LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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« Les confessions d’un enfant microbe » de Samuel Degni : Un hommage à la littéralité du roman !

            Nous avons lu Les confessions de l’enfant microbe de Samuel Degni et notre regard s’est attardé sur ses reliefs les plus colorés, les plus pittoresques, notamment ce qui fait la littérarité de cette œuvre de 85 pages. C’est une œuvre que nous avons lue d’un trait tant la narration est fluide et s’incruste dans l’actualité brûlante de notre pays. En effet, la crise post électorale a eu ses effets collatéraux parmi lesquels le phénomène des « microbes ». Notre regard ne va pas s’attarder sur la diégèse. Alors, quels sont les compartiments qui font la brillance littéraire de cette œuvre, autrement dit sa littérarité?

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D’abord, son réalisme littéraire : En effet, l’auteur a posé le socle de sa narration sur des faits réels. Contrairement à certains auteurs qui font évoluer leurs personnages dans des villes imaginaires, lui, nous entraînent dans les sinuosités de la capitale ivoirienne avec des quartiers tels que Niangon  lubafrique, la cité COPRIM, Abobo, les villes ivoiriennes tels que : Tabou, la ville de Harper au Libéria etc. Par ailleurs, le réalisme s’exprime par l’actualité croustillante : la crise poste électorale avec ses milliers de déplacés, ses morts. Alors, bien que le personnage principal  Goli Jonas dit « Joe la pagaille »  soit le fruit d’une pure invention, soit le produit de l’imagination de l’écrivain,  il n’en demeure pas moins que l’œuvre fait la part belle au réalisme. C’est donc une copulation de fiction et de réel.

 

            Un autre aspect spécifique et symptomatique de cette écriture, c’est sans aucun doute, sa transhumance spacio-temporelle. En effet, cette caractéristique inhérente à l’écriture de Samuel Degni est perceptible dans cette œuvre. Elle lui colle à la peau. L’auteur éclate l’espace. La narration nous ballote entre la Côte d’ivoire et le Libéria, en passant par Tabou, Abidjan, et des quartiers tels que Yopougon et Abobo. Ce changement constant des lieux féconde à coup sûr l’imagination fertile du lecteur en suscitant le rêve. L’esprit du lecteur de ce fait, papillonne.

            Ce qui nous a frappés personnellement, c’est cette quête de l’innovation littéraire à travers la convergence, le brassage des genres. En effet, ce roman qui est son genre majeur, laisse apparaître le style journalistique perçu par la simplicité de la narration, mais aussi par l’évocation de l’actualité et surtout l’investigation dont a fait preuve l’auteur. Quand vous lisez l’incipit qui raconte les actes posés par les microbes, le déchainement de la population exaspérée à Niangon Lubafrique, vous vous rendez compte que l’auteur s’est visiblement inspiré de faits réels. De même, les chapitres qui portent des titres : Quelques exemples : Chapitre 1 «  Ah la vie ! » Chapitre 2 « L’itinérance » Chapitre 3 « Le vrai point » etc, nous donnent l’impression de la une des journaux.

 

            Ce qui par ailleurs est l’expression du brassage des genres, c’est son apparence de conte. L’histoire est une longue rétrospection narrée devant des personnes. Ici donc, en dehors du narrataire-lecteur, le héros raconte son histoire de microbe à ses bourreaux et à son protecteur. Cela nous rappelle bien les séances de conte autour du feu au village. Cette allure de conte est renforcée par la tonalité fantastique de certaines séquences où l’auteur nous plonge dans le merveilleux. Page 35 : « Il nous est arrivé plusieurs fois d’être attaqués par des milices rivales. Grâce à nos protections mystiques, nous nous sommes toujours tirés d’affaire. Souvent quand le combat devenait âpre, Chef Bléou disparaissait mystérieusement… »

            Ainsi donc, cette œuvre est un rendez-vous des genres, notamment où le conte copule avec le roman et le journal pour créer un mélange hétéroclite qui fait le culte du beau. C’est le brasage des genres, d’aucuns l’appellent le style N’zassa ou la convergence des genres.

