LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« Devoir de réconciliation » de Roger Dagher : la couleur des sentiments

Les grandes dates évoquent les grandes mémoires. Les douloureux souvenirs sont aujourd’hui de droit. L’heure est venue d’élever la voix. L’indignation universelle se lève. C’est le moment où la conscience humaine prend la parole et donne aux gouvernants l’ordre de l’écouter. Des viols collectifs organisés de femmes rurales dans les hameaux aux pères qu’on a obligés à coucher avec leurs propres filles, ces parents enlevés et déportés dans des tombeaux, morts ou vifs, tous ces proscrits sans repère, ces enfants soldats, carburant au viagra, seigneurs de tous les processus de transformation violente qui se sont voulus tardivement ou rapidement sans la manière et dans le sang, l’abaissement de l’armée, les tribunes à terre, tous ces absous de justice faisant du sénat un monceau de pierres, la guerre en Côte d’Ivoire se voit à nouveau précisée.

 



Le peuple ivoirien a accouché près d’un poêle à bois dans la pièce unique de la cabane par la plus froide nuit de l’année. Il a accouché sur des îles venteuses de l’Ouest des mois durant, des enfants cyclopes, à la tête couverte d’espoirs noirs. Le cycle de la méfiance, de la paranoïa et de la délation ont fait surface. Et on voit combien la politique est une technique de l’apparence.

 Roland Dagher, personnage de main droite, très engagé, passionné indiscutable de la littérature, se positionne comme la voix des opprimés, en signalant l’urgence, avec son admirable plume sans pathos qui glisse facilement sous les yeux. Sa conviction est blanche comme la neige du Tsalmon. Et sa voix crue et limpide se veut une sorte d’intermédiaire entre le peuple et les gouvernants, chargée de transmettre aux uns ce qui vient des autres. Son essai de 161 pages - captivant, émouvant, tremplin pour la réflexion  - « Devoir De Réconciliation » - est un jaune d’or qui appelle à l’humanité, à la prise de conscience collective. Car l’Afrique a besoin de chants de joie. Et la Côte d’Ivoire plus particulièrement.

La paix n’étudie ni ce qui naît, ni ce qui peut, elle est l’amour de ce qui est toujours, c’est-à-dire l’humanité. Et Roland Dagher le démontre bien : « On me parle de progrès, de réalisation. Moi je parle de sociétés vidées (…) ». L’histoire a le dos dur. Et elle ne peut être réinventée. Asseoir les socles d’une République est tout son rêve. Et cela commence par un « devoir » d’humanité. Il faut refuser de voir la réconciliation comme un troisième genre. Elle est un art qui consiste à concilier les contraires et les tisser ensemble. Le Chef est donc un tisserand qui doit unir, dans un même tissu, des fils de couleurs et de qualités différentes. Il s’agit de ourdir ensemble les fils, par la communauté des opinions, d’honneurs, de gloires, par l’échange mutuel de gages, pour en faire un tissu souple et bien serré, et leur confier toujours en commun les magistratures dans les cités. La réconciliation, c’est le réceptacle, la nourrice, la mère, le vase. Un pays est dit nation quand le mélange existe et est accepté, quand l’harmonie règne par des compromis entre politiques et politiques, entre dirigeants et peuple.

La couleur des sentiments est vive. Roland Dagher le réussit parfaitement. Il invite au pardon et à « la démocratie émergente ». Car « [ces choses] délivreront [son pays] des chaînes de la haine revancharde. » et donneront au peuple, une place de choix, une tribune sans feu, une justice juste, un avenir loin des braises.

Même si l’auteur s’abstient parfois à donner de plus amples détails sur la crise politico-militaire qui a vu verser le sang de plus de 3000 personnes, à toucher véritablement la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation à l’ivoirienne, cette Dame qui mène sa mission en ambulance, à allumer le manque de volonté partagé des deux camps qui refusent de voir à l’intérêt collectif, ce livre est un bréviaire au pardon, à l’unisson, à la justice, à la conscience collective... Ce sont au total 65 citations inédites et 25 d’auteurs et de personnalités de renom qui coulent comme l’eau de source dans cet essai remarquablement bien monté. Oui, sans le nier, ce livre est attachant, il retire de la boue, et n’enfonce plus ! Il délivre des ennemis et du souffre. L’avoir est un impératif !!!

 

                                                                                     Manchini Defela

 

Devoir De Réconciliation, Roger Dagher, Néi-Ceda, essai


in Le Nouveau Courrier du vendredi 19 avril 2013




22/04/2013
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