LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

L'ECRIVAIN IVOIRIEN FACE AU POUVOIR: La Cigale et La Fourmi


Face au débat lancé par ETTY Macaire (critique littéraire) dans le quotidien Le Temps sur le thème du rôle de l’écrivain ivoirien vis-à-vis du pouvoir politique, Sylvain Takoué (écrivain et critique d’art), expose ici sa vision en s’inspirant de Vaclav Havel, homme politique et écrivain engagé d’origine tchèque.

 


 

Vaclav Havel est mort, il n’y a pas longtemps, à l’âge de 75 ans. Il était le président de la République tchèque depuis 1989. Mais c’était avant tout un écrivain engagé dans son pays où il prônait la morale en politique en estimant qu’on ne plie pas devant un dictateur. Resté fidèle à ses principes, son combat d’écrivain anti-communiste l’a propulsé à la tête de la fameuse « révolution de velours » à Prague, et également au sommet de la République de Tchécoslovaquie, en novembre 1989. Sa présidence aura été marquée par la fin du communisme et la réunification européenne.

En regardant la vie à la fois littéraire et politique de ce penseur et homme d’Etat tchèque de notre siècle, je voudrais pouvoir m’en inspirer un peu pour aider au débat qui se fait aujourd’hui dans notre pays sur le rôle de l’écrivain ivoirien face au pouvoir. Il est vrai que ce débat n’est pas nouveau, mais qu’il n’a pas vieilli non plus, puisqu’il est d’ailleurs d’une brûlante actualité. Et je pose la question : qu’est-ce qu’un écrivain ? A un ami qui me posait, un jour, la même question, j’avais pu répondre, de façon un peu roturière, que c’était un penseur qui n’a pas d’écrits vains. Bien entendu, j’avais fait un jeu de mots, mais c’était la réponse. Un écrivain est un penseur qui n’a pas d’écrits vains. Il lui faut toujours militer, au sens propre du terme, pour une cause sociale, sinon sa fonction ne saurait résister au temps, ou en inventer une pour exister en tant que tel, par une fiction inspirée au moins du vécu. Et c’est là tout l’Art à la fois complet et non limitatif de l’écrivain : militer pour une cause créée dans la société, ou créer une cause pour y faire militer la société. L’écrivain qui échappe à ce cercle vertueux ne fera que s’enfermer dans l’autre cercle vicieux que dénonce, sans le dire, le thème même de cette réflexion : le rôle de l’écrivain ivoirien face au pouvoir.

Dans notre pays, les écrivains ont semblé et semblent n’avoir aucun rôle dans le cercle vertueux qui consiste à défendre le peuple contre les injustices du pouvoir, pendant qu’ils ont tous les rôles de reptation dans le cercle vicieux qui consiste à caresser le pouvoir, même quand celui-ci étreint les libertés. L’Afrique, qui n’a pas toujours eu de bons dirigeants d’Etat, ne peut pas non plus se payer le luxe de n’avoir pas de bons écrivains. La plupart des écrivains de notre temps, en Côte d’Ivoire, sont restés, face au pouvoir, comme des cigales chanteuses de louanges et d’épopées à l’égard des régimes à l’honneur. Des griots modernes transformés en scribes obscurs qui ne se donnent d’autres rôles que d’encenser les princes au pouvoir, alors que les causes sociales choquantes, lèpres jetées sur la face du peuple par les régimes politiques ensorcelants, attendent que coulent, comme des larmes, de la plume de ces écrivains l’encre peignant la dénonciation et la lutte pour le bonheur. Je n’en ai pas vu beaucoup, dans notre pays, qui aient résisté longtemps à la tentation chevaleresque de servir les régimes anti-démocratiques en tournant hypocritement le dos aux pleurs du peuple, cette victime résignée des pouvoirs politiques outranciers.

Juste quelques noms, que je passe volontiers sous silence, qui ont pu brandir le poing face aux dérives anti-sociales des régimes, mais qui les ont plongé aussi dans les grâces de ces régimes, dès qu’ils ont été appelés à la table princière pour manger du caviar et boire du champagne pendant que le peuple mange, lui, ses souffrances sociales. Mon sentiment sur ce sujet est clair et net : l’écrivain qui respecte hautement sa fonction sociale ne devrait jamais se compromettre avec aucun régime politique, si ce n’est de devenir, lui-même, par la force des choses, dirigeant d’Etat. En Tchécoslovaquie, Vaclav Havel l’a fait et réussi. Au Sénégal, Léopold Sédar Senghor l’a également fait. Je ne parle pas des Présidents de la République qui deviennent écrivains, mais précisément des écrivains qui deviennent présidents de la République. La nuance est de taille. Pour moi, le rôle social d’un écrivain n’est pas d’être un complice sans moral du pouvoir en place en flirtant avec lui pour bénéficier des dividendes des nominations politiques, mais de veiller, et de bien veiller, à la façon dont le pouvoir politique conduit la vie de la société.

Je ne voudrais pas créer de polémiques inutiles, mais à vrai dire, de tels écrivains qui résistent à la politique alimentaire, il n’y en a presque plus dans notre pays. Peut-être faudra-t-il fouiller dans les rangs de la nouvelle génération des écrivains ivoiriens pour y voir quelques espoirs. Mais peut-être faudra-t-il que les écrivains ivoiriens vivent, un jour, bien dignement de leur noble art. Le mal de leur reptation vers les miettes jetées à leurs pieds par les pouvoirs qu’ils servent pourrait sans doute être ainsi exorcisé…

Sylvain TAKOUE,

Ecrivain-Journaliste

Critique littéraire et d’Art,

Contact : (225) 58 30 40 00.

 

 



07/02/2012
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