LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

COUP DE GUEULE : L’horreur des tropiques

L’éditeur a un rôle éminent dans le processus de création. Quand on écrit, c’est pour être édité c’est-à-dire, avoir le jugement d’un professionnel sur son manuscrit. Et donc, toute interprétation écartée, l’écrivain ne naît qu’au travers du regard de l’éditeur. En clair, tout commentaire épuré, c’est l’éditeur qui fait le livre. On a besoin de cette médiation pour se reconnaître soi-même comme éditeur ou, comme auteur. 

 

 


Autant on est d’accord pour dire que c’est bien le boulanger qui fait le pain (même s’il lui arrive aussi de vendre des aspirateurs sans sac et des laves linges à hublot), il n’est pas sincère de dire que les nouveaux éditeurs ivoiriens sont des professionnels (même si on est sûr qu’ils doivent bien leur débrouillardise au pipeau). Soyons honnêtes, il est des livres aujourd’hui qui peuvent faire tomber d’une chaise. Tant les horreurs sont consternantes. Diffusion numérique de butin de copinage, clou à pointer dans le sein de son ex, histoire jaune comme le soleil en larme… et tout ce bazar avec des mots qui pleurent tristement leur utilisation luciférienne.

« Tout cela n’est rien » a-t-on coutume de dire en Côte d’Ivoire. Car seules quelques personnes savent ce qu’est un livre. De même que (on imagine) seuls quelques cuisiniers étoilés savent ce qu’est un vrai flan au pruneau, ou quelques commentateurs de tété reconnaissent un bon revers lifté. Carrément. Exit les anciennes maisons d’édition incomprises ou presque qui rament toutes seules dans leur coin, dans la tombe de la création, et laissent périr  ou évanouir des œuvres magnifiques et inconnues dans leur tiroir, ce monde germanopratin de l’édition littéraire classique est en train de mourir de son enfermement sur soi, de son manque d’ouverture, de ses réseaux (parfois perdus), de sa suffisance et du fait qu’il croit détenir la seule vérité. Et son fossoyeur en chef : la nouvelle génération d’éditeurs. C’est violent, à la limite, pas gentil.

Pourtant… c’est si vrai. Enervant. Epouvantable. C’est choquant de voir que cette belle nouvelle génération des éditeurs ne sait pas éditer… correctement. Ils sont jeunes, le costume taillé, le verbe bavard, l’allure criarde, mais pour le reste – leur véritable travail - c’est un entassement de lacunes. C’est une vraie dérive mercantile de leur part (il suffit aujourd’hui de voir des livres soi-disant écrits par des gens célèbres pour constater avec étonnement tout le mal qu’ils polluent). Car on le sait tous, les éditeurs (ivoiriens) sont encore dans la logique purement commerciale, totalement rentable. Les traditionnelles grandes maisons d’édition n’ont aucune volonté de promotion culturelle. Elles ne sont pas des exemples. Ce sont des machines à sou qui ne s’occupent que du scolaire parce que c’est le seul moyen de se faire des milliards de bénéfices donc … les ouvrages ne les intéressent pas. Puis quand est arrivée cette génération dorée d’éditeurs (même si on sait pertinemment que beaucoup parmi eux vendent leurs vestes et chemises pour n’éditer que 100 exemplaires par an), on s’est tous dits : « enfin, sont venus les sauveurs de la littérature ivoirienne ! » Arnaque ! Oui, grosse arnaque ! Ces publicistes dépigmentés sont une farce aux yeux de l’édition. Pis, en plus d’être puérils dans leur travail classique (c’est-à-dire l’édition proprement dite), ils n’accompagnent pas l’auteur dans la promotion de son livre. Aucun suivi ! Belle démagogie !

Compte tenu du fait que c’est le marché qui détermine la quantité de livres que les éditeurs publient, on peut donc déterminer le nombre de vrais écrivains en Côte d’Ivoire. Dans le monde de ces éditeurs, c’est magique, c’est le marché qui crée l’art. De ces auteurs, ces écrivains de demain qui se font la main avec les SMS jusqu’à ces éditeurs aux doigts fades qui refusent de faire des livres au plumage d’argent à consommer sans modération (c’est quand même trop leur demander, on le sait tous) le Livre est au sanatorium !!! Que les flots ne l’inondent plus, que l’abîme sonore ne l’engloutisse plus, et que la fosse ne se ferme pas sur lui.

 

Manchini Defela

 

 in Le Nouveau Courrier du Vendredi 19 avril 2013

 

 

 



22/04/2013
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