LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Sartre et l’expression esthétique

Croyant en une harmonie fusionnelle entre le Bien et le Beau, Ludwig Wittgenstein estime que « l’éthique et l’esthétique ne font qu’un ». L’exceptionnel parcours intellectuel de Jean-Paul Sartre permet d’explorer cette conception de l’idée et de la forme.

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Le philosophe existentialiste a coulé sa pensée dans un sublime élan. Et pourtant, il se trouve des observateurs frondeurs qui lui dénient l’éclat stylistique dans l’expression. Sacrilège ! Qui pourrait avec hardiesse contester l’entrée majestueuse de Sartre, le penseur et l’artiste au noble panthéon des bons écrivains?

 

Pour ce qui est du Beau, peut-être que tout est relatif, même s’il y a des émeraudes qui crèvent l’œil. Du fond de ma caverne (allusion à Platon dans « La République ») sur la trajectoire de la réflexion, penser que l’écriture de Sartre est dénuée d’enflure esthétique est étrangement intrigant. Même les titres des œuvres de Sartre sont de réels programmes poétiques.

 

Contemplons ensemble : « Les Mouches » pour poser le problème de la liberté, « Huis clos » révèle l’enfer que représente autrui pour nous (êtres coincés dans le carcan de la vie communautaire), « La Nausée » et son cheminement autour de la nécessité de la contingence qu’est notre existence, « Les Mots » pour établir l’articulation entre lire et écrire afin d’étaler la vie du narrateur (Je, Moi, Sartre lui-même) dans un mélange de pathétique, d’ironie et de comique. Ces titres me semblent assez beaux et expressifs déjà. Et pour tout ceci, Sartre est un héros dont « l’exploit est un appel » à la puissance de la pensée et l’exubérance de l’écriture. Là est l’Art. Pourquoi ne pas s’inviter au banquet exquis de quelques passages que l’on pourrait caresser comme des diamants dans une joaillerie ? Au fond de « Huis clos », scène 5, voici une citation aussi belle que pertinente qui est en train de traverser les âges avec sa robustesse et son charme: « L’enfer, c’est les autres ». Mais avouons que cette pensée n’embrasse pas tout le vécu humain car le bonheur, c’est aussi les autres : le « mit-sein » heideggérien.

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Par ailleurs, dans son œuvre intitulée « Les Mots », l’on note quelques pépites qui se passent de commentaire quant à leur beauté voire leur insolence emphatique : « Anne-Marie, la fille cadette, passa son enfance sur une chaise. On lui apprit à s’ennuyer, à se tenir droite, à coudre. Elle avait des dons: on crut distinguer de les laisser en friche; de l’éclat: on prit soin de le lui cacher. » (P.11).

 

Comment ne pas être séduit par cette autre chevauchée ? « Jean-Baptiste voulut préparer Navale, pour voir la mer (…), il fit la connaissance d’Anne-Marie Schweitzer, s’empara de cette grande fille délaissée, l’épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort. » (P.12). Et ceci ? « La mort de Jean-Baptiste fut la grande affaire de ma vie: elle rendit ma mère à ses chaînes et me donna la liberté. » (P.15)/« Des vitraux, des arcs-boutants, des portails sculptés, des chorals, des crucifixions taillées dans le bois ou la pierre, des Méditations en vers ou des Harmonies poétiques: ces Humanités-là nous ramenaient sans détour au Divin. D’autant plus qu’il fallait y ajouter les beautés naturelles. Un même souffle modelait les ouvrages de Dieu et les grandes œuvres humaines; un même arc-en-ciel brillait dans l’écume des cascades, miroitait entre les lignes de Flaubert, luisait… » (P.49).

 

De plus, parcourant « La Nausée », (P.190), on ne peut rester insensible à cette pensée existentielle qui proclame que « Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. Je me laissai aller en arrière et je fermai les paupières. Mais les images, aussitôt alertées, bondirent et vinrent remplir d’existences mes yeux clos : l’existence est un plein que l’homme ne peut quitter ».

 

Alors, au nom de toutes ces idées vêtues de parures scintillantes, même si l’on admet que le Beau est subjectif, il n’est pas absurde de conclure que Sartre est un excellent écrivain : un artiste-penseur. Un vrai de son siècle, d’aujourd’hui et de la postérité. Un héros, un « porteur d’espoirs », pour emprunter le mot du Prof. Séry Bailly. Ne dit-on pas que « la vraie intelligence doit élargir la vie, non la resserrer, féconder la vie, non la stériliser »?

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Soilé Cheick Amidou

 

 



06/10/2013
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