"Les Traces D'une Enfance Hardie" de Pacôme Christian Kipré : "Quand nostalgie et mémoire font briller la narration"
"Je ne suis pas Marcel Pagnol, je suis Camara Laye" dit-il avec enthousiasme et discernement. Dans les pas du Guinéen et certainement ceux de la talentueuse Flore Hazoumé, Pacôme Christian Kipré, avec une sincérité à couper le souffle, défriche et restaure "Les Traces D'une Enfance Hardie" qui l'ont conduit à orner des papyrus. Pour notre plaisir. Et notre culture.
Dans "Les Traces D'une Enfance Hardie", Pacôme Kipré célèbre la famille. N'est-ce pas elle le socle de la société? Ainsi, le droit d'aînesse, nanti de ses prérogatives illimitées déléguées sous le décret des parents, est disséqué et brocardé sous la plume de l'écrivain dans "Portrait familial". Sans haine aucune. En outre, comme pour chanter la famille, Kipré évoque les liens forts entre ses parents et lui tout en soulignant le souci de ceux-ci à le voir réussir. Dans nos sociétés déglinguées, ce peut être un filon pour tous les parents.
Le chapitre intitulé "L’internat, une prison douce et dorée" exprime bien cette disposition d’esprit du père et de la mère. L'attention pour les moindres détails afin que leur rejeton soit dans les conditions optimales d'apprentissage est remarquable. Mais les internes, bien que dans ce "goulag", n’étaient pas toujours sages puisqu’il leur arrivait de sécher les cours ou de "wanzoter" (P.100). Ce sont là les vices et turpitudes de l'adolescence.
Continuons notre chevauchée sans omettre l'hommage sublime rendu à Joseph Diomandé, ce grand reporter qui fixa dans la mémoire éternelle la visite officielle du président français Valéry Giscard d’Estaing en Côte d’Ivoire. Une présentation qui met en relief l’art oratoire, le génie et la rigueur du journaliste émérite. De l'auteur aussi.
Pacôme Kipré en profite pour faire un merveilleux clin d’œil comparatif à Thérèse Houphouët Boigny, "élégante et gracieuse comme l’étoile du matin" (P.125), et aux ministres qui "arborent un sourire comme si nous étions dans le jardin d’Eden" (idem). Tout cela provoque la transe de l'esprit. Quelle nostalgie! Comment ne pas tomber sous le charme et la générosité de l'exceptionnel tonton Daniel qui avait le cœur sur la main? De sa plume leste, évoquant l'"Effrontée servante", en quelques lignes, l'auteur porte un regard critique sur la condition des servantes, bonnes à tout faire, elles qui vivent une sorte d'esclavage dans les familles.
Dix-huit récits croustillants qu'on a vite fait de confondre à des nouvelles. Les principes de celles-ci sont si hardis qu'il est difficile de s'y méprendre. La chute inattendue, la différence (personnage surtout) d'une nouvelle à une autre, la rapidité et autres sont des ressorts incontournables. Or, dans "Les Traces D'une Enfance Hardie", un fil d'Ariane entre les nombreux textes existe. C'est le même pronom personnel "JE" représentant le narrateur homodiégétique qui raconte ses secrets, son parcours.
De plus, dans les genres comme le conte et le roman, les dénouements respectent le schéma de Vladimir Propp. Le corpus de la nouvelle ne rentre guère dans ce moule. On se demande pourquoi l'écrivain n'a pas opté clairement pour l'autobiographie. Son récit alerte, c'est presque le temps des secrets, le temps des témoignages. Une trame qui concerne immanquablement nombre d'entre nous.
Kipré nous fait faire de joyeux bonds en arrière où court sa mémoire d'éléphant. Et les souvenirs sont captés par son avide objectif qui n'en finit pas de zoomer. Le regard se fige d'ailleurs pour bâtir le portrait dithyrambique de son éducateur. Extrait: "La voix était rauque, lourde, virile (...). Un homme haut comme le Kilimandjaro, la carrure impressionnante tels les coffres-forts des palais royaux, le visage aux traits grossiers, lippu à volonté, les yeux pétillants..." L'écriture de Kipré est sertie de couleurs, de franchise, d'ironie, d'humour et d'images. Elle est traversée parfois par des termes "nouchis" qui défigurent mais enrichissent la langue française.
À la vérité, au-delà de la dextérité de notre auteur, l'œuvre est sous l'emprise de certaines fautes inadmissibles. Entre la confusion du passé simple et du subjonctif imparfait du verbe "être", des syntaxes abracadabrantesques, les problèmes de ponctuation et de concordance de temps, le texte s'étouffe. Des scories dont l'on doit vite l'émonder pour que le cœur des histoires de Kipré soit au mieux de sa forme. Grosso modo, une œuvre à découvrir pour replonger dans notre tendre enfance et étancher notre soif de lecture à la fontaine d'un jeune écrivain qui promet. Indubitablement.
Soilé Cheick Amidou
Pacôme Christian Kipré, "Les Traces D'une Enfance Hardie", éd. FUPA, 2015
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