LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Comment créer ? : I - Du doute du débutant à la grossièreté de la vedette ? (1)

 
« L’embarras de Yao est, sans aucun doute, l’œuvre d’un chef ; mais il est loin d’être un chef-d’œuvre ». Hyacinthe Kacou. Ecrivain et critique.
C’est à cet écrivain, un ami, à la plume discrète, trop discrète, qu’est dédié ce présent texte.
 

 



 
« Comment créer ? » C’est surtout en littérature et en musique que nous entendons, le plus souvent, ce type de question. Cela  vient toujours de la part d’un amateur, un novice atteint de ce mal qui habite l’esprit et l’âme de tant de ces déséquilibrés que l’on appelle artiste. Je dis bien déséquilibrés car l’artiste — le vrai artiste — l’est.

Comment donc créer ? Il n’existe pas, en réalité, de démarche didactique figée et infaillible pour parvenir à créer car, dans ce domaine, tout est régi par des lois d’une subjectivité étonnante. Proposons donc, sur cette question, quelques « Considérations éparses » (P. F. Tavarès).

Rares sont les artistes qui sont satisfaits de leurs premiers jets. Ainsi, en littérature, les premiers textes nous ont-ils toujours paru soit débiles et nuls, soit réussis — il n’y a pas de demi-mesure dans l’art. En générale, l’on a souvent l’impression d’avoir déjà lu ou entendu ce qu’on vient d’écrire. Le spectre et la crainte du plagiat commencent alors à habiter l’artiste amateur. Tout cela débouche très vite sur un sentiment d’impuissance : celui de ne jamais pouvoir arriver à créer, car ici, tout semble avoir été déjà dit, écrit, peint, joué. Tout jeune artiste semble ainsi arriver un peu trop tard dans un monde qui a fini de produire son propre discours. Il ne lui reste donc plus qu’à ‘‘rentrer dans le rang’’, en suiveurs disciplinés et patients.

Il n’y a pourtant pas lieu d’avoir peur, ni de s’encombrer l’esprit de ce sentiment d’impuissance qui, malheureusement, peut déboucher sur l’inhibition, source d’infertilité et d’infécondité. Après tout, l’alphabet (celle, romaine) que nous utilisons ne comprend que 26 lettres ! En musique, seules sept notes ont, jusque-là, été proposées par la science musicale. Dans le fond, tous les usages possibles des 26 lettres de l’alphabet ont été déjà expérimentés ; de même, les musiciens ont achevé de faire toutes les combinaisons possibles de notes. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil. Et cela est rassurant, car cette situation offre un précieux avantage pour tous : nous utilisons (et utiliserons toujours) les mêmes mots, les mêmes notes, les mêmes couleurs.

Aucun mot, aucune note, aucune couleur n’appartient exclusivement à Victor Hugo, à Ngoran Hyacinthe et à Manet ou à Pollock. Oui, tout a été dit ou fait ; mais malgré tout, il y a encore place pour chacun d’entre nous sous le préau de la création, parce qu’aucun artiste n’a encore atteint la perfection. On peut même, sur la question, être davantage rassuré : aucun artiste ne l’atteindra. Chaque création sera toujours frappée d’un manque. Tout livre est ainsi plein de l’absence de ce qu’aurait voulu lire chaque lecteur ; tout texte musical souffrira toujours de l’absence d’une note, d’une expression phonique enfouie quelque part, dans le secret des désirs et besoins émotionnels d’un auditeur. Oui, paradoxalement, c’est parce que tout semble avoir été déjà créé qu’il y aura toujours place pour l’originalité, la nouveauté : qu’est-ce que le génie sinon une synthèse de nos talents, ajoutée à un peu d’audace et assaisonnée à 777 grammes de folie ?!...

La seconde attitude face au mystère de la création nait, quant à elle, du sentiment d’avoir créé le chef- d’œuvre dès le premier coup d’essai. Ici aussi, nombreux sont les créateurs qui baignent dans l’autosatisfaction et ne supportent aucune critique. Ce sont des artistes dangereux, des quêteurs de renommées souvent surfaites. Ils prolifèrent dans les espaces médiatiques qu’ils ont réussi à coloniser. Aucun événement sérieux sur l’art ne semble pouvoir se faire, sans eux. De talent, ils n’en ont qu’un soupçon et, aussi, une volonté incontestable de devenir artiste ; mais la qualité de l’inspiration et le secret de la ‘‘chose’’ leur manque et leur manquera toujours.

Populaires mais peu talentueux (ce que les vrais créateurs — ces artistes accomplis, mais peu connus — savent), bien vendus, mais peu acceptés par le génie (qui les tolère et les regarde avec condescendance et mépris dissimulé), célèbres mais aigris et jaloux, ils resteront toujours à la périphérie de la Planète Art où se savoure l’Esthétique, signe distinctif du chef-d’œuvre ! Et c’est encore mon ami Hyacinthe Kacou qui a raison : l’œuvre d’un chef n’est pas forcément un chef-d’œuvre !
 
tiburce_koffi@yahoo.fr
 
  (1). L’embarras de Yao, une pièce de théâtre écrite par Ma    thieu Ekra.
 
In Fraternité Matin du samedi 27 avril 2013


02/05/2013
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