LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Interview/ Jean Valère Djezou, poète, auteur de Dunes D’Or (1ère partie)

 

JVD : « Ma poésie est une caravane musicale. Elle fait danser en même temps qu’elle dit la vérité »

 

Poète-musicien, Jean-Valère Djézou vient de publier chez Harmattan Dunes D’Or, un recueil poétique se situant à l’intersection de la beauté pure et de la parole engagée. Après des tentatives infructueuses, nous avons réussi à rencontrer le poète. Comme une digue rompue, le démiurge-chantre s’est laissé simplement aller…une entrevue qui va étancher des soifs...

 

 

Qui est jean-Valère djezou ?

 

Jean-Valère Djézou est un Ivoirien dont la vie est semblable à celle de son pays et de l’Afrique, il a beaucoup de potentiel, mais il ne vit pas le ciel.

Côté famille, Jean-Valère est le deuxième produit d’une famille de six enfants. Il admire ses parents qui sont un exemple de fidélité, d’amour du prochain et de courage. Et justement, côté amitié, Jean-Valère Djézou est un homme comblé par Dieu et dont les amis prêts à tout pour lui sont sa muraille et son petit paradis. Côté Dieu, Jean-Valère Djézou est chantre de l’Eternel. Dieu tient la première place dans ma vie. Je suis prêt à renoncer à tout pour le Seigneur Jésus-Christ. Je suis loin d’être le plus exemplaire des hommes, cependant mon Créateur sait que tout sacrifice qu’il m’impose me convient. Toutefois, Jean-Valère Djézou, c’est aussi un incompris, un regard qui critique et cisaille tout. Il ne fait pas mille tours pour cracher ce qui est dans sa gorge. Mais il critique respectueusement, ayant un respect franc pour ses semblables, quelles que soient leur taille et la taille de leur poche.


Pourquoi le titre Dunes d’Or ?

 

 La réponse à cette question se trouve dans le substrat motivationnel du recueil essentiellement charpenté de leçons de vie. Au départ, Dunes d’Or, c’était Dunes d’Or ou 100 leçons de vie. Il aurait également pu s’appeler Carnet de voyage. C’est d’ailleurs par cette désignation que Dunes d’Or ouvre ses pétales sur la quatrième de couverture. Toutefois, Dunes d’Or a survécu, parce que Dunes d’Or est et a un esprit de survie dans ce monde, ce continent et ce pays qui exigent qu’on arrache la vie et le bonheur à coups de dents et de volonté inflexible.

Dunes d’Or, c’est d’abord la force d’une couleur, le jaune fou. Le jaune du soleil perché sur la cime majestueuse du ciel et de l’or qui s’épanouit à la racine fertile de la terre. C’est ensuite le jaune peu franc de la poussière de la terre qui veut nous ensevelir, alors qu’elle a aussi fonction de nous porter vers la stabilité et les grandeurs. L’homme et l’or étant poussière, Dunes d’Or ne pouvait que mieux traduire l’image de cette richesse que nous cherchons sans sommeil ailleurs, alors qu’elle sommeille paisiblement en nous. Et pour la découvrir, il faut l’intervention d’une force extérieure. La lame de nos peines nous déchire. La trahison et la déception nous brisent les os. Toutes les épreuves imposées par notre milieu nous pressent et nous essorent. Enfin, nous contemplons le doux jus de la vie qui coule et roule en nous. Nous découvrons notre étendue illimitée. Nous sortons robustes du pressoir de nos épreuves, avec le constat que la sérénité et l’abnégation sont venues à bout de nos limites, ces dunes de désespoir et de souffrances s’étendant à perte de vue.

Et nous contemplons l’or insoupçonné qui riait en nous et que nous sommes, nous-mêmes. Nous découvrons l’immensité de notre richesse, infinie comme ces montagnes de désert. Nos peines, nos dunes nous ont permis de découvrir notre or, l’or en nous. Notre désert, nos dunes, tout cela était de l’or !  


Quelle logique a présidé aux différentes parties de ce livre ?

 

Dunes d’Or comprend quatre parties représentant les quatre pieux du recueil : Conviction de croix ; Leurre des lumières ; Marathon d’amour ; Cœur à chœur. La première partie, Conviction de croix, est ma profession de foi envers l’Homme, la conviction de ma mission de sentinelle du peuple ivoirien, des peuples africains et de tous les continents. C’est une mission faite d’une lourde croix. Il est en effet pénible de porter à la fois sur ses petites épaules les fardeaux de son prochain et ses propres fardeaux. C’est ma conviction. C’est ma croix. C’est ma Conviction de croix. Chacun devrait en faire sa Conviction de croix.

