LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Coup de gueule : Les oubliés de la littérature ou la joie des impies

 

L’histoire a le dos dur et des mains fermes. Même si parfois, elle pleure toutes les larmes du ciel, détournant son regard de l’arc-en-ciel, et même de la terre, terre qu’elle inonde de ses lamentations aux jambes d’épine. L’histoire, c’est cette idylle infinie que nous vivons au quotidien avec la vie, c’est cette voix qui nous embrasse tous les jours sans lasser.

 

Azo Vauguy et son disciple Benjamin Irié

Il est des actes qu’on pose qui ne poussent pas des sépales. Il est des fleurs qui savent pousser, mais qu’on refuse d’arroser. Il est des moments où seul, cavalier solitaire au milieu de la terre, dans un midi brillant qui ressemble sitôt à minuit, où le silence parfois devient notre seule arme. Il est des moments où l’arbre cache ses fruits, ses propres fruits, où une petite fleur, aussi minuscule qu’un ver de terre cache une vaste montagne. Des poignets de mains hypocrites, des regards qui disent « au-revoir », des paroles qui cachent des femmes en travail, des odeurs qui n’ont ni chaleur, ni fraicheur, des odeurs ointes de malheurs qui respirent tout l’air frais avec leurs grands nez. Des âmes qu’on abandonne sur les rives de la vie, de l’autre côté du pôle, et qu’on refuse de voir, de revoir, consciemment ou inconsciemment, méchamment très souvent. On se souvient à cet instant que nous sommes sur terre. Et surtout, des humains. Parce que l’erreur est humaine, a-t-on coutume de dire.

Aujourd’hui, je m’adresse au monde de la littérature ivoirienne en utilisant le pronom « Je », car devant l’histoire, face à son charme et sa came, le « Je » est de droit pour parler depuis les racines de son cœur.

L’amour cassé, le souffle de l’intelligence soufflé, le mérite blessé, persistant, qui refuse de s’envoler comme le songe, la reconnaissance aux abois, le regard incrédule sur l’histoire, n’allons pas chercher la vérité plus loin dans l’échine du poulet, oh que oui, « les prix ont – vraiment – leurs prix »

Ecoutez, écoutez seulement mes paroles, donnez-moi seulement cette consolation ! Lisez-moi, soyez étonnés, et mettez la main sur la bouche. Car ma plume va faire entendre des paroles sages et des pensées pleines de sens. Quand j’y pense, cela m’épouvante. Il est des taureaux vigoureux et féconds dont les génisses engendrent et n’avortent point. Ils chantent et dansent au son de la darbouka et de sa harpe. Ils se réjouissent au son du pipeau. Ils passent leurs jours dans la satisfaction. Et pendant ce temps, des pépites – oubliées dans un tiroir noir – ont leurs lampes éteintes, et la misère fond sur elles comme du beurre sur le soleil d’un hiver happé. Les premiers meurent au sein du bien-être, les flancs chargés de graisse et la moelle des os remplie de sève. Les seconds meurent, l’amertume dans l’âme, sans avoir joui d’aucune reconnaissance, d’aucun bien. L’art n’est pas fantôme, croyez-moi. Les yeux voient et savent tout de suite déceler. Heureux l’homme qui voit et qui décèle. Car celui qui ne voit pas et ne décèle pas non plus, est comme une bête dans un pâturage.

Réveillez-vous Gens du Livre, ma plume sera mâle. Ah la littérature ivoirienne et ses vertiges!!! Azo Vauguy, ce journaliste chevronné, critique-littéraire adroit, écrivain-poète attrayant, est surtout l’une des plus belles plumes de Côte d’Ivoire, incontestablement. L’homme a une plume qui écrase toutes les consternations, ravit toutes les candeurs. Sa plume dessine un urbanisme littéraire ininterrompu dans lequel la mémoire s’implante en plots au sein d’une trame mièvre, souple et structurée. Tel un plastron tégumentaire, sa plume apparaît comme un tissage en mailles serrées avec des points et des filets brillants au gré de la position du soleil dans le ciel. Comme un Wallpanel, cette verge est un total constitué de motifs répétitifs qui jouent avec l’ombre, la douceur et la lumière. Réveillez-vous, Azo Vauguy, comme ces nombreux oubliés de la littérature, mérite une rose, aussi minuscule qu’elle soit. Gens du Livre, Azo mérite une larme qui verse sur les seins de la terre, une larme, une vraie, dure, aussi infime qu’elle soit. Azo mérite un parfum d’attention, même au format de poche. N’attendons pas sa mort pour offrir un cercueil à son épouse et des larmes insidieuses à ses enfants, à résumer la vie de l’homme dans trois journaux balafrés de la place, en une dizaine de lignes, lignes affamées de vérité et abondantes de plusieurs chapelets d’hypocrisie. N’attendons pas que s’éteigne son âme pour lui offrir une médaille, ce serait un faux détail. Mettons une pause à la médiocrité récurrente car des âmes bien nées croupissent dans le cachot de l’oubli, et ce serait dommage de les avoir eues et côtoyer sans avoir rien appris auprès d’elles, sans leur avoir donné une tribune, sans leur avoir rendu la monnaie du trésor qu’on a caché dans une cage à souris pour éviter de les montrer au grand jour, expressément ou non, peu importe. Gens du Livre, réveillez-vous !!! Personne n’est à l’abri ! Gens du Livre, je vous l’aurais dit !

                                                                                                                                             Manchini Defela


in Le Nouveau Courrier du 10 Mai  2013



12/05/2013
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