LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Interview / Jacob Bleu, peintre et écrivain ivoirien

 

 

 

 

« Le monde est triste et il faut permettre à l’Homme d’avoir ne serait-ce qu’une portion de rêve ». JACOB BLEU

 

Jacob Bleu ! Le nom rime avec talent et audace ! A force de travail, il est devenu un label dans le champ des arts en Côte d’Ivoire. Enseignant, artiste peintre, artiste photographe et écrivain, il est  une icône de la culture ivoirienne. Aujourd’hui, la renommée de l’artiste a franchi les frontières. A notre demande, il a bien voulu se laisser découvrir…

 


Jacob Bleu ! le nom est bien connu dans le milieu de la culture mais pas pour le grand public, ce n’est pas évident…

 

Jacobleu est un artiste visualiste et écrivain ivoirien, né le 12 mars 1972 à Danané (Côte d'Ivoire). Je suis diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts d'Abidjan et j’enseigne la peinture contemporaine depuis 1998 dans nos Ecoles d’Art. Jacobleu est l'initiateur du premier grand festival international des Arts Visuels d'Abidjan (AVA); de l’exposition d’art contemporain du cinquantenaire de Côte d’Ivoire et Chevalier dans l'Ordre du mérite culturel ivoirien.

 

A quelle école appartenez-vous en tant qu’artiste-peintre ?


Je fais de l’art actuel et contextuel avec l’utilisation intelligente de la matière dans mes peintures. En plus de cela, je pratique de la photographie d’art ; je fais des« installations » et des « performances » artistiques. Donc vous convenez avec moi que le champ d’expression des arts actuels est tellement vaste qu’il est presque hasardeux de s’auto classer. Je dirais peut-être que je suis un peintre matiériste contextuel. Mais je ne veux pas revendiquer l’appartenance à une école quelconque. Et puis, notre Histoire de l’art est très récente. Nous héritons des pratiques occidentales des beaux-arts que nous « re-présentons »en nous fondant sur nos ressources sociales et culturelles. Je laisse donc ce rôle de classification à nos critiques d’art et à nos historiens. 


Aujourd’hui, quelle est la place que vous revendiquez dans le domaine de l’art ?


J’ai formé plusieurs jeunes qui sont aujourd’hui des talents reconnus. Et ceux-ci me prennent en exemple. Je suis en quelque sorte leur modèle. Or, j’ai des ainés qui sont aussi fiers d’avoir un de leur « produit » qui a émergé. Donc je suis un peu comme un intermédiaire entre les générations passées et celles en construction. Un rôle que j’essaie modestement d’assumer. C’est pourquoi j’organise régulièrement des évènements qui regroupent tout le monde y compris ceux de la diaspora, avec qui je crois avoir de bons rapports puisque moi-même j’ai vécu en Europe et j’y vais souvent quand cela est possible.


Il se pose un problème de visibilité chaque fois qu’il s’agit d’art. Pensez-vous que le gouvernement a un rôle à jouer dans ce champ ?

 

Le problème de la visibilité des arts visuels se situent à trois niveaux. Premièrement, les artistes eux-mêmes doivent avoir du courage, de l’audace, l’excellence dans le travail et beaucoup d’ouverture sur les autres cultures et l’extérieur. Parce que le monde est devenu ce qu’on appelle aujourd’hui un village planétaire qui n’accepte plus le renferment et l’isolement. Il faut aller à la rencontre des autres avec ce qu’on a et prendre une part de ce qu’ils ont. Il faut surtout être solidaire entre nous. Mais dans tous les cas, chacun est d’abord responsable de sa propre destinée. Donc, il ne faut pas attendre le salut les bras croisés. Moi, très tôt j’ai pris l’initiative d’aller en Europe et un peu partout en Afrique sur la base de mes propres économies au départ. C’est au fil des temps, quand la reconnaissance s’est imposée que j’ai eu des soutiens et des appuis. Rien n’est gagné d’avance. Deuxièmement, la communication dans nos medias est très restrictive. Les pages et les reportages consacrés à la culture et aux arts visuels sont presque inexistants. Il n’y a que la politique et le sport. Et lorsque les journalistes veulent parler d’art, c’est la musique ou bien les concerts qui « enflamment » les pages. On ne peut pas construire une Nation dans cette condition. Enfin, l’Etat doit soutenir les créateurs dans leurs actions et les projets qu’ils réalisent. Il faut mettre en place un vrai programme culturel clair et opérationnel. On dit que le football est le sport roi. Mais dans certains pays, l’Etat soutenu par les gens de la communication a fait en sorte que tout le monde converge vers le rugby, la lutte traditionnelle, le surf ou bien le baseball. Tout est une question de volonté politique. 

