LE DRAME DE CEUX QUI NE LISENT PAS
La date du 23 avril a été décrétée Journée mondiale du livre. Partout dans le monde, des cérémonies ont été organisées pour réaffirmer les bienfaits de la lecture. Ce n’est pas la première fois que des organismes comme l’Unesco, des hommes de culture, des éducateurs, des écrivains ou des bibliothécaires dissertent sur l’importance du livre dans la vie des hommes. Pourtant, en Afrique, la lecture continue à ne point être une activité prisée et pratiquée à grande échelle. Et les Noirs en général font partie des peuples qui ne lisent pas.
Aux Etats-Unis, un homme nommé Dee Lee a fait diffuser un matin un article sur les ondes de radio de New York, USA, au titre provocateur « Les Noirs Ne Lisent Pas ». C’est dans ce texte qu’il a été dit cette vérité : « la meilleure façon de cacher une chose ou un secret à un Noir, c’est de mettre ça dans un livre ». L’on a, durant des décennies, fait l’éloge de la lecture sans résultat probant. Il est temps de parler des dangers que courent tous ceux (et notamment les Africains) qui ne lisent pas. A ce propos, le livre de référence est certainement celui de l’essayiste ivoirien Léandre Sahiri : « Lettre Ouverte aux Noirs qui ne Lisent Pas », un ouvrage qui fait écho au texte de Dee Lee et qui nous permet de mesurer le drame de ceux qui ne lisent pas.
Mariame Gba, militante du livre, distingue deux groupes de « non‑lecteurs » : « Nous avons en Afrique "ceux qui ne lisent pas" parce que malheureusement ils n'ont pas eu la chance d'apprendre à lire; Ceux là sont les grandes victimes de l'histoire, et nous nous devons de les aider à sortir la tête de l'eau. Et puis nous avons "ceux qui ne lisent pas" alors qu'ils ont reçu toutes les clés pour le faire. Ils décident ainsi de rompre le fil du savoir, de l'apprentissage. Ils constituent un poids, une autre plaie qui enfoncent davantage le continent ».
Ici nous parlons de ces deux catégories.
En effet, ceux qui ne lisent pas, ceux n’aiment, pas lire courent un danger. Un danger plus horrible que la guerre et le Sida.
Ceux qui ne lisent pas, vivent dans les ténèbres. Enfermés dans « la caverne de Platon », ils ne savent pas que la vérité se trouve en dehors d’eux-mêmes. Ceux qui ne lisent pas sont déjà en enfer ; ils brûlent dans le silence de leur obscurantisme du feu de la géhenne.
Ceux qui ne lisent pas sont des tristes solitaires et des solitaires tristes, ce sont des personnes sans ouverture, sans vision, sans horizon. Ils en proie à un gigantesque ennui. Or l’ennui est un virus mortel. Léandre Sahiri ne croyait pas bien dire quand il écrivait : « Quand l’on est gagné par l ’ennui , le monde est perçu comme une agression et la vie est vécue comme un calvaire. L’ennui pousse, généralement , soit à l ’ inaction, soit à travailler sans plaisir ou sans passion…L ’ennui nous fait paraître le temps trop long, voire interminable ; l’ennui nous nourrit d’ impatience ; l ’ennui rend une occupation ou une activité fastidieuse… Quand on est gagné par l ’ennui , la vie ne suscite plus d’intérêt, ni d’enthousiasme, ni de goût , plus rien ne fascine. Quand on est gagné par l ’ennui , on tue le temps à s’adonner à des choses pratiquement inutiles, ou parfois à ne rien faire… Et , le mal est que l ’ennui peut déboucher sur une absence totale de plaisir ou d’ intérêt dans sa vie, sur une sorte d’aigreur ou de dégoût de toute activité. L’ennui peut conduire à la lassitude morale, voire au suicide »
Oui ceux qui ne lisent pas sont des invalides. Ils sont incapables d’appréhender le futur et l’extérieur. Ils sont réduits à tourner sur eux comme des âmes damnées.
Leur univers ressemble à une prison. Ce sont des incarcérés, des encroués qui s’ignorent !
Ceux qui ne lisent pas, ceux qui n’aiment pas lire, ne seront jamais des hommes cultivés, des hommes éclairés. Ils ne seront jamais des érudits. Ils pataugent dans un piteux état d’ignorance. Or l’ignorance est un fardeau. « Quand on est ignorant, on est bien souvent naïf : on croit à tout et à rien. Quand on est ignorant, on est bien souvent infantilisé, voire animalisé. Quand on est ignorant, on accepte la situation de misère que l ’on vit comme une fatalité … Quand on est ignorant, on se croit destiné à vivre éternellement dans l ’ombre e t à la solde des autres , juste bon à exécuter, tout bêtement, de sales besognes, à porter fièrement les cannes et les fardeaux des autres, à être les porte-voix des autres pour diffuser leurs « idéaux » qui , parfois , ne sont , ni plus ni moins, que des idioties . Quand on est ignorant , on se comporte généralement comme un mouton égaré dans un parc …».(Leandre Sahiri)
Ceux qui ne lisent pas ne peuvent pas apprécier l’envol d’un papillon, le chant du rossignol, les leçons d’une ride de vieillard, la beauté du sourire d’un enfant, la poésie d’une fleur épanouie.
Ceux qui ne lisent pas ne sont pas capables d’amour, de partage, de solidarité, de tolérance. Ils sont à la base des grandes déchirures et tragédies de l’histoire. Les politiciens les utilisent pour exécuter les sales tâches. Ils les utilisent comme des canons à chair. Ils les envoient au charbon et n’hésitent pas à les sacrifier pour le besoin de leur ascension. Celui qui ne lit pas est limité et perpétuellement victime car « Une telle personne manque d’esprit critique et de discernement …elle es t réduite au seul état de consommateur…de pourvoyeur ou convoyeur, de bête de somme ou bête de guerre ; il ou elle est souvent dupée ou escroquée ; il ou elle ne s’aperçoit de ses erreurs qu’après avoir agi ou après en avoir été victime » (Léandre Sahiri).
Ceux qui ne lisent pas pensent que c’est par la violence et la guerre que les problèmes de la société ou leurs problèmes personnels peuvent être solutionnés. Ils sont utilisés pour faire des rebellions et des coups d’Etat. Ils croient aux vertus des armes.
Ceux qui ne lisent pas ne savent pas ce qu’ils font. Ils travaillent contre leurs intérêts et contre les intérêts des autres. Ils sont comme des tamtams qui ne produisent plus de son. Ils sont vides …
Ceux qui ne lisent pas ne vivent pas.
Ceux qui ne lisent pas sont morts.
Pire, ils sont déjà condamnés avant le dernier jugement.
ETTY Macaire
Léandre Sahiri, Lettres aux Noirs Qui Ne Lisent pas, Editions Kassimex, 2010
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