« JOHN ZIGUEHI » D’ALAIN TAILLY : Se battre ou mourir !
Alain TAILLY a publié chez Frat Mat éditions un roman de belle facture intitulé John Ziguéhi. Ce livre narre l’histoire d’un loubard qui a refusé de sombrer dans la misère.
Adjamé. Quartier populaire et populeux. Le combat pour la survie ne connait pas de répit. Au mépris de la loi et de la morale, il faut se serrer la ceinture, se bander les muscles pour sortir de la fange. Dans cet univers déroutant, un jeune homme au nom tonitruant : John Ziguéhi. Un fils du Ghetto, éduqué pour se battre, au sens propre comme au sens figuré. Persécuté par les épreuves, le voilà orphelin et chef de famille. Comment sortir du trou ? Comment survivre et prendre soin de la famille ? « Face à une société qui avait décidé de lui tourner le dos, Jean Gaspard se vit obligé d’user de tous les moyens pour ne pas sombrer dans la misère. Il avait désormais une famille à nourrir, de petits frères à scolariser et à soigner, le cas échéant. Ainsi, chaque mois, le jeune homme qui était très imaginatif, épinglait-il de nouveaux méfaits à son tableau de chasse qui se garnissait de mille petits délits à mesure que lui-même s’épaississait sur le plan physique » (p 41).
John Ziguéhi n’est pas fait de la pâte de ceux qui, résignés, acceptent piteusement leur sort. Les circonstances de la vie lui imposent la loi du milieu. Son désir tyrannique de transcender sa misère n’est pas sans nous rappeler Eugène de Rastignac, le héros de Balzac, l’étudiant pauvre et méprisé qui face à Paris s’écrie : « A nous deux maintenant ». Comme Julien Sorel, le héros de Stendhal, méprisé lui par son père charpentier en raison de son indolence, John Ziguéhi, décide de sortir de sa condition par tous les moyens. Ses méthodes sont un cocktail de muscles, de ruse et de séduction. Il réussit à émerger d’Adjamé avec ce que cela comporte comme implications et entame une incroyable ascension. Il assouvit sa soif de richesse, étanche ses désirs libidinaux, noue des relations dans les milieux huppés.
A « coups » de tableaux, Alain Tailly nous conduit dans un espace de luttes incessantes. Il nous fait revivre une époque où le muscle est célébré, exploité et utilisé à diverses fins.
La trajectoire de John Ziguéhi nous ouvre les paupières sur les drames inconnus, les tragédies silencieuses, les beautés et les laideurs anonymes d’un pays africain embarqué sur le chemin de la modernité avec dans son cortège des déchets, des névroses, des frustrations. John Ziguéhi est le symbole du petit peuple qui, du fond de la misère, aspire à un autre destin, usant de toutes les armes qui se présentent sur son chemin tortueux.
Ce roman est une intrusion dans un monde souvent mis à l’écart de la féérie de la littérature. Alain Tailly descend dans les soutes de la société pour nous faire sentir son pouls, ses douleurs, ses faims. Les descriptions qu’il déroule sont marquées par une sorte d’obsession du détail. L’écrivain, dans ce roman, allie avec maestria fantaisie créatrice et vérité onomastique. La précision avec la quelle il nomme les marques de vêtements, de voitures, de parfums, de mets, les quartiers, les rues est saisissante. Mais au-delà de son souffle réaliste, le roman accroche surtout par la splendeur de l’écriture. Alain Tailly astique ses phrases, les enduit de poéticité, les emballe avec des images de soie. Sa plume est de toute beauté. Même au cœur de la violence et de l’indécence, l’artiste sait préserver sa sensualité. Des pages érotiques, par le pouvoir de la suggestion font oublier au lecteur, les plaies et les lèpres. Dans ce monde où se déploie John Ziguéhi, les scènes sexuelles sont inévitables. Mais sous la plume d’Alain Tailly elles sont allégées de leur difformité. L’artiste ne nomme pas, il suggère. Le sexe par exemple trouve sous la plume du poète, une autre appellation, plus imagée, plus colorée. Il s’agit d’un « petit triangle noir tapissé d’une « chevelure » généreuse » (P 73).
La description du jeu amoureux entre John et Mélissa est faite de façon poétique : « Melissa lui offrit une grenade fraîche et juteuse. Il happa le fruit mûr et en mangea avec boulimie » (P 73). Dans cet univers rugueux et impitoyable où évolue John Ziguéhi, le personnage principal, éponyme de l’ouvrage, l’intrusion érotique fonctionne comme une parenthèse d’atténuation, une pause de jouvence.
Lorsqu’on ferme le livre sur cet épilogue inattendu, où le « héros » accusé de complot contre le régime ne sait où se donner la tête, l’imagination du lecteur est mise à contribution. John Ziguéhi réussira-t-il à sortir de cet étau ? Cette chute ouverte est-elle la meilleure option au vu de la trajectoire du héros ? Alain Tailly n’aurait-il pas fait mieux de nous conduire jusqu’au bout du destin de son « héros » ?
Macaire ETTY
Alain Tailly, John Ziguéhi, roman, Frat Mat éditions, 2015, 244 pages.
In Fraternité Matin du 31 octobre 2015
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