LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

J'AI LU DES PAROLES DE COTE D'IVOIRE POUR HAITI...Wohi!

 

A l’occasion du séisme meurtrier qui a déchiré la terre d’Haïti avec son cortège de mutilés et de morts, les écrivains ivoiriens ont, en son temps, produit des textes rassemblés dans un livre publié par le groupe NEI/CEDA pour participer à l’élan de solidarité envers ce peuple percuté de l’autre côté de la mer.

 

 

 Des Paroles de Côte D’Ivoire pour Haïti ! tel est le titre très évocateur de ce livre. Le défi était énorme. « Je crains fort de ne point être à la hauteur de ce devoir d’ingérence que m’impose ma conscience » s’inquiète Hyacinthe Kakou. Que peuvent faire de simples mots pour Haïti blessé de milles blessures ? Que peut faire de l’encre – fut‑il exalté ‑  sur du papier pour ce bout de terre explosé en milles éléments épars ? Beaucoup ! dira l’initié. C’est que l’artiste n’est pas un politicien encore moins un décideur. Son rôle n’est pas de faire signer une résolution en faveur d’un convoi humanitaire sur la terre haïtienne en pleurs. Il est un inspirateur, lui, l’inspiré. C’est lui qui insuffle le courage aux âmes poltronnes. C’est lui qui sème l’amour dans les cœurs de pierre. C’est lui qui apporte la touche balsamique aux corps écorchés. La parole dite avec le cœur a plus de puissance que milles morceaux de pains jetés à des mutilés. Plus de pouvoir que milles comprimés distribués aux éclopés de Port de Prince. La parole est le feu qui réchauffe l’orphelin abandonné dans le froid de la solitude. La parole est l’eau qui calme les brûlures de la haine et de l’amertume. L’Artiste a pour mission d’offrir la parole qui sauve du désespoir car « qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore ? Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventés ? (L.S.Senghor, Prière aux masques, Chants d’Ombre). Nos créateurs ont une conscience pleine de leur tâche, de leur devoir de solidarité.


Le Yako n’est pas un vain mot… …Ils le savent si bien, nos artistes, que devant Haïti terrassé, ils ont offert la coulée la plus précieuse de leur encre. Paul Ahizi peut alors clamer : « O Fleurs de mausolée ! fleurs immortelles, fleurs d’Haiti !/La Côte d’Ivoire/Vous tend la main et vous dit : Yako » (Paul Ahizi p40). Charles Nokan avec un lyrisme émouvant clame : « Je pleure sur tes morts ! Je compatis à tes douleurs. Je sympathise avec tes survivants ». Je vous salue amants des mots, vous qui savez donner image à nos angoisses et à nos attentes. Salut Josué Guébo toi qui a porté la grossesse de cette idée mâle : Paroles de Côte d’Ivoire pour Haïti. L’initiative est louable car notre pays est une espérance promise à l’humanité.


En notre nom, ces écrivains ont offert un bouquet de mots exquis à Haïti. Un florilège de mots analgésiques au peuple frère d’Haïti giflé par la main mauvaise d’une nature grognonne. Cette nature violente et sourde que nos artistes décrivent par un chapelet d’expressions croisées : « milles secousses ! /La terre a vomi/Tes vies sont parties Haïti/…Milles pleurs !/ Nos yeux ont vu le rouge avec la terre qui bouge Haïti » (Arsene Ablo). Oui Mes frères d’Eburnie l’Hospitalière, oseriez ‑vous garder le silence ?  Il s’agit de notre sœur « Haïti orpheline, veuve de tous ces disparus sans visage et sans nom » (Josette Abondio, p37). Ils sont arrivés tous nos créateurs de tous les coins du pays, de tous les genres, des tous les tempéraments, de tous les talents pour dire Haïti. Elles étaient toutes là : la grande prêtresse Wêrêwêrê Liking, Véronique Tadjo le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire, la philosophe et poétesse Tanella Boni pour… ressusciter Toussaint Louverture. Selon leur inspiration d’aèdes, ils ont mis des mots aux chaînes d’Haïti.


Il fallait de prime abord qu’on comprenne le désastre, que nos âmes s’en imprègnent. La chose n’est point aisée. C’est en ce moment que le dégoût vous prend de ses serres par la gorge. Le malaise de Hyacinthe Kakou est celui de ses pairs, eux, qui ont connu un autre désastre vilain : la guerre: « voilà que me reviennent et ces têtes aux yeux hagards offertes au coupe-coupe dégoulinant de sang, et ces cœurs criblés de plombs désespérément accrochés aux branches de la vie … Résurgence de mes visions cauchemardesques mille et une fois refoulées, en des bruits mâts de vomissures, dans les bas-fonds de mes prunelles et de ma mémoire hébétées…Je n’ai pas encore fait le deuil de la guerre à deux sous de mon pays… ». Azo Vauguy évoque « la terre des libertés (qui) boit le sang de ses enfants » (P 53). Tanella Boni, en poétesse accomplie, affirme : « Le temps se rompit en nuages de poussières/Rien que miettes et poussières à Port-au-Prince » (p75). Oui Haïti a été terrassé : « Désolation partout ! Décombres, amoncellements de briques cassées, de pans de murs sur des êtres humains à jamais inertes ». Ce qui se déploie aux coins des phrases et des vers n’est pas une hallucination malgré les doutes de Foua Saint Sauveur « O mon Dieu ! Est-ce possible ? Sont elles réelles, ces images qui s’offrent à mon regard incrédule ? » (p 107). Wohi ! s’écrie Hyacinthe Kakou. Comment ne pas être ému par l’aventure de cette fillette sauvée par sa poupée. Merci à toi Fatou Kéita de nous avoir offert cette histoire, qui connait mieux que toi le monde de l’enfance.


