LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Comment devenir écrivain ?

“Les tyrans savent qu’il y a dans l’œuvre d’art une force d’émancipation qui n’est mystérieuse que pour qui n’en n’ont pas le culte ; chaque grande œuvre rend plus admirable et plus riche la force humaine, voilà tout son secret." (Albert Camus, extrait du discours de Suède)

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Les écoles de formation d’écrivains me font rire. …Les ateliers d’écriture, à mes yeux, ressemblent à un cirque dont les numéros des comédiens sont ratés ! Dans l’écrivain cohabitent le feu et l’eau, l’ange et le démon. Ils sont frères. Ils tètent au même sein ! Le même lait qui n’a pas uniquement cette couleur : Blanche. Il est aussi noir, vert, rouge… il peut être aussi sans couleur ! Y a-t-il une recette magique pour devenir écrivain ? Un grand écrivain à l’image de Tolstoï, Haruki Murakami ou Naguib Mahfouz ! Peut-on découvrir une ordonnance pour devenir un bon écrivain, comme celle d’un  dermatologue pour combattre la gale ou la démangeaison ?

 

Pour mincir, il faut respecter un régime alimentaire draconien ou clément, selon la prescription du nutritionniste, mais pour faire de l’écriture il faut dévorer beaucoup, beaucoup de livres ! Sans modération aucune ! Pour mincir, il faut faire aussi du sport, courir des kilomètres le matin et le soir, mais pour devenir écrivain, il faut rester clouer à votre chaise en train de regarder le papier blanc et l’encre noire ou bleue, des heures et des heures ! Et méditer sur le jour qui passe sur la pointe des pieds devant le bord de la fenêtre ou sur le dos d’un nuage en forme de cheval !

 

Pour avoir une bonne santé, il ne faut pas veiller, respecter le volume horaire du sommeil, dicté par les médecins, par les revues spécialisées et par les sites internet, qui en permanence,  nous harcèlent, mais pour être écrivain, il faut ne pas dormir, veiller pour regarder les étoiles dans les livres et humer l’odeur des lettres qui montent d’une rue désertée par les gens de la lumière du jour et occupée par les enfants de l’obscurité, les SDF. Pour devenir un bon croyant, il faut apprendre le Coran et Sahih al Boukhari, la Bible ou la Thora, mais pour être écrivain, un bon écrivain à l’image de Wollé Soyinka, Tayeb Salah ou Le Clézio, il faut lire aussi et avant tout les livres blasphématoires ceux d’Al Maâri, de Voltaire, de Dante, de Proust ou de Salman Rushdie.

Pour devenir un bon citoyen, il faut aller voter le jour du vote et aller écouter le discours du président ou le chef du parti le jour de la fête nationale, mais pour être écrivain, un bon écrivain à l’image de Mahmoud Darwich, Jean Sénac il faut se demander pourquoi voter, à quoi sert le vote dans un monde où la liberté ainsi que la démocratie sont confisquées, ne pas écouter les discours moralistes et mensongers, tout simplement parce qu’un écrivain n’aime pas les cérémonies et les discours cérémoniaux monotones. N’aime pas mettre la serviette ni prendre la fourchette avec la main gauche et le couteau par la droite.

 

Pour être un bon papa, sérieux et responsable, il faut se comporter devant tes enfants, à la maison, autour de la table, à la rentrée scolaire, en petit Dieu, leur parler comme des ami(e)s, partager avec eux la chanson, le sourire et le rêve. Gagner leur confiance. Mais pour être écrivain, un bon écrivain à l’image de Khalil Gibran, Charles Baudelaire ou Garcia Márquez,  il faut aimer tes enfants et, en même temps, les détester, les bercer mais aussi les éventrer, parce que tes enfants sont tes livres. On n’est jamais satisfait de son livre !

Pour être un bon conducteur de voiture, il faut apprendre le code, respecter la circulation et avoir des nerfs de fer pendant les heures de pointe, (chez nous, ce temps de pointe est devenu insignifiant, tout simplement,  par ce qu’il n’y a pas d’heure de travail) mais pour être écrivain, un bon écrivain à l’image de Mohamed Choukri, d’Albert Camus ou de Mahmoud Messaâdi, il faut se conduire comme un très mauvais conducteur : prendre le chemin dans le sens interdit. Il faut toujours rouler dans l’interdit. Il faut brûler les feux rouges, s’arrêter quand c’est vert pour déranger les impatients et les retardataires !

 

Pour être un bon fruitier, c’est-à-dire un bon vendeur de bons fruits, il faut savoir ranger et présenter d’abord les pommes sur l’étalage, mais si tu veux être écrivain, un bon écrivain à l’image de Nawal Saâdaoui, de Nabokov ou de Henri Miller, il faut savoir déguster la pomme de la tentation !

 

Pour être un bon randonneur, il faut connaÎtre les sentiers de la forêt et les informations sur le ciel, mais pour être écrivain, un bon écrivain, à l’image Garcia Lorca, de Pablo Neruda ou de Mikhail Nouaima, il ne faut jamais marcher sur les traces de quelqu’un d’autre, ne jamais prendre le chemin déjà foulé par les pieds du passeur ou du passé !

 

Pour être un bon touriste, dans le désert des déserts, il faut respecter les ordres du guide méhariste, l’orientation du soleil et faire attention à la quantité d’eau en possession, mais pour être un bon écrivain à l’image d’Al Mutanabbi, de Paolo Coelho ou de Ali Douadji, il faut marcher tout seul dans le désert des déserts, se perdre jusqu’à mourir, ne laissant de trace dans le sable chaud que tes chaussures, ou atteindre la mer, si mer existe-t-elle !

 

Pour être un bon alpiniste, il faut savoir choisir la place où enfoncer le clou, sur le dos déridé de la montagne grimpée, mais pour être un bon écrivain il faut savoir aussi où enfoncer le clou, dans la société vécue. Parce que la chute de l’alpiniste est similaire à celle de l’écrivain.

 

Amin Zaoui

 

Source : www.lacauselittéraire.fr



10/02/2014
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