LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

BILAN DE LA LITTERATURE IVOIRIENNE EN 2013 : Les Trous à combler

 

Réalisé par Macaire Etty et Manchini Defala

 

La littérature est l’essentiel, ou n’est rien. Comme le chant et un encens pour le peuple, la littérature, ce cri du rythme et du parfum, qui s’adosse à la poussière des étoiles, est la formule, l’échange sans marché, où la valeur d’usage ne serait que l’échange du don : la paix. Elle est le remède du peuple. On pourra tout refuser sur mille pages et mille raisons sauf ce pari comestible : un peuple en paix est un peuple qui lit... Et pourtant, l’aube de l’explosion littéraire en Afrique – et en Côte d’Ivoire particulièrement - est très loin. Paradoxe ? La littérature s’accroche encore et toujours  à cette aventure de marginalisée où son avenir n’implique qu’à ce fin le monde qu’elle intéresse. Cinquante coups de littérature tracés sans aval, avec peu d’images, peu de soutien… C’est le triste décor à avouer ! Même si le millésime 2013 a donné des fleurs dans le jardin, cette fièvre littéraire hors pair – oui, un coup de rose ! – force est de constater ensemble ces nombreux points d’achoppement qui embrassent tous les maillons de la chaîne pour donner la chance à la nouvelle année d’être plus brillante. Littérairement.       

 

Les Editeurs ou La poésie, la poule aux œufs cassés

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 -Alex Soro, Editions Balafons-

 

Parmi tous les livres édités, évidemment, la part belle a été faite au roman et à la nouvelle. Parce que ces deux genres ont en commun : le récit. Ils sont faciles à consommer et s’apparentent au conte, genre encré dans le subconscient des Africains, réputés appartenir à une tradition orale. Tous ceux qui raffolent les histoires d’amour, de famille, qui sont friands de scandales bassinants des hommes et des femmes ne peuvent qu’aimer le roman et la nouvelle. Le théâtre aurait pu rejoindre ces deux genres suscités. Puisqu’il raconte à sa manière, de façon dialoguée, une histoire. Hélas ! Et si le théâtre a du mal à avoir un lectorat conséquent, c’est parce que, pour beaucoup de gens, le théâtre est fait pour être joué et regardé/écouté. Et patatra ! Dans sa forme livresque, le théâtre ne peut faire d’émules. Quelle tragédie ! Même péripétie pour la poésie...

 

Et bien oui, les éditeurs veulent vendre et faire du chiffre. Normal !. C’est pourquoi, volontairement, ces « chiffreurs » refusent d’investir dans l’édition d’œuvres poétiques et dramatiques. Pourtant l’édition, même si elle est une entreprise, ne doit pas pied que pied tourner autour de cette vérité légendaire. Parce qu’un éditeur (sérieux) est avant tout un amoureux du Livre, un passionné de la littérature, qui vit par/pour le Livre. Un éditeur connait le Livre, sait déterrer les talents. L’éditeur sait sentir et ressentir. « C’est du papier tout ça !  » diront certains. Et ce n’est pas faux. Une entreprise qui vit d’amour et de passion, ça n’existe nulle part. Mais, plus sérieusement, que vaut une littérature où la poésie et le théâtre sont absents ? Même si Tiburce Koffi  afirme que « la poésie, lieu d’une écriture de type confidentiel, a un lectorat sélectif ; ce qui est incompatible avec les objectifs financiers des maisons d’édition.(…) », force est de signer que la poésie est un art qui se vend bien si autour du Livre il y a cette politique sérieuse et une volonté de faire aimer au peuple la chose poésie. Parce qu’elle a réveillé des consciences, elle a parlé d’un cri puissant pour des peuples. La poésie a cueilli des rêves et les a exposés au monde. Oui. Même si on veut toujours la voir comme disjonctive, hermétique, et tout le brouhaha qu’on lui colle, on lui doit une place conséquente et un avenir à la hauteur des hyperthermies dans la littérature ivoirienne.

 

En 2013, une enquête auprès des maisons d’édition ivoiriennes a révélé que très rares sont celles qui ont édité un recueil de poèmes ou une œuvre dramatique. L’Harmattan Côte d’Ivoire tient seule le record en poésie avec la publication de quatre recueils poétiques. Les Editions Balafons ont toutes édité cinq œuvres dramatiques. Voyez-vous, c’est un nombre tellement chétif !