La deuxième partie, c’est Leurre des lumières. Si vous voulez, leurre des lueurs, leurres et lueurs, l’heure des leurres, l’heure des lumières, l’heure de la vérité. Parce que c’est tout cela, la section. Elle est faite de trahisons, de désillusions, de dénonciations, de libérations. Les tares individuelles et collectives tapies dans l’ombre du mensonge, de l’hypocrisie, de la honte et de la fuite des responsabilités sont débusquées. 

La troisième partie, elle, a pour nom Marathon d’amour. L’amour, cette inconnue connue de tous. L’amour qui n’est jamais gagné d’avance. Le cueillir et le conserver est une longue initiation, une longue quête, une longue souffrance. Si l’amour donne la vie, l’amour précède et accompagne aussi la vie et la victoire.

La quatrième et dernière partie : Cœur à chœur. Cœur à chœur, ce sont des textes que j’ai, pendant longtemps, chéris. Il s’agit de poèmes destinés à être chantés. En d’autres termes, ils auraient dû précéder Dunes d’Or. Toutefois, cette partie a connu un grand ménage. Des poèmes se sont envolés. D’autres ont surgi… Voilà les quatre forces sémantiques qui tiennent l’ossature générale de Dunes d’Or.


Vous accordez une grande place à la rime dans ce livre. Peut-on savoir pourquoi …

 

J’ai une âme profondément musicale, une sensibilité qui s’attache aux coupures et aux ondulations rythmiques, mélodiques et harmoniques. Je suis en réalité chanteur à la base et ce premier livre aurait pu être précédé par un album musical. Alors, je me dis que la musique est peut-être tellement forte en moi que mes paroles s’y mêlent facilement. Et finalement, je crois bien que je chante plus que je ne parle et que c’est l’écho profond de cette musique intérieure qui m’a naturellement attaché à l’arbre suave de cette poésie qui rame avec les rimes. Je ne cherche donc pas aveuglément les rimes et les complicités sonores entre les mots. 

Mais il faut le dire, j’aime les mots qui se font écho ! ces mots de même plumage qui volent ensemble ! Les fibres de mon esprit, de mon âme et de ma chair sont nouées à l’arc attachant de la musique. J’aime la fleur poésie ! J’aime cette poésie de rose qui chante ! Comme le roi David, je suis poète-chanteur, et c’est le plus naturellement du monde que je donne au monde ce qui est moi et en moi. Et je pense que cela est bon, car ce qui est donné avec le cœur a plus de feu.

Et c’est pour cela que je ne chercherai pas à m’affranchir des règles classiques, tant qu’elles assurent ma liberté et l’expression libérée de mon talent de poète. Je ne vais pas conspuer le classique tout simplement parce que la danse des mots du moment veut un tango aux pas nos marqués par un tempo. Si l’affranchissement des normes classiques est motivé par le désir de rompre les chaînes de la pensée, en délivrant l’expression bridée, cela est plus que bien. Et c’est cela le style, d’aller dans tous les sens et le sens qui exprime le mieux les courbes, les lignes, les traits, les tons et les couleurs de la sensibilité, particulière d’un individu à un autre, d’un groupe d’individus à un autre. 

Et c’est pour cela qu’il faudrait prendre garde à ne pas épouser la dogmatique attitude des inconditionnels du classicisme qui vouèrent aux gémonies tout art qui n’avait pas les beaux yeux du classique. Faire des tirs groupés sur les règles classiques pour se montrer à fashion, c’est finir par ressembler à ces gens et par encelluler l’expression artistique. Et l’art qui se mêle à la mode fait aisément art de foire, art alimentaire. C’est pour que je m’attache à ce qui permet à mes trippes de mieux crier. Et c’est certainement les vers bridés. Cela dit, il y a des moments où mon verbe va goûter au plaisir de briser le vers cadré et d’enlacer le vers libéré. Ce fut le cas dans Si la vie était…  


Est-ce l’idée qui s’évapore de cette phrase extraite de l’avant-propos : « je peux légitimement dire a ma poésie : « frappe-moi ça, flèche de vie, roule-moi ça, verbe de feu », verbe de l'âme, souffle de résurrection, et voir dans la chorégraphie montée par des mots presque jumeaux, acoustiquement, une sorte de musique qui, comme l'effusion psalmiste de David, mise en musique, révèle toute sa profondeur harmonique, sémantiquement, syntaxiquement. »

 

Oui. Tout à fait.

