Mon pays, ce soir : Des mots pour dompter les maux
Quelque part dans les entrailles d’un quartier d’Abidjan, un homme emmuré, coincé par la démence d’un jour de glaive, les doigts sur le clavier, les yeux rivés sur un écran de PC, interroge les mots pour leur arracher le code de l’apocalypse ivoire.
Sur la tête de son pays, un déluge de feu et de souffre à engraisser la mort. Partout des flots des ténèbres dérangées. Dans son pays, il fait soir. Soir sur les bourgeons. Soir sur la vie. Aucune lueur. La nature elle-même est déroutée. Les astres sont frustrés :
« Et la lune terrée en un coin de ciel
Pour fuir le rire ferreux
Des rafales »
Dire le deuil pour l’amplifier et le contenir. Nommer le monstre pour le démystifier et l’apprivoiser. Tel est le projet démentiel de Josué Guébo, cet homme harponné par la frayeur de l’horreur. Ce poète, sans sa harpe mais avec sa plume‑épée. Car il ne saurait être un aède stérile, divorcé du deuil du peuple. Le poète désormais est plus qu’un magicien du verbe, plus qu’un prophète ; il est le « guerrier » invisible, un inquisiteur. Celui qui lève le manteau sur les vérités écrasées.
« Je nous donne
La plume d’un tel orage
Je nous donne l’index
D’une telle audace » (p54)
Celui qui recueille les larmes des veufs et des orphelins aux destins brisés par les prédateurs du monde. De sa tête à terme du supplice d’Éburnie, notre poète engendra « Mon pays, ce soir ». Sans matrone. Sans anesthésie. Dans la douleur de la parturition. « Mon pays, ce soir » est une suite de pleurs d’une plume aux meurtrissures sévères, d’une cithare criant la douleur des siens.
« Le pays
A cette heure
N’est plus qu’un vaste bruit »
Le crime de son pays sien n’est pas à chercher loin:
«… sous le macadam
Il y a des pépites
Sous le macadam
Du scandale écologique
En gerbes impérieuses » (P25)
Eburnie a eu le tort de couver dans ses abysses « Du pétrole/ En jets autoritaires ». Et pour cela ses enfants doivent payer le prix fort : le trépas. Les « bombes nues » « le tourbillon » « l’incendie » « le fracas » « des chars du Printemps De Prague », le lexique de l’apocalypse hante les vers. Le poète stigmatise les menteries et fustige les « mensonges emmurés ». Il déverse son encre en furie sur « l’eau nue »….l’ONU, mais aussi sur tous ses frères, « cette race » dévirilisée, qui « rêve de fers à ses pieds ». Malgré les soupirs, le livre de Guébo se veut un hommage subtil à tous les combattants de la liberté. Il prend fait et cause pour :
« …ces fils du pays
Coupables d’aimer
Comme seuls
Doivent l’aimer
Les autres
La liberté » (P22)
Les mots de Guébo disent l’indicible et l’inadmissible. En dépit des larmes brouillant l’encre de sa plume, ce livre se veut un coup de poing sur le visage de la cupidité, mais surtout une exhortation à la verticalité, à l’érection.
« Plus rien
Pour sûr
Ne sanglera notre pas
Plus rien
Ni la meute
Ni l’essaim
Rien » (p 28).
En harmonie avec son peuple debout, il lance avec la fougue de son inspiration, sa détermination à ne pas choir :
« Et
Nous tenons
Fermes
Dans le feu des temps
Fermes
A habiter
Dès ce jour
Le signe
De notre histoire
En forge » (p 29)
Le peuple, son peuple est d’ivoire. Le poète a foi qu’il saura rester solide et débout. Les derniers vers du livre ont l’ éclat d’un cri Césairien :
« Nous sommes
Poing
Formé de toutes les douleurs
Des siècles piétinés
Debout dans le champ pubère
De la vérité
Tenant de l’iroko
Ce devoir de fermeté
L’impératif
Incoercible
De notre geste ignifugé » (p54)
Au fil de pages, la passion du poète se dilate et éclabousse toute l’Afrique. Il prend sur lui la croix de tous les martyrs africains. Les ombres de Lumumba, Sankara, Louverture, Nyobé planent….
« Mon pays, ce soir » est une éruption de mots, une avalanche de vocables en colère, pour signifier le jeu macabre des maux qui s’abattent sur son Eburnie. Le texte bruit du chant déchirant de la douleur ivoire. Sa difficulté de comprendre ce qui assaille son pays se retrouve dans l’emploi de mots souvent rares. Son livre, en effet, est un repaire de mots savants qui peuvent dérouter le lecteur distrait. Le choix de ses mots n’est point hasardeux. Il les choisit pour leur musicalité, leur pertinence sonore. Josué Guébo n’est pas un versificateur, encore moins un rimeur. Il est poète c'est-à-dire un amant des mots ; il sait les apprivoiser pour leur arracher la note recherchée.
« Mon pays, ce soir » est le livre de la colère de toutes les colères tues, de toutes les colères déchainées. D’où ces vers brefs, rabougris, ces vers‑mots ou ces mots‑vers. Comme des coups de feu…des coups de poings. Avec ce livre, de Josué Guébo confirme sa place dans le panthéon des plus grands créateurs ivoiriens. Heureux tous ceux qui vont maintenant lire « Mon pays, ce soir ». Encore intact est leur plaisir !
ETTY Macaire
Critique littéraire
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