Si la situation reste telle, la Côte d’Ivoire risque de voir disparaître une partie de son génie littéraire. Tous ces jeunes poètes talentueux n’auront pas d’autres choix que de se convertir en romancier imprudent ou nouvelliste cardiaque. Vivement une politique plus poussée, une volonté plus sérieuse des acteurs de la chaîne de production, pour un juste équilibre entre business et promotion de la littérature ivoirienne.

 

Les Médias d’Etat : Pourquoi cette « réserve » envers la littérature ?

Par médias d’Etat en Côte d’Ivoire, nous pensons essentiellement à Fraternité Matin et à la RTI1 et 2. Le journal gouvernemental est le quotidien leader de notre pays, voire de la sous-région. Un article publié dans Fraternité Matin a plus de chance de toucher le plus grand nombre que dans tous les autres journaux nationaux. Depuis que l’écrivain Venance Konan tient les rênes de ce quotidien, nous constatons avec plaisir que la culture bénéficie d’un plus grand nombre de pages. Ainsi tous les vendredis, les Ivoiriens épris de culture ont la chance de lire des articles consacrés à leur passion. Malheureusement, les lignes réservées à la littérature sont minimes. Nous sommes loin de l’époque glorieuse de la critique littéraire dans Frat-Mat. Les successeurs des Henri Nkoumo, Hyacinthe KaKou et autres n’ont pas encore réussi à faire de ce journal un lieu de rendez-vous littéraires enrichissants. Frat-Mat peut et doit faire davantage pour le bonheur des écrivains et de la promotion du Livre ivoirien. L’espace existe déjà, il ne reste plus que la matière.

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Quant à la RTI, elle n’a pas encore réussi à se libérer des émissions à caractère politique et ces nombreux divers. Et lorsque, sur un détour presqu’obligé, elle veut faire la part belle à la culture, c’est la musique urbaine qui est mise en avant. La radio et la télévision nationale se perdent encore dans des programmes où la littérature se conçoit en pointillé. La maison souffre d’un déficit de spécialistes en la matière. La RTI 2 avec son « Entre les lignes » a donné le ton d’une télévision ouverte au livre. Seulement, les émissions sont sporadiques. Les enregistrements sont irréguliers. Pourquoi « Entre les lignes » est-elle incapable de fidéliser les téléspectateurs ? Pourquoi « Entre les lignes » ne réussit-elle pas à aligner régulièrement les émissions ? Pourquoi cette inconstance ? L’animatrice manque-t-elle de liberté ? Mieux encore, pourquoi la tribune littéraire accordée tous les lundis à 11h30 à Caroline Dasylva sur RTI 1 a-t-elle disparu ? Quel pont y a-t-il entre la création et la diffusion ?

 

Le SILA : On peut faire mieux !

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Pour simple rappel, c’est l’espace Crea-Uemoa, en pleine commune du Plateau, ce quartier huppé des affaires, qui avait accueilli le SILA 2012. Le public n’avait pas répondu massivement. Ainsi, des voix se sont élevées pour demander que le SILA se rapproche davantage de la population. Son transfèrement à Treichville, quartier populaire, est un signe d’ouverture de la part des organisateurs et de démocratisation du Livre. Le Palais des Sports est certes un lieu bien connu des Ivoiriens, mais nous pensons que l’engouement que nous avons noté peut être doublé. Le Palais des Sports est-il le lieu idéal pour attirer le plus de monde ? Question attentiste. Le SILA 2013 a-t-il bénéficié d’une stratégie de communication efficace ? Que faire pour attirer davantage de visiteurs des milieux universitaires et scolaires ? Une collaboration entre les Ministères de l’Education Nationale et de la Culture ne serait-elle pas providentielle pour faire du Salon une fête des plus populaires ? Aussi, à cette problématique, faut-il ajouter la situation des animateurs des ateliers et les panélistes des tables rondes. En 2013, les écrivains et critiques venus de l’intérieur du pays pour animer des ateliers sur le roman et la littérature de jeunesse méritaient un traitement particulier de sorte qu’ils soient dans des dispositions optimales d’efficacité. Hélas !