 


 Tu appelles Zadi et Adiaffi des maitres. Pourtant cette recherche d’harmonie sonore en fin de vers (rimes) n’est pas une constance dans leur esthétique poétique.

 

Quand on a côtoyé un maître à l’envergure humaine et intellectuelle aussi vaste que profonde comme la terre, on se demande bien ce qu’on peut faire pour lui ressembler un tout petit peu et honorer sa mémoire. Et c’est une question qui intimide. Le feu maître Bottey, comme l’appelait sa grand-mère, c’est quand même plus de trente parutions ! Sept œuvres poétiques ; onze œuvres théâtrales ; douze œuvres critiques. Et une tonne de productions diverses ! Et moi, je ne suis qu’à trois, les deux autres n’ayant même pas encore été éditées. Ressembler à cet homme, c’est comme si le menu David défiait mille Goliath ! On ne peut que prendre une part infime d’un tel Titanic littéraire et intellectuel. Et le feu maître Zadi Zaourou est celui qui m’aura vraiment fait appréhender la puissance de la pulsation rythmique dans les pratiques esthétiques et oratoires Négro-africaines. Il nous a initiés à l’art de taper du tam-tam avec la parole. Il nous a initié à l’art de pianoter sur un poème, de faire une symphonie avec la prosodie. Et, par-delà tout, ce qu’il m’a laissé comme sa plus vibrante leçon, c’est son humilité, sa simplicité, cette simplicité de colombe. Il écoutait inlassablement, alors qu’il avait tant et tant de choses à nous apprendre. Dans le Livre Saint, j’ai été frappé par l’humilité d’Abraham ; dans le livre de la vie, c’est le maître Zadi qui m’a le plus frappé par son humilité. 

N’empêche, vénérer un maître, ce n’est pas seulement garder précieusement la jarre de feu qu’il a laissée. C’est aussi mettre à côté de la magie qu’il a créée une modeste jarre d’eau que ses précieuses leçons auront aidées à créer. Et c’est ce que le petit disciple que je suis, le moins ressemblant de ses sosies, a fait. J’ai choisi ma propre voix, de faire un bon soprano, alors que le maître était et un excellent ténor et un prodigieux baryton et une basse gargantuesque. Vous n’imaginez pas combien son départ brutal pour cet ailleurs inconnu de l’au-delà m’a déchiré ! J’avais tellement voulu surprendre le maître par le fruit différent et humble qu’est Dunes d’Or ! Cruauté des cruautés ! Poignard des poignards ! « C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre » disait maître Baudelaire.

Autre fait, on n’est pas disciple que pour reprendre la technique du maître. Il y a également la thématique humaniste du maitre Bottey Zadi qu’il faut perpétuer. Il nous dit un jour qu’il dût quitter l’arène politique, étant donné qu’elle requiert inhumanité et écoulement profus de sang et que, bien que connaissant cette vérité pragmatique enseignée à certaines personnes qui l’appliquèrent admirablement bien et réussirent en politique, il ne pouvait lui-même l’appliquer, par manque de méchanceté et par amour pour l’Homme. Si Pierre n’avait gardé de Jésus que les méthodes d’expulsion des démons, et non la sainteté de Christ, il aurait été un piètre apprenti. Devenir Air Jordan, ce n’est pas pendre la langue et faire un saut à la Mike Powell pour ne jamais rien mettre dans le panier. Ça ne s’appelle pas autre chose que des drôleries ! Entre un excellent Didiga fait par un disciple assidu qui piétine la pensée sociale du maître et une œuvre moyenne qui cafouille et se débrouille pour répandre l’idéologie de son cœur je préfère de loin celle qui honore sa mémoire de citoyen du monde. Les maîtres ne sont pas grands que par leurs techniques. Boigny, Gandhi, Marley, Mandela, Luther, Socrate, Pascal, etc. sont grands pour leurs visions du monde et leurs sacrifices pour l’Homme. C’est ce que doivent surtout retenir leurs disciples. Connaissez-vous un disciple de Guillotin ? Il a pourtant imaginé la guillotine !

