Pourquoi l'interprètation ?
L’on ne saurait vivre et s’aventurer dans les labyrinthes de l’univers sans un fil d’Ariane, lequel doit être doué d’une vertu herméneutique, et l’on ne saurait assez insister sur l’importance de l’aptitude à interpréter.
L’activité scientifique se limite souvent à l’effort de dégager des ordres de cohérence et opère le plus souvent par réduction du complexe au simple, du particulier au général, par rejection de l’aléa et du singulier, afin d’ordonner notre expérience. Quand il s’agissait de phénomènes naturels, il suffirait de les « expliquer » selon le paradigme de la simplification. Mais dès qu’il s’agit de phénomènes humains et culturels, il faut essayer de les « comprendre » dans leur singularité et leur complexité. La connaissance de soi et du monde s’approfondit par le détour d’une interprétation qui met à l’épreuve notre aptitude herméneutique, celle-ci étant fondamentale pour l’être humain. C’est par l’interprétation que l’on essaie d’éclairer l’épaisseur du rapport au monde où l’on s’enracine.
L’œuvre littéraire est le résultat conjoint d’un travail humain et d’une tradition culturelle, résultat qui demande à être lu conformément à l’exigence du genre auquel il appartient. Devant l’œuvre, on a recours à la démarche herméneutique en y reconnaissant une cohérence qui en assure le sens. Mais il faut de plus saisir l’œuvre dans sa complexité qui lui assure une fécondité littéraire. Le complexe se distingue bien du compliqué dans la mesure où celui-là suppose un ordre caché derrière le désordre apparent. La notion de complexité n’est rendue opératoire que si cet ordre s’éclaircit et devient intelligible. L’interprétation se forme et se transforme dans un va et vient incessant de ces deux pôles, celui de la cohérence et celui de la complexité, que l’on peut appeler le cercle herméneutique. La cohérence et la complexité sont deux critères herméneutiques sans lesquels aucune interprétation n’est concevable. L’interprétation est donc l’exercice de notre capacité à rendre compte du maximum de cohérence et de complexité du texte. Dès qu'on ne retient qu'un des deux, l’oeuvre s'évanouit : l’interprétation tombe immanquablement soit dans une simplification excessive, soit dans un pur désordre.
Il est à rappeler ici que E. Benveniste signale à juste titre que « chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société ». . Toute société entretient une relation forte avec un certain nombre de textes qu’elle considère comme fondamentaux. Si l’interprétation du texte littéraire ne se réduit pas à un problème et un thème parmi d’autres, c’est qu’elle fonctionne comme un appareil d’identification, soit individuelle, soit collective, qui nourrit les représentations et assure la cohésion des individus dans une communauté ou une société. Cela implique la question de la sacralité du texte que je ne pourrais pas aborder ici, mais à propos de laquelle je me bornerai à signaler simplement que c’est l’expérience herméneutique et fondamentalement humaine qui sous-tend la culture du texte et de l’interprétation.
Publié sur Fabula le 28 novembre 2011
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