 

Le Ministère de la Culture est-il exempt de reproches ?

 

Depuis l’interview du 27 décembre 2013 de Henri N’Koumo, directeur du Livre de Côte d’Ivoire, publiée par Le Nouveau Courrier, des malentendus ont été levés, mettant ainsi fin aux reproches muets que d’aucuns faisaient au ministère de tutelle. Le Ministère de la Culture dans tous les pays africains est loin d’être un ministère financièrement robuste. Le nôtre fait avec les petits moyens de bord pour voir et faire vivre le génie littéraire ivoirien. Selon le directeur du Livre, les écrivains ne sont pas laissés pour compte. Ils bénéficient amplement du soutien du ministère et même, par le biais de leur association, d’une ligne budgétaire. C’est une bonne nouvelle pour les écrivains ! Et cela doit s’entendre avec les cinq sens. Cependant pour cela, le ministère échappe-t-il aux reproches ? « Nous faisons le meilleur pour nos écrivains » avait déclaré monsieur Henri N’Koumo (27 décembre 2013 Le Nouveau Courrier). Le meilleur ? Oui. Quand même. L’homme se bat comme un fauve à redorer l’image du Livre en Côte d’Ivoire. Mais ce ne sera jamais suffisant. La littérature pleure. On en veut plus. On en veut davantage. Y en a marre d’être le dernier de classe ! C’est vrai, des écrivains (très peu) ont été cooptés pour participer à des événements littéraires, hors du pays comme en Martinique et au Sénégal. Les mêmes visages, même s’ils sont beaux, doivent laisser de la place à la jeune génération qui veut s’exprimer. Et notre souhait est qu’au moins deux jeunes écrivains, une fois par an, soient pris en charge pour participer à ces odyssées. 

 

Parlant de soutien, il y a les écrivains, mais il y a aussi tous ceux qui par leurs activités, leur imagination, font fleurir et vivre le jardin littéraire national. Nous pensons aux initiateurs de cafés littéraires et aux bibliothécaires. Le Ministère doit sans complaisance aider conséquemment et mettre en valeur tous ces hommes et femmes qui sans moyens mais seulement avec leur passion se consument pour rapprocher le livre aux populations.

 

Autre boule de neige, c’est le SILA. Non pas l’évènement, mais la tasse cassée par les écrivains eux-mêmes pendant l’évènement. L’an dernier, on avait reproché au Ministère de la Culture d’avoir privé les écrivains ivoiriens d’un stand spécial et gratis. Lors de l’édition 2013, le Ministère ayant pris en compte ce grief a levé le pied sur le frein, mettant donc à la disposition des écrivains un stand de 6 m². Malheureusement, au moment où on s’y attendait le moins, le fameux stand a brillé par les absences, disettes et pénuries des écrivains. Quel gâchis ! C’était le stand le moins garni, le moins animé, bref le plus triste. Demain, dans les années à venir, il faudra compter sur une organisation plus sérieuse entre les écrivains, un goût harmonieux d’aller et pousser plus haut, et ensemble, le cri du Livre. Mais avant, le devoir leur incombe de se réunir et de décider.

 

 

La contrefaçon des livres : une plaie à ne pas négliger

2013 a été l’année de la contrefaçon à outrance des livres publiés dans notre pays. C’est en somme 24 ouvrages de 24 auteurs différents, des tonnes de livres scolaires frauduleusement imitées en Inde et dans plusieurs pays de la sous-région qui sont passés dans les mains de cette bande de faussaires assidus. Emettant des réflexions poussées sur le thème « Livre, dialogue des cultures et émergences » Guy Lambin, directeur général de Nei-Ceda Edition,  sponsor officiel du SILA n’a pas manqué de stigmatiser, à l’ouverture, la contrefaçon pratiquée par des entrepreneurs indélicats. Un fléau, a-t-il déploré, qui prend des proportions telles qu’il met en péril un certain nombre de sociétés d’éditions. Une importante politique est à mettre en place pour contrer ces bandits véreux.

 

In Le Nouveau Courrier du 17 janvier 2014

 

 

 



20/01/2014
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