LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Coup de gueule/ Les droits d’auteurs ou la foire des vanités

« L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire (…) Au décès de l’auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. » tel est le principe du Code de la propriété intellectuelle tel que défini par la loi. Et pourtant… scandaleux pillage organisé !!!

 

Et bien oui, on ne pourra pas dire que la Côte d’Ivoire n’aide pas les écrivains. N’est-ce pas ? La direction nationale du livre, qui dépend du ministère de la Culture, délivre chaque année une bourse symbolique, d’un montant de zéro franc attribuée à un écrivain pour lui permettre d’écrire la première page d’un essai. Brigue ? Ne riez pas. La mise en abyme est vertigineuse.

Le cinéma et la musique s’assument comme industrie. L’édition, elle, se vit comme un pan de la culture, avec un grand C. Dans ce monde-là, parler d’argent, c’est sale. La littérature, on le sait depuis, des années même avant Jésus-Christ, ne nourrit pas son homme, exception faite des maisons d’édition, ces manipulateurs de la bonne conduite. Sans même convoquer des auteurs comme Zadi Zaourou ou Bernard Dadié, la littérature n’a jamais beaucoup aimé l’argent. Ben, c’est ce qu’on a coutume de dire. Ce qui fait d’ailleurs qu’il est difficile de comparer le train de vie d’un artiste DJ, jetant l’argent par les fenêtres et terminant dans la misère la plus noire avec celui d’un écrivain, ascète plus ou moins volontaire, impécunieux chronique, découvrant les joies mitigées de la notoriété et des grosses avances qu’à l’âge de soixante-dix-huit ans (si Bon Dieu le lui permet). De fait, personne ne s’est jusqu’ici penché sur les ressources des écrivains, un peu comme s’ils vivaient d’art et d’air pur. Et si quelqu’un venait à vous dire que les écrivains détestent l’argent, diantre, ne le croyez surtout pas… Alors, comment vivre décemment, poliment de sa plume en attendant le succès, sachant bien que l’écrivain, on le sait, est la Bête du monde du Livre ? Pour ceux qui n’exercent pas déjà un métier ou ne vivent pas seulement de leurs rentes, le quotidien impose une chasse aux subventions, aux prix littéraires et autres expédients, quitte à perdre de son temps d’écriture - ou un peu de son âme (suivez mon regard).

Pourquoi payer des droits d’auteur doit-il ressembler à un train de vie dispendieux pour les éditeurs ivoiriens ? Ah ce monde de nains jaunes, là où tout est opaque, à commencer par les chiffres réels de vente et les réimpressions illégales ! Dans de nombreux pays, le sacro-saint à-valoir (avance consentie par un éditeur pour un livre au moment de la signature d’un contrat) est versé, par respect même pour l’écrivain, pour son art, et plus généralement pour la littérature. C’est important. Car en plus, cet acte oblige l’éditeur à se battre pour votre livre s’il veut rentrer dans ses frais. En Côte d’Ivoire, ce n’est même pas que les éditeurs refusent tout bonnement d’en verser, mais les éditeurs, tous sans exception, n’y pensent même pas. Et ne jamais y penser est leur célèbre frontispice blanc étoilé ! Parler donc de noces barbares entre éditeurs et écrivains est une réalité. Déjà, car il faut le noter – tout le monde le sait même si certains s’en défendront-  les droits d’auteurs ont été créés pour protéger les écrivains de leurs éditeurs. Sans blague. C’est tout à fait intentionnel. L’auteur mérite la protection de son œuvre quelle que soit l’opinion qu’on puisse en avoir. Les débats esthétiques et … intellectuels n’ont pas leur place dans le prétoire. Ainsi donc, si on évoque la pauvreté des écrivains, on ne peut oublier de parler aussi de l’argent – mal acquis - des éditeurs. Depuis des tropiques, les éditeurs minimisent les tirages aux yeux de leurs auteurs ou réimpriment sans leur dire. Il y a aussi le fameux « droit de passe », qui fait que les écrivains ne touche rien sur les premiers dix pour cent du tirage, au motif que cela couvre les exemplaires défraîchis, abîmés, envoyés à la presse… Les éditeurs ne cessent de se retrancher derrière les fameux comptes d’exploitation, qui mentionnent les coûts d’un livre, pour ne pas verser trop de droit d’auteur. Mais ils oublient de dire qu’au-delà de 10 000 exemplaires vendus, l’à-valoir (qu’ils ne connaissent d’ailleurs même pas, ou peut-être font-ils semblant), les coûts fixes de maquette, la prospection chez les libraires, éventuellement la traduction, sont amortis et que, dès lors, un ouvrage de 250 pages a aujourd’hui une remise de 80-90%. Les bénéfices deviennent tout de suite exponentiels. Mais l’auteur, lui, reste bloqué à ses pauvres 10% - qu’il ne touchera d’ailleurs peut-être jamais.

Avant de tomber dans l’euphorie des éloges mercantiles, inutiles, ce combat doit être mené jusqu’au bout. Il faut que la conscience collective prenne vie ! Car l’écrivain mérite aussi de vivre de ses droits. Et ils ne doivent être marqués d’aucune tache. A vos marques !    


Manchini Defela

 

In Le Nouveau Courrier du 26 avril 2013



27/04/2013
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