 

            Cette quête artistique s’exprime aussi par la variété du mode de la narration. Ici se chevauchent judicieusement deux modes de la narration. Le récit qui est au départ extradiégiétique, notamment hétérodiégétique avec l’utilisation de la troisième personne se mue en narration intradiégiétique notamment homodiégétique  c'est-à-dire la première personne  où le narrateur devient personnage du récit, à travers une longue confession de l’enfant microbe. C’est à travers une distorsion narrative, notamment d’une rétrospection, en d’autres termes d’un flash back savamment bien mené que Samuel nous plonge dans le passé  triste, nauséeux et lugubre du personnage surnommé « Joe la pagaille ».

            En outre, nous avons été saisis par la beauté de certaines phrases, de certains mots. Leurs pesanteurs sémantiques s’expriment à travers les images. Les mots en effet se défont de leur sens dénoté pour revêtir un sens connoté, suggéré, autrement dit, imagé. Les mots voguent dans l’atmosphère éthérée de l’irréel. Les mots s’émancipent de leurs sens naturels pour se revêtir d’un sens surnaturel. L’auteur fait usage du métalangage, de la parole profonde où la simple « lectura » ne peut saisir du coup l’essence significative du mot. Le lecteur a donc besoin de rechercher le sens allégorique du mot. Page 11. « Les pieds blottis dans des chaussures usées ». « … Les cheveux savamment tissés par les doigts de mouches ». Piètres enfants, épaves de la société, ces fous agressifs tenaient dans leurs mains rien que des choses coupantes… ». L’usage de parallélismes sémantiques pour décrire ces enfants témoigne du véritable malaise, de l’exaspération de la population vis-à-vis d’eux. L’incipit de cette œuvre est une description dépréciative de cette bave humaine. L’auteur étale la haine de la population par l’usage constant d’hyperboles en d’autres mots d’images fortes.

En outre, cette œuvre a une portée philosophique indéniable en soulevant la problématique de l’injustice de la justice : qui est en réalité le criminel à clouer au pilori? La société n’est elle pas son véritable monstre? Si nous sommes unanimes à dire que juridiquement un adolescent peut bénéficier de circonstances atténuantes, et que son âge ne lui permet pas d’appréhender à sa juste valeur les conséquences de ses actes, et que l’enfant naturellement est manipulable, alors, nous devions rechercher les vrais coupables et les condamner. Samuel Dégni tire à boulets rouges sur d’une part les parents qui démissionnent dans l’éducation de leurs enfants, mais d’autre part aussi sur les gouvernants voire les hommes politiques qui sont à la base de cette dégradation morale. Page 17 : « La balle est dans le camp de ceux qui éduquent. L’éducation des enfants doit se faire à  trois niveaux : les parents en ont le premier rôle, l’école vient ensuite, la vie. L’Etat qui favorise cette éducation à trois niveaux, doit être partout au risque de rater sa vocation ».

Ce qui est saisissant dans cette œuvre, c’est l’attachement de Samuel Dégni à son concept littéraire de « prédiroman ». En effet, les premiers mots de cette œuvre sont tirés de la bible : « Sache que dans les derniers jours, il y aura des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, hautains, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, insensibles, déloyaux, calomniateurs, emportés, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, emportés, enflés d’orgueil, aimant le plaisir plus que Dieu ». 2 Tim 3 : 1-4. De même avant sa mort, le personnage principal finit par se repentir des actes atroces commis, laissant ainsi la place à un débat. Mais l’enseignement spirituel à tirer, c’est que la justice des hommes n’est pas celle de Dieu.

            Comme vous le constatez, cette œuvre est foncièrement satirique. L’auteur invite la société à faire sa catharsis et surtout son mea culpa. Nous devrions purger nos passions pour permettre à la société de vivre en paix car avec ces phénomènes qui troublent la quiétude des citoyens, c’est une forme de guerre qui ne dit pas son nom.

Le constat est là, les écrivains ivoiriens osent expérimenter des champs nouveaux de la littérature. Nous suivons les traces de nos devanciers comme Amadou Kourouma, Charles Nokan, Bernard Zadi et autres qui ouvert le chemin. Cette tendance iconoclaste de l’écriture est clairement l’expression d’une quête libertaire. 

 

Jules Degni

Critique littéraire

 

Les Confessions d’un enfant microbe, éditions Plume libre, roman, 2016, 89 pages



03/06/2016
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