Pour ce qui est du maître Jean-Marie Adiaffi, je pense qu’il est l’un des poètes les plus extraordinaires de l’histoire de l’écriture d’expression française. Son écriture est transe, effusion et rythme profond du monde Noir et africain. Et D’éclairs et de foudres est le sommet de sa poésie. Cependant, ma poésie ne côtoie ni ses hauteurs, ni ses couleurs, ni ses ardeurs. Mon poème Pays fou de fous n’a pas le cri puissant et perçant D’éclairs et de foudres, ni la richesse de ses rythmes polychromes et houleux. Si les principes de mon art  se sont dégagés de l’étude des techniques des maîtres Adiaffi et Zadi, mon art reste cependant différent et indépendant. Et ce n’est pas une nouveauté dans l’histoire de l’art. Baudelaire, bien que considérant Théophile Gautier comme son « maître et ami », ne fut pas parnassien. Mieux, sa démarcation fit de lui la harpe du symbolisme. Rembrandt, le maître du clair-obscur, fit la prouesse d’avoir, à vingt-deux ans, son propre atelier, avec ses propres disciples, parce qu’il se détacha du modèle pictural de ses maîtres Jacob Van Swanenburgh et Pieter Lastman. Chuck Berry a engendré le Rock and Roll music, en mettant dans un même canari les courants du rhythm and blues, de la Pop et du country.

Je vénère mes maîtres, mais je ne suis pas ce genre de disciple qui dort dans les couches de son maître. Ainsi, mon art va aussi ailleurs, à quelques pas de mes maîtres, puiser à d’autres arts sous d’autres cieux ce qu’elle y peut puiser. Ronsard ; Hugo ; Baudelaire ; le roi David qui fit des psaumes ; son fils Salomon qui fit des proverbes et des cantiques… sont aussi mes pieux et mes puits. C’est d’ailleurs l’identité de ma musique : mélange, melting-pot, airs venus de partout le monde. Et ma poésie est musique. Elle fait frémir sons sonores et sourds, aigus et graves, clairs et sombres… Elle est montée sur la base du principe que tu as décelé dans l’avant-propos, Frère Etty Macaire : « je peux légitimement dire à ma poésie : « Frappe-moi ça, Flèche de vie, roule-moi ça, Verbe de feu », Verbe de l'âme, Souffle de résurrection, et voir dans la chorégraphie montée par des mots presque jumeaux, acoustiquement, une sorte de musique qui, comme l'effusion psalmiste de David, mise en musique, révèle toute sa profondeur harmonique, sémantiquement, syntaxiquement. »


Le poème « le rêveur » semble par sa position en début de livre et par son contenu, être une sorte de manifeste en faveur de votre vision de la poésie.

 

Le rêve est essentiel à la poésie, qui pétrit des étoiles avec des larmes, fait du feu avec de l’eau et du cratère flamboyant du volcan une petite maison chaude. Et cette force du rêve vital à la poésie trouve une de ses plus belles réalisations dans Les Yeux d’Elsa : "Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer…" Si notre enfance a été bercée par les contes, les contes de fée, c’est bien parce que les fées apportent de la magie à la vie. Mais il n’y aura pas toujours ce petit bâton magique venant d’ailleurs qui viendra nous sortir du pétrin. Chaque homme a son petit bâton magique : ses qualités, son talent, son esprit et son cœur. Et la poésie, c’est ce petit bâton magique, ce bâton de Moïse qui taille en pièces l’invincible mer.

Mais il faut entendre la poésie au sens large de transformation des matériaux que sont les sons, les couleurs, les mouvements, les lettres, les mots, etc., et même le quotidien. Dans la mesure où, si, pour l’orfèvre sculpteur, la matière, c’est la pierre, le bois ou le sable, pour le créateur de vie, c’est bien le quotidien qui est la matière. Et en vérité, tout art est rêve et créateur de vie. C’est pourquoi j’estime que celui qui ne rêve pas a jeté sa carte de vie. Celui qui ne rêve pas s’est déjà trouvé une belle pelle, creusé une vilaine tombe et s’y est déjà jeté et enterré. C’est tout le sens du suicide. Celui qui se suicide n’a plus une seule goutte de rêve dans les veines, dans la cave du cœur. Et nos Etats meurent justement à petit feu car ils n’ont pas de rêve ou ont peur de rêver.

Rêver, c’est parier que la vie désertique de l’instant deviendra un océan d’or demain. Ce sont le sens premier et la mission première de ma poésie que je veux porteuse du doux souffle de la douce vie. Toutefois, dans cette civilisation matérialiste, il vaut mieux porter le nom d’escroc que de se présenter comme poète, inventeur, rêveur ou idéaliste. D’autant plus que l’escroc semble avoir la tête et les pieds mieux accrochés à la réalité. Cela donne en effet une impression bizarre et comique d’avoir sur sa pièce d’identité intellectuelle, poète, penseur, inventeur ou rêveur. On se dit : voici encore un de ces inutiles et de ces profiteurs ! Cependant, ces rêveurs sont les artisans du monde. Tous les outils par lesquels ceux qui se croient les plus pragmatiques jurent appartiennent au rêveur. Le monde serait trop laid sans rêve. La vie aussi.

