LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

INTERVIEW/ EMERAUDE DJÔLO SELENAN

 

 

 

Emeraude Djôlo vient de publier chez les éditions Balafons un recueil de onze nouvelles. Elle a bien voulu se soumettre à nos questions pour mieux nous aider à apprécier son œuvre.

 

 


 

Qui est Djôlo Sélena Emeraude ?

Je suis Djolo Séléna Eméraude, d’origine et de nationalité Ivoirienne, née et ayant vécu en Côte d’Ivoire. Avec un baccalauréat A2 obtenu au lycée sainte Marie de Cocody, j’ai effectué des études en Droit Privé des Affaires, à l’Université de Cocody. Je suis célibataire sans enfant.

 

 Qu’est-ce qui vous a poussée à l’écriture ?

J’ai été poussée à l’écriture pour deux raisons : d’abord, j’ai aimé la littérature dans laquelle j’excellais à l’école, ensuite, j’ai vu en l’écriture, un moyen privilégié de m’exprimer sans censure et d’exercer mon engagement à me battre pour certaines causes.

 

 Votre livre se veut souvent satirique. Alors quels sont les maux que vous avez voulu dénoncer ?

Les maux dénoncés ici partent de la complaisance et de la légèreté de nos dirigeants dans la gestion des affaires publiques, aux problèmes cruciaux de la jeunesse tel que le chômage, en passant par l’attirance de la jeunesse vers les solutions faciles pour réussir. L’œuvre évoque également la question de l’acceptation du mal-être du noir qui se manifeste par le rejet de sa peau ainsi que les inconvénients du capitalisme qui nous donne de réfléchir sur le système économique qui pourrait se rapprocher le plus de la juste répartition des richesses mondiales.

 

Votre personnage Sessegnon est submergé par les exigences de ses parents et de sa fiancée depuis qu’il est nommé DG de l’Ecole des élites ? Quel est le message central de cette première nouvelle ?

Cette nouvelle retrace les réalités des coulisses des concours administratifs en Côte d’ivoire. Loin de jeter tout d’un coup la pierre, je relève ici les réalités sociologiques qui peuvent se poser devant un responsable qui peut avoir même des intentions de gestion transparente. Je ne prétends pas demander que le D.G ne satisfasse aucune personne privée, ce serait en effet, prétendre compter les grains d’arachides qu’il surveille. Seulement, je milite pour que les « services » rendus à titre personnel soient relégués au second plan, afin qu’on donne beaucoup plus de chance à l’inconnu, bref. A l’Ivoirien qui mérite que son pays s’occupe de lui.

 

 Vous flétrissez également l’hypocrisie et l’abus du pouvoir des hauts cadres de l’administration. N’est-ce pas ?

Effectivement. Nous voulons que les choses changent. Mais nous savons qu’une volonté politique est beaucoup plus puissante pour faire changer les choses rapidement.  Ce serait beaucoup plus facile pour nous, le peuple, que ceux qui clament travailler et pour nous, à qui nous donnons mandat fassent effectivement le travail pour lequel ils sont payés avec notre argent. Et qu’ils ne nous rendent pas esclaves alors qu’ils sont censés travailler pour nos intérêts.

 

L’image de la jeune fille qui se dégage de ce votre livre n’est pas aussi reluisante….

Oui, et ce n’est pas un jugement, mais une invitation à prêter beaucoup plus attention aux chemins faciles que nous offre la vie et qui sont la plupart du temps, parsemés de déceptions ; et dont l’emprunt peut laisser des blessures indélébiles.

 

 Quant aux hommes, comme d’habitude, ils n’ont pas bonne presse sous la plume des nos écrivaines…

Pas seulement sous la plume féminine. Mais en effet, la femme soupire après l’homme et ce dernier se positionne toujours comme le dominateur qui la fait souffrir. Que de larmes les femmes n’ont-elles pas versé par la faute des hommes ? Par ailleurs, ne continuent-elles pas de les aimer ?

 

Pourquoi à votre avis les jeunes filles sont-elles portées vers des solutions souvent faciles ?

Je crois que le choix des jeunes filles portées vers les solutions faciles est un miroir de notre société d’aujourd’hui qui n’a plus grand-chose à faire de la morale. De plus, nous vivons à l’heure des médias et d’internet qui mettent en exergue, notre liberté de faire de notre vie ce que nous voulons, sans nous préoccuper des conséquences sur la société toute entière. Dans nos pays, les gouvernants ne font plus de la récompense du mérite, une valeur. Il faut qu’ils mettent en avant, les valeurs qu’il faut pour réussir, pour que le peuple suive cette tendance.

 

La prostitution est-elle inévitable aujourd’hui notamment chez les étudiantes comme vous l’écrivez ?

