LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

COUP DE GUEULE le Sénégal et nous : et si comparaison était… raison !!!

Ici, critiquer, c’est comme payer la vierge. Dire haut et fort ce que pensent tout-bas les hypocrites, c’est noyer dans une tombe la sympathie que les gens ont pour vous, même quand la bouche annonce la sagesse, même quand la langue annonce la pluie. Ici, il paraît que pour dire, il faut absolument veiller sur ses voies, de peur de faillir par la langue; donc de se faire balayer par un chenapan au passage. Ici encore, il est impératif de mettre un frein à sa bouche, car le vipérin est toujours devant nous, et sa colère brille comme le soleil à son midi… Pourtant, la douleur s’irrite, le cœur s’incendie au-dedans de nous; dans nos réflexions un feu s’allume. La parole tente de prendre la langue. Devons-nous rester muet, dans le silence ? Pouvons-nous nous taire quoique privé de tout bien ? Que non. Parce qu’il est évident que tout homme vivant n’est qu’un souffle, donc périssable. Alors, pourquoi trembler ? Ce n’est donc jamais en vain qu’on agite le bol, c’est important pour réussir une bonne soupe.

 


 

Alioune Badara BEYE

Président de l'Association des écrivains du Sénégal (AES)

 

Dans les parvis du Sénégal, ce petit pays des îles excitantes, qui fait pratiquement la moitié de notre chère Côte d’Ivoire en terme de superficie, les écrivains, réunis autour de leur association, sont plus que des modèles dans la sous-région. Dans cet autre univers, la littérature parle à mille voix. C’est vrai - car il est bien de le souligner - dans toute activité humaine, il y a des flottements. L’activité humaine n’est jamais parfaite. Nous allons juste nous intéresser à ce qui est bon pour rompre avec notre lenteur d’esprit, nos cueillettes pondérées et essayer de voir clair même dans le noir. Au Sénégal, l’association (AES) se réunit chaque deux samedis du mois pour parler des affaires des écrivains, leurs différents problèmes rencontrés sur le terrain, leur galère, le châtiment de la tombe que leur imposent les éditeurs, etc.

C’est aussi le lieu de recenser toutes les jeunes et/ou futures plumes, de s’écouter, se frotter, se donner des conseils. Là-bas, le bureau de l’association est connu de tous. Et les membres sont d’une compétence acceptable. L’information est verte comme la lune, et elle circule comme l’eau de source. Là-bas, les écrivains ne sont pas riches mais on leur accorde un respect… magique. Là-bas, des cafés littéraires sont organisés par l’AES à tour de rôle chez chaque écrivain toutes les fins de mois. Là-bas il n’y a rien pour embêter le diable, on vit juste du printemps.  Car là-bas, ce n’est pas en vain que le « chef de classe » s’agite, qu’il amasse, ou qu’il cueille. Il parle moins, est moins actif sur les réseaux sociaux et agit beaucoup. Il distingue sa fonction de l’individu qu’il incarne. Il sait écouter. Il sait être attentif à tout parce que tout est pour lui signe de leçons. Il demande l’avis de tous les membres pour toute activité car il est à l’écoute de l’école de la vie. Ainsi, il sait faire la part des choses, mais surtout n’est pas prétentieux et sait lire entre les lignes. Parce qu’il sait que ses jours n’ont pas la largeur de la terre, que son trône lui a été légué par les écrivains. …

Là-bas, le « chef de classe » n’est pas seul à se débattre comme un super-homme pour réussir telle ou telle chose, il se fait aider par d’autres écrivains. Là-bas, les écrivains ne payent pas 10.000 francs à un journaliste pour la couverture des dédicaces. Là-bas, les critiques et/ou journalistes n’attendent pas forcément la sucette d’un écrivain pour faire un papier sur son « pauvre » livre. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’ils ont la culture du Livre, et ils aiment lire. Mais et surtout, ils adorent les écrivains, et ils les respectent incommensurablement. Là-bas les éditeurs ne se moquent pas des écrivains et ils fanfaronnent moins. Là-bas, est considéré comme écrivain tout auteur ayant créé un univers. Savez-vous pourquoi ? Simplement parce qu’il n’y a pas d’eau dans le gaz ! Là-bas le jeune auteur n’est pas un étranger parmi les écrivains, c’est un voyageur comme tous ses pères. Il le sait parce qu’il le sent.