Mais pour moi, Le rêveur, ce n’est pas un rêvasseur, un pleurnichard, un passif, une serpillière de la vie. C’est un combattant, un homme de défi, de terrain, insensible à la douleur, revigoré par l’échec et obnubilé par l’éclat de la victoire future qui le tire, le tire et le tire vers l’avenir. Le rêveur, c’est le fou du présent, le génie du futur, le prophète de futur. C’est un Martin Luther King. He has a Dream. Par ailleurs, le rêve est le signe de la bonne santé de l’esprit. Un fou qui rêve est préférable à un homme sain qui ne rêve pas. Le rêve est la matière de la réussite et du développement. Ceux qui pagaient avec leurs rêves volent plus loin que ceux qui ont des ailes faites de billets de banques. Parce que finalement, c’est à l’argent qu’on veut réduire la vie, quand on bannit le rêveur de la cité comme un vulgaire chien. La vie n’est pas argent. La vie est rêve. C’est le rêve qui a créé l’argent et l’argent est au service de nos rêves. C’est pourquoi il faut rêver et rêver, tant que le rêve nous pousse à l’action de transformation de nos dunes sableuses en montagnes d’or. Le rêve est l’essence des Dunes d’Or.

 

Dans ce poème je lis Baudelaire (le vin des chiffonniers) et Hugo (demain des l’aube).

 

Ce sont deux grandes références que tu viens de sortir là ! Et effectivement, lorsque je mettais en forme Le rêveur, j’avais la pensée fixée sur "Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées," ce beau vers hugolien auquel j’ai, à ma façon, donné un coup de neuf avec Le rêveur qui, "Les yeux fixés sur son rêve, Sa pensée ne fait guère de trêve."  Dans Le rêveur, il faut toutefois voir la poursuite de l’idéal rêvé, le rêve de la résurrection du monde qui tourne le dos à cette résignation, cette marche pitoyablement sereine vers cette mort inexorable dans les bras de laquelle le poète va indolemment, nonchalamment se jeter.

Et ce qui est intéressant dans ces deux textes poétiques frères, c’est qu’ils marchent sur un même tempo monotone. Il y a sur la scène deux personnages ennuyeux. On peut les voir marcher en synchronie sur notre petit écran fendu en deux. Les deux ont un projet de voyage, arpentent difficilement les montagnes, sont insensibles et sourds aux visions indésirables de leurs yeux et avancent vers demain. Le poète de Demain, dès l’aube… marche pour un demain tragique cloué par la mort et qui tombera dans la tombe. Le rêveur marche pour un demain épique couronné par le trophée du rêve accompli et qui trônera sur les fantômes d’hier.

J’ai cependant une dette de franchise envers toi, Grand Frère poète Etty Macaire, certes j’avais l’esprit cramponné à cet illustre vers d’Hugo cité en sus, toutefois c’est la lumière de ton regard perçant aux mille projecteurs qui m’a révélé jusqu’où m’a poussé, sans que j’en ai la moindre conscience, ce seul vers du génie Hugo.

Le vin des chiffonniers de Baudelaire, par contre, je n’y pensais pas, quand je marchais avec Le rêveur. Je n’aime pas le vin, c’est normal ! (rire) Et ce que je trouve encore bien rigolo, c’est que ces deux gars marchent la tête qui bouge de haut en bas comme des dindons. Ils butent, se cognent aux murs, dandinent, coulent. Ils sont ivres de quelque chose, lamentables, pitoyables, misérables et sujet à la raillerie du monde. Et cet air ridicule leur fait ressembler à Ménalque, l’éternel distrait de La Bruyère.

En somme, ces trois personnages qui animent ces trois papiers sont comme sortis du même panier. Ridicules, ces trois poètes savent néanmoins ce qu’ils veulent et de quoi sera fait leur lendemain. Le premier rêve de la mort et la mort se pointe. C’est le poète de Demain, dès l’aube…  Le second rêve que l’alcool noiera toujours ceux qui veulent y noyer leurs ennuis et le vin n’a toujours été qu’un générateur et un accélérateur de dégénérescence. C’est le poète du Vin des chiffonniers. Le troisième rêve de rendre demain meilleur et son demain sera meilleur et demain sera meilleur grâce à lui. C’est Le rêveur… 

(Lire la suite dans la deuxième partie de l'interview)

 

Interview réalisée par ETTY Macaire

 

In Le Nouveau Courrier du vendredi 22 février 2013




22/02/2013
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