lui-même) a accepté de nous parler de Koffi Kwahulé.

 


 

Il est, du double point de vue quantitatif et qualitatif, l'auteur dramatique ivoirien le plus productif et le plus remarquable par la qualité de l'écriture. Kwahulé compte plus d'une dizaine de textes dramatiques publiés et joués à travers le monde, aussi bien francophone qu'anglophone. Sa production est citée et visitée dans des actes de nombreux colloques et autres lieux intellectuels d'échanges sur le théâtre. Poète, il l'est par les faits de stylisation que donne à voir - que dis-je, à admirer - son écriture. C'est une écriture qui sonne et résonne comme un ensemble de hautbois dessus des murmures de nymphes ; c'est une partition de musiciens rompus à l'art des superpositions de notes, sur des pages auditives et narratives qui content les tragédies de héros esseulés (Jaz, cette vieille magie noire). L'écriture, polymorphique, de Kwahulé, est réellement un art d'occupation de la page blanche par des signes alphabétiques certes, mais à visée musicale. L'exemple type en la matière est l'étonnant roman « Baby face ».


Parlant de sa propre écriture, Kwahulé fait souvent référence au blues, au jazz, plus précisément à Monk. Jazzman moi-même, et auteur dramatique (mais certainement de moindre envergure que lui), je puis dire que ce n'est pas, là, fantaisie déplacée, mais bien plutôt l'exposé clair et lucide d'une option esthétique que l'écrivain et le mélomane peuvent assumer : j'ai eu le privilège de passer des soirées parisiennes avec Kwahulé, à m’enivrer, ainsi que lui, des blue-notes du célèbre pianiste américain. Et, croyez-moi, Kwahulé est un jazzophile achevé, doublé d’une sensibilité de jazzman — même s'il n'est pas un pratiquant de la musique. Il sent et comprend le langage du jazz : ses complexités rythmiques (l'atavisme nègre !), ses diableries harmoniques, ses génialités mélodiques ! Et il a décidé de jouer du jazz avec les… mots — l’instrument du poète, du dramaturge et du romancier. Le tout donne une écriture polyphonique, une écriture accomplie où le mot, sans cesse en aventure (selon le bienheureux concept de Bernard Zadi), en rencontre d’autres, vagabonds, à la recherche de compagnons de page, pour tisser une symphonie… littéraire !


Cette écriture, qui était en pleine émergence au cours des années 1990, s'est nettement imposée à partir des années 2000. Elle me paraît tout à la fois neuve et assurée, fardée mais/et/ belle, mais surtout chargée d’audaces et de prétentions légitimes à relever le statut des « mots de la tribu » (S. Mallarmé). Elle est signée d'une plume noire, ivoirienne précisément ; mais c’est une plume qui  porte en elle les marques de l'exil. Je dis bien, ''de l'exil'', non pas du ghetto de la solitude qui est, lui, enfermement et inutile estropie, mais l'exil défini comme le fait d'être ailleurs que sur ses propres terres. Et c’est là un aspect saisissant de la production de cet écrivain : à mon avis, le texte ''kwahuléen'' n'interroge pas suffisamment le continent quitté. A la fois banlieusard et parisien (La dame du café) et même ''newyorkaise'' (Cette vieille magie noire), il survole l'Afrique (même si Baby face visite la rébellion ivoirienne, Fama, Les soleils des indépendances de Kourouma, et que Bintu est, bel et bien un nom de chez nous). C’est une écriture de l’ouverture, qui questionne et qui se questionne, une écriture de la quête intellectuelle à travers les itinérances de héros qui, somme toute, me paraissent lointains. Ce n'est pas, il me faut le souligner aussi, une tare ; ce n'est même pas un choix : c'est la réaction logique, normale d'un créateur (indiscutablement talentueux) à sa propre situation d'exilé.

 

Tiburce Koffi, écrivain

 



18/08/2012
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