Ses pères ne détournent pas de lui le regard, ils l’aident même à respirer. En réalité, au sein de cette petite association de moins de 400 écrivains, il y a un comité de lecture et de correction chargé de récupérer les manuscrits des jeunes et/ou futurs auteurs, les corriger, les embellir, créer des univers ensemble avec eux, les conseiller pour une meilleure aventure. Imaginez le résultat quand paraît enfin l’œuvre ! Une plume cacahuète aux jambes de biche comme ces vieilles plumes nouées de douceur, de candeur, de justesse, de sublimité… Là-bas, le ministre n’est pas écrivain, pourtant il reconnait l’association et son existence. Il n’est pas pernicieux dans les aides. Il assiste comme il peut à toutes les cérémonies littéraires. Et puis, tous les écrivains le respectent. Là-bas, tous les écrivains se sentent concernés par l’association, même les plus connus – encore que ceux-là sont humbles.

Retour au berceau ! On traitera nos regards de rivaux c’est sûr, mais que voulez-vous ? Il faut juste que ça change, quand même ! Parce que chez nous, il faudra dormir des lunes et des soleils pour voir briller ces chants au milieu de notre rêve ! Tout de cette association a l’air d’une erreur de casting. Brigue ? Non. Sur nos tropiques, la chose littérature ressemble à une aventureuse pomme dans un berceau après une épouvante catastrophe nucléaire. Ici tout éditeur ayant publié un jeune auteur fanfaronne et se targue benoîtement de lui avoir donné une chance, donc pas besoin de droits d’auteur - plutôt de la reconnaissance à lui donner en retour - même quand les feuilles du livre publié ont la splendeur du papier hygiénique et l’hésitation des vidoirs. C’est vrai, ça paraît dur, mais c’est aussi correct que dire « le ciel est bleu » Ici, on a de vraies idées, pas des confitures ! Sauf qu’après, elles ne servent qu’aux adeptes du pipeau. Ici les réunions des écrivains – chose d’ailleurs spontanée - se font à trois ou à quatre s’il n’y a pas de pluie sauvage pour dégringoler tout le rituel dansé la veille.

Les sujets abordés sont femelles et n’intéressent jamais personne. Les uns viennent se « produire », d’autres viennent parce que de passage, rares sont ceux qui viennent par amour. Et pour la plupart, ce sont ces jeunes auteurs – inconnus on dit – qui viennent « remplir » la grande salle. Et quand arrivent les quelques rares plus connus – c’est relatif d’ailleurs – bien, c’est des discours veinards qui viennent embrasser une certaine vantardise avec l’arrogance déconcertante qu’on leur connait. Les autres sont occupés. Leurs fonctions sont trop importantes pour aller perdre du temps à ces semblants de rencontre. Ah qu’il souffre le « chef de classe » !!! Et puis, l’association des écrivains de Côte d’Ivoire existe-t-elle vraiment ? Grande question. Ici le bureau n’est connu de personne. Le « chef de classe » est un super-homme – puisque le rôle du chef de classe est aussi d’écrire et de gommer les noms, sans blague ! - il sait agir seul dans l’intérêt de tous les écrivains de Côte d’Ivoire. …

Ici un écrivain qui a un problème de quelque nature que ce soit ne sait pas compter sur ses consœurs et confrères, c’est carrément se foutre le doigt dans l’œil, comme cette vieille mendiante au milieu du Sahara. … Ici - paraît-il - il existerait un site pour améliorer la condition de misère dans laquelle vivent les écrivains ivoiriens. N’en soyez pas étonnés, allez-y faire un tour chers écrivains, et vous deviendrez riches tout de suite... Ici, ce sont des airs de jeu aux balafres agressives, comme si on était heureux de retourner toujours à nos folies, comme si on refusait de voir un peu plus clair, d’avancer, de rompre avec le virtuel, le numérique et affronter avec un front brillant la tenace réalité qui nous regarde les yeux chauffés. Ici, il faut écrire et dire dans le sens des poils, pour caresser, pour passionner, pour amuser, car c’est ce qu’on aime : cette médiocrité à la large bouche.

Dans vos cœurs brulent des braises, que toutes ces braises deviennent des flammes, des flammes ardentes portant des couronnes. Car ici, comparaison semble raison. Qu’on n’ait pas de bonnes idées n’est pas mauvais en soi. Qu’on n’ait pas d’imagination, du génie, ce n’est une fin en soi. Mais au moins, qu’on sache copier. Parce que cela a permis à chacun de nous de réussir quelque chose à un moment donné de sa vie. Si on sait lire entre les lignes, si on sait écouter et s’ouvrir au monde, si on refuse de voir à l’écriture et à ses coups de poings, c’est sûr, on fera un pas vers la grandeur, la sagesse. On fera de cette salle de classe, une réalité.

 

Manchini Défala

 

in Le Nouveau Courrier du 24 mai 2013



26/05/2013
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