 



Les mots « art » et « vulgarisation » vont-ils de pairs ? Autrement dit, l’art n’est-il pas par définition, une activité élitiste ?

 

C’est vrai que la façon dont se présentent nos arts, donne l’impression d’être loin du commun des mortels. Mais à bien regarder nos œuvres, elles découlent de notre vécu quotidien et de notre culture. Donc le public dans son ensemble, sans distinction de classe, doit se sentir concerné par ce que nous faisons. Nous entreprenons souvent des initiatives telles que des caravanes des arts, des expositions plein air, ouvertes et gratuites, afin de créer ce rapprochement avec le peuple. La vraie difficulté vient du fait que les tableaux ont un prix qui n’est pas forcément accessible à tous. La vie en général est ainsi constituée. Ce n’est pas tout le monde qui roule en jet privé. Les matériaux sont chers et il y a un marché de l’art qui a ses réalités incomparables à celui du pain.

 

Faut-il une culture spécifique pour mieux consommer vos tableaux ?

 

Y a-t-il une culture du beau ? Ce que nous pouvons faire, c’est d’informer et d’éduquer nos citoyens à la valeur et à l’importance de la chose artistique dans leur vie quotidienne. L’art embellit; il est thérapeutique ; il est support de rêve et d’évasion ; et il peut être un bon placement pour ceux qui y investissent. Sinon, la notion du beau est relative à la culture de chacun et à son environnement. 


Pensez-vous que les peintres africains ont pu s’affranchir des maîtres de l’occident ?

 

La plupart des techniques et technologies relèvent certes des beaux-arts, mais nos« maitres » et nos thèmes abordés sont liés à notre culture. Donc il n’y a pas de cordon ombilical à sectionner. Bien au contraire, l’évolution et l’éclosion de l’art au 20è siècle ont pris leur source dans nos objets traditionnels. L’histoire de l’art témoigne encore que Picasso et ses compagnons Derain, Vlaminck, etc. ont pu marquer leur époque grâce à leur lien avec la statuaire africaine. 


En Côte d’Ivoire, s’il y a des noms qu’on ne peut oublier dans ta famille artistique, lesquels citerez-vous ?

 

Par principe, je respecte tous les créateurs. … Et dans mon parcours étant étudiant ou bien professeur, j’ai rencontré des gens fabuleux dans ce milieu. Mais nous avons ceux qui ont fait notre petite histoire de l’art tels que Christian Lattier, Michel Kodjo, Gensin, Oliko,... que nous ne devons pas négliger.


En Afrique traditionnelle, la frontière entre l’art et la religion ou même le mysticisme, n’est pas aisé à définir…vrai ?

 

Cette vision des choses ne me semble pas conforme à la réalité. Dans nos traditions, il y a une part du ludique et du partage du beau dans nos arts. Et il y a d’autre part les arts sacrés qui sont liés à des rites initiatiques. Mais de manière générale les arts traditionnels en Afrique sont fonctionnels. C’est-à-dire qu’ils occupent une place primordiale dans l’organisation et le fonctionnement de la société. Ce qui crée forcement la confusion entre sa partie contemplative et sa partie « mystique ».


Pouvez-vous nous faire un point succinct de vos œuvres aujourd’hui ?

 

Je travaille par période ou bien par saison. J’ai eu une période consacrée aux mouvements de danse des masques dan, kanaga et africains en général. Après je me suis intéressé aux problèmes sociaux et politiques de notre continent. Ensuite, j’ai fait des œuvres sur la rencontre et les voyages du fait de mon statut de« nomade ». Actuellement, je crée des œuvres en rapport avec la lumière et l’espoir. Le monde semble de plus en plus triste et il faut permettre à l’Homme d’avoir ne serait-ce qu’une portion de rêve. En clair, je peins et photographie « la vie ».


Quels sont les projets de l’artiste aujourd’hui ?

 

Continuer de travailler ; faire mes expositions et reprendre si possible le festival international des Arts Visuels d’Abidjan que nous avons stoppé par manque de financement conséquent. Le reste, plus personnel, est enfoui dans mon cœur.


Merci l’artiste

 

Je vous remercie de m’accorder cette tribune qui j’espère permettra de partager une partie de moi-même avec vos lecteurs.

 

Par ETTY MACAIRE

 

in Le Nouveau Courrier du 25 janvier 2013, Abidjan

 



25/01/2013
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