Malgré l’émotion, on brûle d’une ardente envie de savoir pourquoi Haïti doit porter cette croix jusqu’à Golgotha ? D’où vient cette coalition de malheurs qui se déversent sur Haïti, le symbole de notre fierté? De Dieu ? Des divinités vaudous ? De la Nature jalouse ? De l’histoire, la grande rancunière ? Tiburce Koffi pense qu’il s’agit d’une « trahison de la terre et du ciel » (p161). Voyez vous-même, nous révèle Serge Grah : « deux cent ans que le malheur a fait son siège au cœur d’Haïti trente deux coups d’Etat, deux guerres civiles, cyclones et séismes par centaines » (p117)…Werewere Liking est convaincue qu’Haïti n’est pas maudit : « Non il n’y a pas de malédiction/Non il n’ y a pas de punition » (P181).  Pourtant, l’histoire de cette terre n’a jamais été une sinécure. Et c’est Maurice Bandamn qui trouve les mots pour nous articuler à son passé de douleurs : « La maison haïtienne a été bâtie avec tant de sueur et tant de sang. Sur aucune terre, l’homme noir n’a autant lutté. Pour la liberté, pour l’égalité, pour l’indépendance. Peut-on compter les fleuves de sang versé pour la conquête de la liberté ? » (P65).


Malgré les pleurs et les cris de douleurs de nos écrivains, ils sentent au fond d’eux-mêmes la braise de cet espoir qui réveille les morts. Ils sont confiants que le pays de Dessalines, de Christophe et de Louverture est un Sphinx et qu’il saura se relever du ventre des décombres. Du fond de leur être abyssal, montent en chœur des prières pour que la résurrection soit possible. Amoa Urbain comme un pasteur exalté se tourne vers l’Incréé : « Dieu de tous les temps/ Reçois nos soupirs, nos sanglots et nos pleurs/Pardonne nous/Illumine nos cœurs/ Et qu’enfin Ta Sainte Lumière/ Sur les affligés et sur les affamés…Darde ses rayons sous nos pas » ( p42). Le souhait d’Annick Assémian par des mots zen est « que nos pensées les plus positives et nos aides aillent vers ce peuple. Meurtri. S’il pouvait ne plus y avoir de tels désastres, que la vie sur terre serait belle » (p51). Joseph Anoma prie pour que « vienne la saignée diaphane de l’hévéa/En guise de cataplasme aux naufragés séculaires/Pour apaiser la terre calcinée craquelée ». Nul n’a le droit de désespérer car L’Eternel aime Haïti. Roland Dagher, plein de foi, prophétise : « Et comme Israël, Dieu lui accordera et pour toujours, sa protection et sa bénédiction » (p84). Chapelet de prières à Dieu pour solliciter son assistance, mais aussi prise de conscience que la vie, une nouvelle vie, est possible. Et cette vie passe par le labeur. « Hier nous combattions au grand cri nègre de la « liberté ou la mort », aujourd’hui, nous devons combattre au cri de « La vie ou de la mort ». La vie c’est le travail, oui c’est le travail » (M. Bandaman, p66). Le livre enfanté par nos écrivains est un « chant de promesse » (J. Guébo) pour Haïti, mais aussi pour l’Afrique et pour notre pays.


Des paroles de Côte d’Ivoire Pour Haïti n’est pas seulement un message. Ce livre est une convergence de talents, le point géométrique de maints savoir-faire. Ecrit pour consoler et donner espoir à un peuple, nos écrivains se sont surpassés pour accoucher des textes aux qualités littéraires indiscutables. Poèmes, nouvelles, texte dramatique et méditations s’entremêlent à donner le tournis à tous les assoiffés du bien dire. Associations de mots qui se boudent, croisement lumineux d’adjectifs, sonorités exquises, florilège d’images saisissantes, hyperboles fardées ...  Des paroles de Côte d’Ivoire Pour Haïti est une parturition artistique, un chef d’œuvre à déguster. J’ai lu le livre et je peux dire que je prends le temps qu’il faut pour le digérer lentement ; et je peux vous garantir qu’il parle au cœur et à l’âme. Des paroles de Côte d’Ivoire Pour Haïti, dont la préface a été signée par le Président Laurent Gbagbo, c’est 41 plumes enchantées, 41 textes lumineux, 41 réussites artistiques.

Ont écrit ces Paroles : Arsène A. Ablo, Josette Ahondjo, Paul Ahizi, Urbain Amoa, Joseph Anouma, Annick Assemian, Azo Vauguy, Maurice Bandaman, Roberte Benoît, Tanella Boni, Henri Bosson, Roland Dagher, Philippe Demanois, Gina Dick, Fatou Kéita, Foua Saint Sauveur, Michel Gagbo, Serge Grah, Josué Guébo, Inna Hampâté Bâ, Flore Hazoumé, Hermann Hokou, Hyacinthe Kakou, Anne Kanga, Tiburce Koffi, Celestin K. Yao, Seydou Koné, Werewere Liking, Logbo Gnézé, François d’Assise N’Dah, Henri N’Koumo, Charles Nokan, N. Olympio, Sylvain Opperi, Véronique Tadjo, Alain Tailly, E. Toh Bi Tié, Faustin Toha, Y. Vami Irié, Nguettia Yao, Régina Yaou, Daniel Zongo.

ETTY Macaire


 

Des Paroles de Côte d’Ivoire Pour Haiti, Notre Devoir de Solidarité, NEI/CEDA, Abidjan, 2010, 252 pages.

 

Publié dans LE NOUVEAU COURRIER du vendredi 24 février 2012



24/02/2012
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