Non, la prostitution n’est pas inévitable. Et c’est une piste de réflexion qui est engagée avec cette nouvelle. En réalité, il y a d’autres solutions mais beaucoup plus difficiles ; On peut alors choisir de ne pas souffrir, c’est tout.

 

« Je ne suis pas noire…c’est le soleil qui m’a brûlée », tel est le titre l’une de vos nouvelles. C’est le titre d’un poème d’un auteur antillais, vous aurez pu le référencer par probité intellectuelle…

En réalité, le titre de cette nouvelle a été trouvé sans même que je ne pense à cette phrase d’Aimé Césaire. Si je ne me trompe pas, il s’agit bien d’un passage dans « Cahier d’un retour au pays natal » et qui dit : «… ceux qui disent à l'Europe : « Voyez, je sais comme vous faire des courbettes, comme vous présenter mes hommages, en somme, je ne suis pas différent de vous ; ne faites pas attention à ma peau noire : c'est le soleil qui m'a brûlé ». Ce n’est pas exactement la même phrase, même si elles ont le même sens et ici, c’est un passage d’un livre alors que dans « Mon patron, mon amour », c’est le titre d’une nouvelle. Cependant, il me plaît ici de rendre hommage à Aimé Césaire, qui, par son engagement, a œuvré avec ses camarades, à l’acceptation ainsi qu’au respect de l’identité noire, par le concept de la négritude. Combat qui nous inspire aujourd’hui et que nous comptons continuer.

 

 Cette nouvelle justement pose un problème très important : le complexe de la race noire et le déracinement…Parlez-nous en un peu.

Même si nous clamons aujourd’hui notre indépendance, force est de reconnaître que l’assimilation est encore présente en nous. Le noir reste encore sublimé par toute peau qui se rapproche de la race blanche. Est-ce parce que cette dernière est la plus belle ou tout simplement est-ce que nous couvons encore inconsciemment ce complexe d’infériorité qui, à mon avis, nous empêche de réaliser plusieurs objectifs pour notre épanouissement.

 

 

Vous semblez présenter le militantisme comme une activité intéressée et pis, comme une sorte d’esclavage qui décérèbre la jeunesse….

Le militantisme aujourd’hui est devenu alimentaire. Combien de jeunes sont-ils réellement convaincus et attachés à l’idéologie ? J’ai entendu des gens dire qu’ils n’avaient pas de travail, alors, ils adhéraient à un parti politique. Aussi, certains politiciens jouent sur le désespoir de ces jeunes afin de les utiliser pour de sales besognes. Cependant, cette situation n’est pas générale à tous les jeunes militants. Il y en a sur qui l’on peut compter pour l’avenir du pays.

 

Deux nouvelles « Mon Blanc sur internet » et « Facebook » nous plongent dans les affres du web aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous a inspiré ces histoires ?

Cette histoire est inspirée de faits réels, comme toutes les autres d’ailleurs. J’ai déjà vu la détresse de jeunes filles suite à un espoir d’une vie meilleure qu’elles avaient placé dans une rencontre sur le web. Mais les pièges de l’amour ne sont pas les seuls que l’on peut rencontrer sur internet. Aujourd’hui, tout le monde est sur Facebook. Mais que les jeunes fassent attention aux vidéos qu’ils postent. Ils pourraient être par exemple, disqualifiés lors d’un recrutement.

 

 J’ai éprouvé une grande émotion en lisant « Regardez en bas, on meurt ! »…cette nouvelle tranche avec les autres par son originalité. Quelle est l’intention qui la sous-tend ?

« Regardez en bas, on meurt » est un ras-le-bol vis-à-vis du capitaliste qui n’a pour seule religion que le gain et encore le gain. Pour cela, il est prêt à tout, même à exterminer tout un peuple pour que ses dividendes restent toujours élevés. Je dis que nous aussi, avons droit aux richesses que Dieu  dans sa grâce a donné au monde. J’interpelle également les grands économistes de ce siècle à réfléchir sur le meilleur système, celui qui pourrait permettre à chacun d’avoir au moins son pain quotidien.

 

Pourquoi à votre avis, doit-on lire votre recueil de nouvelles « Mon patron, mon amour » ?

« Mon Patron, mon amour » est un combat que l’écrivain mène pour des conditions de vie meilleure des populations. C’est une œuvre qui milite en leur faveur. Elle sera un espoir quand elles croiront que tout est perdu. Elle leur donne la force et la confiance qu’elles ont des droits qu’elles doivent revendiquer ; que leurs décisions et leurs actions peuvent changer quelque chose dans notre pays et dans notre continent.


 

In le Nouveau Courrier du 19 octobre 2012



24/10/2012
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