Odwira ou les écueils d’une vie de bonne : La malédiction de l’or
C’est au sud d’une hésitation que j’ai reçu ce livre qui transperce encore de larmes mon cœur. Il se ment de vous détendre et vous plonge dans l’immense rivière des peines et de la colère.
C’est la traduction affable de l’existence nébuleuse de poches de non-droit, un choc encore exacerbé avec des chiffres qui vantent les bassesses de l’humanité. C’est le dossier de la vie où l’or est écorché, le vent est dépoli et le tragique est lancé comme une flèche à l’ennemi. C’est la fontaine malade devant laquelle chacun doit tenir, qui son arme, qui sa plume. Et Essie Kelly le réussit admirablement avec une plume digeste et deux tomes (Romans, 116 et 108 pages) qui font couler le sang dans l’esprit tant ils laquent, fascinent et parlent dans l’âme. Même si l’œuvre mérite une légère douche due à de fines fautes et coquilles, l’histoire tient le diamant, et la jeune auteure parle avec son cœur, elle raconte la vie avec un savoir insurmontable.
Odwira est tombée les quatre mains dans une famille tranquille au départ quand vivait Albertine sa mère sur qui la terre va se refermer tôt après la naissance d’Issa. Et quelques soleils plus tard, ce sera une famille qui n’a chez elle aucune presse à part un père irresponsable, démesurément violent. C’est le supplice au galon. Ici, le feu n’y brûle jamais, « la marmite reste muette et les assiettes désespérément vides » Se nourrir a tout l’air d’une symbolique facultative. Papa Ibrahim doit d’abord boire toutes les eaux frelatées… Et ce soir accidenté, il avait décidé qu’Odwira racle les bancs à 13 ans seulement et qu’elle aille travailler comme « bonne » chez un voyou à la rose saccadée, un certain jambon appelé Daisque. La petite encore à profiter des seins et de la chaleur de son ainée Mama, triste dame qui n’a rassemblée en amour qu’écueils d’échecs, est vite acceptée par son nouveau patron et s’entend bien avec Thérèse, la gouvernante de l’immense palace. Mais, cette nuit pâle, la lampe va s’éteindre. Car le frêle corps d’Odwira devient très vite le site touristique que doit exploiter Daisque tous les soirs, avant le chant des étoiles. Des coups de rein violents, une bataille impossible, un viol sous pression dans une fente blanche d’enfant si jeune. Ô Dieu ! Deux mois plus tard, quand Odwira réussit à s’enfuir, elle est vite ordonnée de retourner chez les Daisque : la famille ne survit que de son salaire. Et là-bas, commencent enfin des échanges normaux entre Daisque et Odwira où trocs et promesses sont lâchés à juste titre : Odwira menace de vomir le secret si son pervers de patron catapulte à nouveau son corps. S’en soumettra-t-il sachant bien qu’Odwira n’a nulle part où aller ? Le retour de voyage de Claire, l’épouse malheureuse de Daisque mettra-t-il fin à la tragédie ? Odwira réussira-t-elle un jour à parler ? Ou gardera-t-elle ce secret si lourd, si violent, si insensible ? Et si Odwira était enceinte, qu’adviendrait-il quand son voyou de violeur s’est lancé volontairement depuis quelques semaines dans une série de missions hors du pays ?
Ce livre est l’épisode d’une vie. C’est le cahier d’une jeune enfant qui essaie en vain de quémander l’aide des adultes. C’est les pages noires d’une petite « bonne » qui ne demande que vivre. C’est les secrets de l’or maudit au chevet de la vie. C’est le grand cri muet et pourtant rythmé d’une enfant qu’on n’entend pas. C’est le dossier pour lequel chacun doit lever son poing pour dénoncer, car l’enfant est l’âme de la terre. Et une enfant violée, c’est un Mozart assassiné.
Manchini Defela, journaliste critique littéraire
Essie Kelly, Odwira ou les écueils d’une vie de bonne, Balafons, Juillet 2013
in Le Nouveau Courrier du 11 avril 2014
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