POETE: CONSCIENCE ESTHETIQUE ET POSTURE ETHIQUE
Poète : conscience esthétique et posture éthique
Communication à l'occasion de la journée Mondiale d'actions poétiques,
le 24 septembre 2011, au Musée des Arts contemporains
Abidjan, Cocody, Val doyen.
Défenseurs radicaux d’une beauté idéalisée, les parnassiens ont révélé la figure du Poète comme la face achevée de la quête artistique ; rangeant ainsi les prétentions sociales d’un art romantique visité d’accents contestataires. Or, en ramenant la geste poétique à une sorte de fondamentalisme formel, la posture parnassienne a remis en selle le débat sur les signifiants du dire artistique et, de fait, disqualifié toute approche pluralisée du sens dans le champ de l’art. Mais si une telle reforme a tendu à apurer l’office artistique de toute apparence d’instrumentalisation, elle semble n’en avoir pas moins laissé béante la question d’un appauvrissement du signe, ainsi clôturé dans la nasse d’un formalisme univoque. Or, ne faut-il pas saisir l’art comme une réalité transcendantale, au sens ou l’entendait Emmanuel Kant, c’est-à-dire, justement, comme condition d’existence d’une réalité induite d’un facteur antérieur ? N’a-t-on pas ainsi l’exigence de sortir le sens esthétique de tout ghetto référentiel, en lui rendant sa polysémie originelle, sa stature ontologique de vecteur pluralisé d’idées et d’émotions ?
C’est sans doute à ce procès que le Beau pourrait s’affranchir de tout enracinement nombriliste, bourgeonnant, comme le voulaient les Anciens, d’un élan paritaire avec le Bien.
I. Les grecs et l’accord consubstantiel du Beau et du Bon
Les Anciens pensaient que le Beau et le Bien étaient deux réalités unies. Dans la parole antique« Kalos kai agathos » qui signifie, mot à mot, « beau et bon », réfèrait à l'« honnête homme », c’est-à-dire celui associant à la fois beauté extérieure et beauté intérieure, donc bonté . Cette vison a donné naissance à l’expresion « Kalos kagathos », contraction de kalos kai agathos», en laquelle se voient associés le beau et le bon, et donc l'apparence extérieure (kalos) et l'attitude intérieure (agathos) comme s'il était entendu que tout ce qui est beau soit aussi bon et vice-versa.
Par une telle approche, le beau devient variante, voire siamois du bien. De sorte que l’artisan du beau qu’est par exemple le poète ne peut être qu’un homme de bien, un homme bien. Dès lors, la posture éthique du poète n’est même plus spécialement liée à la thématique de son œuvre, elle dérive simplement de son activité artistique qui veut que le bien et le beau se donnent dans une endogénéïté radicale. Face d’une pièce unique, ces deux réalités constituent, à l’unisson, la substance de l’art. Or, bien qu’il soit de ceux dont la posture phénoméniste induit un rejet de l’ontologie, Wittgenstein prolonge lui aussi la lecture des présocratiques en unissant quête du beau et quête du bien.
II. Wittgenstein : convergence de l’éthique et de l’esthétique
Wittgenstein en déclarant que « l’éthique et l’esthétique ne font qu’un », prend pied dans une longue tradition[1] de jonction du Beau et du Bien. Si la démarche de ce théoricien parait entièrement tournée vers un idéal scientifique, peut-on être insensible à la profonde quête d’harmonie de celui qui entend refonder le code linguistique en déclarant que « les problèmes de la philosophie sont des problèmes de langage » ?
C’est donc en rendant au langage son harmonie logique que la philosophie résorbe la grave crise du sens en laquelle la plonge, depuis des lustres, la parole métaphysique. Wittgenstein voit, en effet, dans les errements de la philosophie la résultante d’une méconnaissance des mécanismes qui fondent le langage ordinaire. C’est pourquoi, il se donne pour tâche d’opérer une critique du langage ; choix somme toute tributaire de la distinction établie par Russell entre « forme grammaticale » et « forme logique » d’un énoncé donné.
Mais si les problèmes de la philosophie sont des problèmes de langage, c’est qu’ils procèdent d’avatars du langage naturel. La philosophie a donc pour rôle d’éliminer de telles scories pour garantir une compréhension limpide et rigoureusement accessible du fonctionnement du langage. C’est à un tel ouvrage que la philosophie se doit de substituer à la langue naturelle un langage artificiel.
Il y a donc dans la démarche de Wittgenstein un présupposé esthétique en ce sens qu’il est quête d’harmonie. Mais cette recherche de la forme harmonieuse est en étroite jonction avec une préoccupation aléthique[2] . La recherche d’un langage rénové est porteuse de deux rêves surgis en une déclinaison unitaire : songe d’une beauté idéale du langage et utopie d’un parler résolument adossé à la vérité.
Au moins un poète partage cette vision imbriquée du Beau et du Bien : Pierre Reverdy.
III. Pierre Reverdy et « l’esthétique du dedans »
« L’éthique c’est l’esthétique du dedans »[3], affirme, non sans un accent christique[4] Pierre Reverdy. Avec lui, le beau et le bon sont, comme l’avait déjà suggéré Saint Thomas, une seule et même réalité dont l’apparente variation ne tient qu’à un procès de la localisation. Ce n’est pas en une hétérogénéité radicale qu’il faut percevoir ces deux réalités, mais dans les caprices d’une topographie tendant à imprimer une apparence de différence à des phénomènes de même nature. Ainsi tout est d’abord esthétique. Au commencement est le Beau. De sorte que couverte par l’ombre somatique, le beau se fait bien, sans pour autant cesser d’être radicalement beau. Mais si « L’éthique c’est l’esthétique du dedans », l’esthétique n’est-telle pas, elle, « l’éthique du dehors » ?
A un tel questionnement, il semblerait tout à fait hasardeux de répondre de manière univoque. En effet une éthique du dehors sans réel ancrage intérieur deviendrait déclamation malheureuse d’un paragraphe non intégré à la conscience du locuteur. D’où la nécessité pour tout déclamateur de faire œuvre éthique en ne disant en dehors qu’un vers au préalable caressé au-dedans.
Dr Josué GUEBO
Société Ivoirienne de Bioéthique
D’Epistémologie et de Logique
Notes
[1] Nous parlons ici de longue tradition, car l’association du Beau et du Bien ne s’épuise pas dans le champ de la pensée présocratique. Platon évoque dans Hippias majeur le Beau comme « ce par quoi sont belles toutes les choses ». Une telle idée ne va pas sans référer au souverain Bien. Saint Thomas, pour sa part affirme une identité du beau et du bon qui ne différeraient finalement « que par la façon dont on les considère »
[2] Aléthique, de Aleteïa, la vérité.
[3] Pierre Reverdy, Le livre de mon bord (notes 1930-1936), 1948
[4] « Vous, pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et à l’intérieur vous êtes plein de rapine et de méchanceté ». Luc 11 v 39. L’on pourrait retrouver ici une volonté de mise en adéquation de l’apparence extérieure et de la réalité (morale) intérieure.
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