LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Discours sur la rue, discours de la rue : Gbich ! ou le discours social

 Daniel Fondanèche ne croyait pas si bien dire lorsqu’il affirmait que « l’une des caractéristiques des paralittératures est d’être en prise directe sur leur époque, d’en rendre compte beaucoup plus précisément et plus rapidement que les littératures générales. »

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Et oui, la bande dessinée est bel et bien un genre paralittéraire. Mais qu’on ne se méprenne pas car par ‘‘paralittérature’’, je n’entends pas ‘‘mauvaise littérature’’ ; et les chercheurs les plus éminents avant moi l’avaient déjà compris. La paralittérature est une autre littérature avec ses codes et une esthétique qui lui est propre. Mieux, à l’instar de la sacro-sainte littérature, elle a ses navets et ses chefs-d’œuvre. Et lorsqu’on parle de chef-d’œuvre, on peut, sans sourciller, citer l’hebdomadaire de BD Gbich !        .                                

Indice de mesure de la société ivoirienne, miroir anamorphique de la culture populaire ivoirienne, Gbich !, autant par la thématique abordée à chaque parution, par le jeu discursif que le style graphique, affirme à vignettes déployées son ivoirité –ce terme qui a connu un succès mitigé dans le champ politique ivoirien, s’avère culturellement fort intéressant ici.   Parce qu’il s’agit d’être « en prise directe » avec son époque, Gbich !canonise ce langage de la rue, ce verbe de la place publique qu’est le nouchi en le faisant hanter chaque phylactère de chaque vignette. Cet acte est culturellement salvateur et esthétiquement subversif. Pourquoi ? La réponse s’énonce pourtant d’elle-même.

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Primo, le propre du nouchi est d’être un langage en perpétuelle mutation : les mots y disparaissent aussi vite qu’ils apparaissent. Et pire, puisque ce langage est un motif de contre-culture, il n’en existait, avant Gbich !, aucune tentative de mise en forme graphique. En procédant à cette sacralisation du nouchi, cet hebdomadaire de bande dessinée s’érige en ‘‘musée de papier’’ de la culture linguistique populaire ivoirienne –acte de mémoire oblige –et en effectue ipso facto la première mise en forme graphique. Secundo, l’un des postulats définitoires de l’art n’est-il pas celui de la transgression des codes préétablis afin que l’objet d’art soit création et non récréation ? Gbich ! transgresse, renverse et court-circuite            la bienséance langagière et la bienpensance artistique qui clouent la culture populaire et les genres paralittéraires au pilori. Pour ce qui est du style graphique de Gbich !, de nombreux enjeux tant sociologiques, anthropologiques qu’esthétiques s’y jouent. Comme de nombreuses occurrences de bande dessinée populaire africaine, le style graphique s’éloigne de la traditionnelle ligne claire hergéenne pour se rapprocher de l’art naïf haïtien et déconstruire la configuration de la planche et de l’hypercadre classique. J’appelle ce style : la ligne naïve. Et l’avantage de cette pratique esthétique est de prouver qu’il existe bel et bien une bande dessinée africaine. Acte postmoderne ? Mouvement de re-décolonisation ?             

           

On le voit, la bande dessinée est un genre fort intéressant à analyser pour cerner l’homme dans son rapport avec le monde, l’art et avec lui-même. Elle est essentiellement un art. Elle en est d’ailleurs le neuvième.                                                                                                                                                                                              Alain Serge Agnessan 

 

in Le Nouveau Courrier du 18 octobre 2013                                 

 



19/10/2013
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